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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

le Dernier Duel

le Dernier Duel

Un Ridley Scott, cela ne se boude pas. D’autant plus lorsqu’il s’agit de l’un de ses meilleurs films depuis longtemps. Avec Le Dernier Duel, il livre un long-métrage d’époque avec tout le talent qu’on lui connaît pour le genre et nous propose en parallèle une œuvre d’une terrible actualité. À découvrir ou redécouvrir en vidéo le 18 février 2021, notamment dans une édition bluray très satisfaisante.

Synopsis : Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.

le Dernier Duel

Le point de vue de Vance :

Le Dernier Duel a fait un flop au cinéma. Les producteurs et même le réalisateur (devenu au fil des ans un peu plus acariâtre face aux nombreuses critiques - justifiées - fustigeant ses derniers films) ont cherché quelques excuses dans le contexte, voire l'évolution des mœurs des spectateurs qui s'accommodent aisément d'un visionnage sur l'écran de leurs smartphones plutôt que de prendre le risque de sortir et se mêler aux autres en pleine pandémie. Quoi qu'il en soit, l'investissement de la Fox (rebaptisée depuis son rachat "20th Century Studios") ne semble pas avoir été bien défendu par Disney, et le métrage n'a pas eu le succès qu'il méritait.

Car il le méritait. Le syndrome John Carter aurait-il frappé ce projet ? Allons-y voir de plus près.

le Dernier Duel

Un contexte historique toujours fascinant, un casting alléchant, un réalisateur vieillissant mais au potentiel intact (dont on espère chaque fois le retour de flammes) et un scénario intéressant, écrit à six mains, dont quatre d'entre elles étaient déjà gage de réussite : depuis Will Hunting, on sait de quoi Ben Affleck et Matt Damon sont capables lorsqu'ils travaillent de concert. Ces deux-là, immédiatement séduits par la portée de l'idée de départ (l'adaptation à l'écran des travaux réalisés par l'historien américain Eric Jager, qui a accumulé des centaines de pages sur cette affaire remontant au XIVème siècle) ont choisi d'opter pour un montage des faits à partir de chaque point de vue, suivant l'effet Rashōmon par exemple. Option pertinente, surtout du fait que le jugement dont il est question confronte uniquement des témoignages et qu'aucune preuve tangible n'existe.  

le Dernier Duel

L'histoire de deux hommes, liés par cette amitié profonde créée au cœur des combats, qui deviendront donc les pires ennemis à cause (en partie) d'une femme. Dit comme cela, ça sonne tellement banal, mais le sujet est bien plus riche et complexe que cela, mettant en avant le statut incroyablement ingrat de la gent féminine en cette période de l'Histoire qui était obligée, lorsqu'elle était mise en cause lors d'un procès, de se reposer sur un responsable mâle de sa famille (le père, le frère ou, ici, le mari).

Dès lors, chaque détail compte : chaque regard, parole, ou attention un tant soit peu équivoques sera systématiquement soumis à l'interprétation (forcément partiale) des juges, lesquels faisaient en général bien peu de cas de l'intégrité du sexe dit faible. En 1386, il ne faisait pas bon être femme et quand on voit comment elles étaient traitées trois siècles plus tard (rappelez-vous les exemples des Sorcières d'Akelarre), on comprend combien la tâche devait être insurmontable pour celles qui avaient un minimum de caractère et/ou d'érudition : se soumettre ou périr était souvent la seule alternative. Voici sans doute ce qui a motivé Ben & Matt à faire appel à une co-scénariste, afin de coucher sur le papier la version féminine de ce triangle judiciaire avec une touche, une sensibilité qu'ils estimaient ne pas pouvoir exprimer.

Avec un Ridley Scott minutieux qui choisit de retourner sur les terres où il avait shooté les Duellistes (la magnifique Dordogne et ses châteaux idéalement préservés), une reconstitution s'appuyant sur de nouvelles approches du monde médiéval (avec des nobles contraints d'aller humblement toucher leur solde lorsqu'ils sont allés combattre pour leur roi), on tenait de quoi proposer un spectacle puissant résonnant magnifiquement dans l'air du temps. 

le Dernier Duel

Cela donne ainsi cette structure particulière d'un événement rapporté suivant trois points de vue différents, qui se conjuguent parfois, se contredisent souvent et se complètent en un patchwork censé rendre la confusion qui animait les plus sincères des juges au moment du procès intenté par Jean de Carrouges (Matt Damon). Et au-delà de l'affront que représentait l'acte même qui est au centre de l'affaire (la femme de Jean accusant son ami Jacques Le Gris - Adam Driver, excellent - de l'avoir violée), il en va de l'honneur de la famille du demandeur, issu d'une lignée de petite noblesse, contraint de guerroyer afin de trouver les fonds nécessaires à l'entretien du domaine familial placé sous la tutelle de leur suzerain, le puissant et charismatique comte Pierre d'Alençon (Ben Affleck). Son récit, forcément orienté, soulignera ainsi les turpitudes dont il a été victime et la manière dont son ancien compagnon d'armes, pourtant simple écuyer, mais favorisé par Pierre, gagnera les faveurs de la noblesse tandis que son nom sera conspué.

L'aspect manipulateur de ce procédé de narration met le spectateur dans une position de dupe dont il est conscient : si le témoignage ultime, celui de Marguerite (Jodie Comer, très juste), emporte l'adhésion, il n'en est pas moins circonstancié et sujet à caution - d'ailleurs, l'historien avait retrouvé les notes d'un des défenseurs de Jean qui estimait combien il demeurait dans le doute. C'est la parole d'un petit noble trahi contre celle d'un écuyer privilégié, derrière lesquelles tente de se faire entendre celle d'une épouse avilie. En face d'eux, un roi de France juvénile : si l'on aurait souhaité trouver quelques interprètes français (tant pis pour nous, encore une histoire qui nous passe sous le nez), le comédien qui incarne Charles VI est juste parfait (les amateurs de the End of the f***ing world reconnaîtront le génial Alex Lawther). Les apparences, les circonstances ne jouent guère en faveur de Marguerite et de son époux, et le troisième chapitre ressemble ainsi davantage à une plaidoirie désespérée : elle gagnera sans doute les faveurs des spectateurs, mais qu'en sera-t-il des juges ?

La sortie vidéo est l'occasion de vous faire une idée et de redorer le blason de ce très beau film.

Disponible en Blu-Ray, 4K UHD et DVD ainsi qu'en VOD le 18 février, et en Achat digital le 10 février 2022.

Le point de vue de Nico :

Cela faisait pas mal d’années que Ridley Scott n’avait pas sorti d’œuvre faisant une  telle unanimité aussi bien critique que publique. Mais s’il y a bien un genre dans lequel le réalisateur excelle, c’est dans le film d’époque. Les Duellistes, Gladiator, Kingdom Of Heaven, pour ne citer que les plus connus, brillent particulièrement par la beauté de leurs images et l’intelligence de leur scénario (au détriment parfois de leur véracité historique).

Si Le Dernier Duel n’atteint à aucun moment la maestria de ces trois films, il n’empêche qu’effectivement, c’est probablement ce que Scott a fait de mieux depuis longtemps. On émettra néanmoins quelques réserves sur la mise en scène fonctionnelle, des enchaînements de plans douteux trahissant une mauvaise gestion du rythme (et le film est incroyablement long pour ce qu’il raconte) et sur le scénario en lui-même. En effet, la division de l’histoire selon trois points de vue divergents ne nous apparaît pas très pertinente puisque seule la dernière partie nous montre la vérité. Il aurait été préférable de ne pas truquer grossièrement les deux autres versions, mais de jouer sur les ambiguïtés et les interprétations complètement erronées de ces deux hommes. En réalité, il nous semble que le film aurait gagné à ne se focaliser que sur le point de vue de la femme du chevalier, la dénonciation de l'absurdité du système patriarcal n’en aurait probablement pas été amoindrie. Car avec les deux versions qui précèdent la révélation finale, c’est clairement l’intelligence du public qui est remise en cause, comme s’il n’aurait pas été capable de comprendre les tenants et aboutissants de l’intrigue autrement que par une narration bêtement orientée qui ne montre jamais le vrai et qui nous joue deux fois chaque scène de manière totalement différente pour bien sous-ligner le propos. L’idée de confronter la perception de la vérité des trois personnages est pourtant excellente, encore faut-il que Scott montre justement la même vérité pour tous, et nous fasse comprendre en quoi cette perception est différente.

Quoiqu’il en soit, et malgré ce que l’on vient d’en dire, Le Dernier Duel s’avère captivant de bout en bout, et superbement interprété, notamment par Jodie Comer, une révélation. Un nouveau Ridley Scott, cela ne se boude pas, surtout quand il est autant réussi !

le Dernier Duel

Côté technique :

Ridley Scott oblige : l’image du Dernier Duel est absolument superbe. Et le bluray est à la hauteur des attentes. Peu de réserves à l’encontre de cette copie HD, si ce n’est un léger bruit par instants et des noirs un peu bouchés. Rien de rédhibitoire. Si a priori la version UHD était meilleure car le master proviendrait d’un DI 4K, le bluray s’avère plus que correct : on y retrouve la photographie si particulière de Dariusz Wolski, avec ses tons gris et bleus proches de l’argent, une définition impressionnante faisant la part belle aux costumes, et une compression quasi parfaite.

le Dernier Duel

Le son en VO DTS HD Master Audio n’est pas aussi démonstratif que les précédents films d’époque de Ridley Scott (on pense à Gladiator), puisque les scènes de batailles y sont peu nombreuses, mais le mixage est extrêmement subtil. Peu de basses sauf à deux ou trois reprises, mais des effets surround et directionnels précis et des dialogues clairs. La bande son présente une grande cohérence avec le récit.

Un supplément - ce qui pourra étonner vu le contenu des précédentes éditions des films du réalisateur – est à relever sur ce bluray : un making of d’une demi-heure environ, peu promotionnel et permettant de capter l’ambiance sur le tournage.

Vivement recommandé !

Titre original

The Last Duel

Date de sortie en salles

13 octobre 2021 avec 20th Century Studios

Date de sortie en vidéo

18 février 2022 avec 20th Century Studios

Date de sortie en VOD

18 février 2022 avec 20th Century Studios

Réalisation

Ridley Scott

Distribution

Jodie Comer, Matt Damon, Adam Driver, Ben Affleck, Alex Lawther & Marton Csokas

Scénario

Matt Damon, Ben Affleck & Nicole Holofcener d’après l’œuvre d’Eric Jager

Photographie

Dariusz Wolski

Musique

Harry Gregson-Williams

Support & durée

Blu-ray 20th Century (2022) region B en 2.39:1/152 min

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S
Un grand film ! Le meilleur de Scott depuis des lustres... Et dire qu'il passe inaperçu derrière le bien plus médiocre "House of Gucci" ! Désolant...
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V
Nous sommes au diapason. J'ai beaucoup aimé pour plein de raisons, et notamment l'utilisation de nombreux petits éléments venant bousculer nos croyances sur un Moyen-âge un peu figé au cinéma. L'interprétation au cordeau ajoute encore au plaisir.