Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un nouveau film d’Amat Escalante est toujours une nouvelle attendue des cinéphiles : le réalisateur barcelonais, collectionneur de trophées, s’est fait une jolie réputation dans les festivals (Lion d’argent à Venise pour la Région sauvage, Prix de la meilleure réalisation à Cannes pour Heli). Le voilà de retour avec une chronique mexicaine où s’entremêlent corruption, cause environnementale et lutte des classes.
Synopsis : Dans une petite ville du Mexique, Emiliano recherche les responsables de la disparition de sa mère. Activiste écologiste, elle s’opposait à l’industrie minière locale. Ne recevant aucune aide de la police ou du système judiciaire, ses recherches le mènent à la riche famille Aldama.
Perdidos en la noche est incontestablement un film ambitieux par les sujets abordés, et le soin apporté à la mise en scène, toujours à l’affût du plan signifiant, du cadrage subtil et d’éclairages esthétiques. La musique sobre laisse la place au visuel bardé d’images muettes que viennent entrecouper quelques dialogues bien sentis. Les deux préambules annoncent la couleur, qui sera rouge (car les fondus se font au rouge) : une vaste villa vide emplie d’objets artistiques hétéroclites ; l’arrestation nocturne d’une activiste par les forces de police. Survient alors, simplement, le titre du film, et on se retrouve trois ans plus tard avec Emiliano : comme tant de jeunes de son âge dans cette région désolée du Mexique, il cherche les petits boulots qui alimenteront son quotidien. Pour autant, il se tient à l’écart de la mine qui emploie la majorité des hommes valides du coin : c’est à cause de cette entreprise que sa mère a disparu et ses recherches, infructueuses, ne lui ont apporté que désespoir et une jambe cassée.
Soutenu par sa petite amie Violeta (bien que sa famille à elle soit hostile à leur relation, Emiliano n’étant pas très accepté en raison de son acharnement contre la mine), il remonte enfin une piste confiée par un policier sur son lit d’hôpital, qui le conduit à une villa cossue sur la côte : y résident Carmen Aldama, actrice renommée, sa fille Mónica qui s’est fait un nom comme influenceuse et son compagnon Rigoberto, artiste provocateur. Ce dernier est persuadé que les Aluxes, un groupe d’illuminés dont il a fait un portrait à charge, sont les coupables derrière la mort de deux de leurs chiens. Emiliano parvient à se faire embaucher d’abord comme homme à tout faire (il faut refaire les fenêtres qui ont été caillassées) puis comme gardien. L’occasion pour lui de pouvoir trouver un lien réel entre ces notables qui vivent au-dessus de leurs moyens et sa mère disparue : peut-être au fond de la citerne trouvera-t-il son cadavre, comme celui de tant d’autres au Mexique mis au jour par sa sœur…
Scandée par des plans monochromes superbes, notamment nocturnes, quelques couchers de soleil sur la baie et des gros plans sur les beaux visages de ces interprètes (avec une mention spéciale pour les yeux océan d’Ester Expósito, la très sexy interprète de Mónica – les amateurs de la série Élite l’auront déjà reconnue, les fans de films d’horreur savent déjà qu’elle est tête d’affiche du prochain film de Balagueró), l’histoire avance à petits pas par le biais de sous-entendus (Carmen et Rigoberto sont très potes avec Ruben, le chef de la police locale, et ce dernier connaît très bien Emiliano) mais l’enquête ne progresse guère. Quant à la mine, qui marque sa présence fantomatique par des détonations régulières, ou un petit panache de fumée au lointain, elle n’intervient que dans les conversations qui tournent toujours autour de cette alternative : la fermer pour préserver l’environnement (mais perdre tous les emplois qu’elle produit)/la maintenir ouverte pour préserver l’économie locale (mais au risque d’empoisonner les envions). Bien que montrée constamment du doigt, elle ne sera pas au cœur de l’intrigue qui tourne autour du pot et s’esquive en slalomant entre les scènes de ménage orageuses du couple d’artistes, les faux suicides mis en scène par la fille aînée et les atermoiements d’Emiliano.
Cela donne au final un film éthéré, plein de promesses, filmé avec soin (et peut-être une once de voyeurisme) et campant des interprètes rayonnants sur des personnages fuyants dont les motivations nous échappent, jusqu’à des révélations tonitruantes mais qui ne donnent pas toutes les réponses. Le métrage est beau et donne beaucoup à réfléchir tout en laissant un goût amer (peut-être celui du jus d’agave qui est au cœur d’un dialogue très cru entre Emiliano et sa copine) : il aurait pu se muer en tragédie, ou en drame social, voire en film néo-noir, cependant il choisit une direction qui paraîtra sans doute malaisante, et peut-être foireuse. S’il convaincra les esthètes, il risque de laisser plus d’un spectateur dans le doute. C’est là que l’entretien avec le réalisateur (le seul bonus d’un DVD minimaliste qui ne propose même pas de VF) peut donner l’éclairage manquant à ce film édité chez Blaq Out et en vente depuis début février 2024.
Titre original |
Perdidos en la noche |
Date de sortie en salles |
4 octobre 2023 avec Paname Distribution |
Date de sortie en vidéo |
6 février 2024 avec Blaq Out |
Réalisation |
Amat Escalante |
Distribution |
Juan Daniel Garcia Treviño, Ester Expósito, Bárbara Mori & Fernando Bonilla |
Scénario |
Amat Escalante |
Photographie |
Adrian Durazo |
Musique |
Kyle Dixon |
Support & durée |
DVD Blaq Out (2024) zone 2 en 1.85 :1 / 120 min |