Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
C’est le Grand Prix de la précédente Berlinale qui est proposé cette fois en DVD par Blaq Out, dans une édition minimaliste (juste la VO sous-titrée et un entretien avec le réalisateur) : le Ciel rouge a conquis une bonne partie des professionnels, ravis de voir à l’écran un film aux antipodes des superproductions actuelles : décors naturels, nombre de personnages restreint, effets spéciaux quasi-inexistants et une histoire au rythme lent axée sur l’évolution des sentiments du héros.
Synopsis : Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n'a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s'enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l'amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.
Parlons-en de ce héros : Léon, fils de bonne famille (on peut le supposer à certains indices sur son comportement), va passer quelques semaines dans une maison au bord de la mer, maison mise à leur disposition par la mère de son ami Félix. Tous deux sont censés se reposer mais également en profiter pour boucler leurs projets : un second roman pour Léon, un projet artistique pour Félix qui postule dans une école des Beaux-Arts. Première mauvaise nouvelle : leur voiture tombe en panne en pleine forêt, et il leur faudra un bon quart d’heure de marche avec leurs bagages. Pas de quoi rassurer Léon qu’on voit bougonner. Cela ne s’arrange pas à leur arrivée : la maison est occupée, par une jeune femme nommée Nadia ayant également été invitée par la propriétaire. Pire encore : impossible de dormir avec des cloisons aussi minces, surtout que Nadia a des nuits bien remplies et s’avère très bruyante dans la manifestation de son plaisir. Et elle se montre assez bordélique. Même si elle s’en excuse, Léon affiche ostensiblement sa réprobation : il couche dehors, refuse d’aller à la plage et se montre grossier lors de leur premier repas ensemble.
Ce personnage principal a tout pour déplaire : on n’explique pas, dans un premier temps, son manque d’empathie, voire de chaleur. Sans vraiment fuir la société, il s’y trouve manifestement mal à l’aise. Certes, son roman à achever lui prend de son temps et l’épuise sans doute intellectuellement, mais à la différence d’un Félix qui construit son projet tout en profitant de l’eau, de l’air et des plaisirs simples de l’été – ainsi que de la présence d’une Nadia très accueillante et de son ami Devid, maître-nageur plutôt amical – Léon s’enferme systématiquement dans son spleen. Quand il daigne accompagner son pote à la plage, il reste couvert et ne se baigne pas, préférant poser des questions indiscrètes sur Devid. Le seul loisir auquel on le voit s’adonner est de lancer une balle contre un mur, tout seul. Pathétique. Et encore plus lorsqu’on le voit bredouiller de piètres excuses et commettre gaffe sur gaffe face à une Nadia qui persévère dans son approche généreusement bienveillante. D’ailleurs, ces trois jeunes gens se montrent singulièrement indulgents avec lui tandis que les premiers frémissements de la tragédie approchent : les incendies de forêt gagnent du terrain, mais ils devraient normalement être à l’abri. Normalement.
L’accent mis sur l’attitude inexcusable de Léon, sa propension à la goujaterie, ses réactions complexées et la manière dont les relations avec le groupe s’interpénètrent et évoluent dans une nature qui se replie sur eux vire lentement au conte, et en cela on sent clairement l’influence de Rohmer. Le rythme indolent, l’absence d’incidents et de péripéties (sauf dans le dernier quart d’heure) pourra lasser une partie du public, qui ne pourra même pas se réfugier dans la bande originale (le réalisateur a décidé de se passer de compositeur, estimant que la musique, désormais omniprésente dans notre société, a perdu de son utilité au cinéma - il n’utilisera que deux chansons pour son métrage) et se contentera peut-être d’admirer une belle photo subtilement travaillée, sans doute volontairement polarisée. En dehors du rouge (le ciel éclairé par les incendies au loin, la robe de Nadia), les couleurs se fondent dans une palette homogène. Les sentiments affleurent, se dérobent dans les non-dits et les non-vus et Léon ne parvient jamais à exprimer sa détresse ou ses désirs, réagissant machinalement comme un animal blessé : les plaisanteries des autres l’insupportent, les sourires des autres nourrissent son malaise et il ne sait qu’opposer des refus aux invitations qui jaillissent spontanément. Là où Félix et Devid parviennent à s’adonner aux félicités promises par un corps jeune à la saison chaude, où Nadia virevolte de l’un à l’autre en dispensant une bienveillance presque coupable, Léon cultive un rejet post-moderne en une forme de stoïcisme obtus, maugréant puis s’excusant - chaque fois, irrémédiablement, trop tard. Toujours en porte-à-faux, comme incapable de comprendre les codes relationnels, d’exprimer ce qui semble bouillonner en lui. Et ses pauvres rêves de grandeur s’effilochent alors que l’été s’avance et que les feux se rapprochent…
Une œuvre sensible, remarquablement interprétée (Paula Beer y est solaire, ceux qui avaient vu le très bon Chant du Loup comprendront ce que je veux dire), qui parvient à interpeller même si elle risque fort de ne pas captiver une partie du public. Il est vrai que le tempo languissant et l’antipathie que dégage Léon peuvent agacer ou ennuyer, que la mise en scène, excluant tout sensationnalisme (on est aux antipodes des films d’été où les corps s’embrasent et les désirs s’exacerbent) et se focalisant sur les visages, risque de ne pas retenir les spectateurs avides et voyeurs ; il est vrai également que l’emploi de l’allemand peut éloigner les plus réticents. Néanmoins, il n’a pas été récompensé pour rien, et les dithyrambes de la presse devraient inciter les plus curieux d’entre vous. Il est disponible en DVD depuis le 20 février 2024.
Titre original |
Roter Himmel |
Date de sortie en salles |
6 septembre 2023 avec les Films du Losange |
Date de sortie en vidéo |
20 février 2024 avec Blaq Out |
Réalisation |
Christian Petzold |
Distribution |
Thomas Schubert, Paula Beer & Langston Uibel |
Scénario |
Christian Petzold |
Animation |
Hans Fromm |
Musique |
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Support & durée |
DVD Blaq Out (2024) zone 2 en 1.85 :1 / 99 min |
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