Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs, glanant des prix partout où il était projeté (de Cannes à Deauville) les Magnétiques a décroché assez logiquement le César 2022 du Meilleur Premier Film. Il y a effectivement de quoi s’enthousiasmer devant la passion qui sous-tend le métrage, la maîtrise artistique et technique de l’équipe du film ainsi qu’une interprétation plutôt convaincante.
Centré sur l’année 1981, qui pour la société française marqua un tournant majeur, le scénario écrit à plusieurs mains se structure sur la dualité et l’opposition : l’ancien monde cède la place à un nouveau, générant appréhension et espoir ; ses personnages se trouvent ainsi sur cette ligne de démarcation entre ombre et lumière, passé et futur, conservatisme et progressisme, frilosité et ambition. Jérôme et Philippe, tous deux fils de garagiste, se plongent dans la musique salvatrice (malgré les accents laconiques et mortifères de Joy Division) et animent une radio pirate : si Jérôme, flamboyant et outrancier, en est l’âme vocale, c’est Philippe, son discret petit-frère, qui assure la partie technique, mixant pistes et jingles, montant des boucles à la volée et enregistrant tout ce qui lui tombe sous la main pour se constituer une banque de sons avec laquelle il jongle lors de ses moments perdus. Philippe, le narrateur, surdoué des cassettes et des potentiomètres, dont la voix posée empreinte de nostalgie (l'excellent Timothée Robart a une tonalité assez proche d’un Étienne Daho par exemple), va scander chaque moment fort de cette période de transition, interpellant dans le vide son frère pour lui rappeler les souvenirs de cette époque dont il se remémore les instants perdus, intenses et magiques, celle d’une jeunesse hébétée, angoissée par des lendemains qui déchantent mais s’accrochant aux maigres espoirs d’une élection présidentielle capitale.
Dans leur groupe, entre soirées bien arrosées et délires radiophoniques, Philippe est un pilier discret, celui sur qui on peut toujours compter : il suit Jérôme et ses potes, participe de loin à leurs frivolités mais sera toujours à l’heure pour seconder son père dépassé par la comptabilité. On le devine bon élève, en plus. Tout le monde aime Philippe, mais c’est Jérôme qui fascine, attire les regards et les remarques par son ton provocateur, ses attitudes iconoclastes, son nihilisme punk. Jérôme qui sait pouvoir compter sur son petit frère pour le ramener ivre-mort à des heures indues, et pour trouver une pauvre excuse à servir à leur père de moins en moins patient. Il brûle sa vie comme si demain ne comptait plus, se lançant à corps perdu dans une course contre le no future perdue d’avance. S’il focalise l’attention de tous, il détourne aussi l’attention de Philippe : dans son ombre, le jeune homme nourrit une angoisse et une passion secrète, qu’il tente de noyer dans la musique qu’il génère au grenier. L’angoisse du service militaire, qui l’éloignera pendant un an de ses centres d’intérêt, ses amis et la fille qu’il aime sans l’avouer – car Marianne est la petite amie de Jérôme, et il se contente de la regarder de loin, de profiter de rares occasions pour la côtoyer sans jamais lui avouer ses élans. Il sait qu’il ne parviendra pas à se faire réformer : trop sérieux, trop honnête. Il tentera alors le tout pour le tout avant de partir pour Berlin où une opportunité en or s’offre à lui : un autre appelé lui propose un poste au service radiophonique du détachement britannique. L’occasion de faire ses preuves, avec du matériel de qualité. Et de déclarer sa flamme à Marianne…
Si les Magnétiques finira sans doute par décevoir ceux qui s’attendaient à un Good Morning England frenchie entraînant et dédié à la musique de l’époque : certes, on évoque la mort de Ian Curtis (1980) et celle de Bob Marley (1981), on entend du Front 242, Iggy Pop et les Undertones – ainsi que le Premier Pas de Claude-Michel Schönberg, ne rigolez pas ! – mais en dehors d’un admirable tour de force musico-technique à la radio (avec mixage en direct), on n’aura droit qu’à quelques illustrations discrètes des tendances de ces années-là. À la fois contexte et prétexte, la musique illustrera mais ne sera pas au centre de l’histoire, qui s’évertuera à suivre ce garçon, trop jeune pour se perdre dans les illusions pessimistes de la génération précédente, trop vieux pour embrasser pleinement la vague d’enthousiasme consécutive à l’élection de Mitterrand. Philippe aura à faire des choix drastiques, et si son cœur, porté par des hormones en ébullition, le poussera souvent à des excès coupables, sa raison et son intelligence lui permettront d’en tirer le meilleur parti. Et à force de côtoyer ce soleil obscur qu’est Jérôme, Marianne finira par tomber irrésistiblement sous le charme discret de ce garçon timide mais si doué et gentil. Et les dilemmes se poursuivent...
Une histoire pleine, sensible, dont la réalisation méticuleuse joue parfaitement avec les ambiances et les humeurs, concoctant quelques ralentis sublimes tout en travaillant son cadrage signifiant. Le DVD sorti chez Blaq Out le 3 mai 2022 propose en outre un entretient et un débat avec le réalisateur (enregistré à Cannes).
Titre original |
Les Magnétiques |
Date de sortie en salles |
17 novembre 2021 avec Paname Distribution |
Date de sortie en vidéo |
3 mai 2022 avec Blaq Out |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Vincent Maël Cardona |
Distribution |
Thimothée Robart, Marie Colomb & Joseph Olivennes |
Scénario |
Vincent Maël Cardona, Chloé Larouchi, Maël Le Garrec, Rose Philippon, Catherine Paillé & Romain Compingt |
Photographie |
Brice Pancot |
Musique |
David Sztanke |
Support & durée |
DVD Blaq Out (2022) zone 2 en 2.39:1 / 98 min |
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