Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Avec ses six Tony Awards remportés en deux ans à Broadway, il est devenu très vite évident que la comédie musicale Dear Evan Hansen serait très tôt adaptée à l’écran. Le tout était de trouver le casting technique, une adaptation pertinente et de voir si les acteurs sur scène pourraient rempiler : Stephen Chbosky, scénariste de la Belle & la Bête et réalisateur des remarqués Wonder et le Monde de Charlie semblait tout indiqué pour endosser le statut de metteur en scène de cette histoire centrée sur les affres du passage à l’âge adulte. Ben Platt étant autorisé à reprendre son rôle, il ne leur restait plus qu’à trouver une chorégraphe qui s’est avérée être Jamaica Craft, complice d’Usher et Justin Bieber et membre de l’équipe artistique sur les séries Lovecraft Country et Empire. Y avait plus qu’à.
Synopsis : Evan Hansen est un lycéen de 17 ans qui souffre de trouble d’anxiété sociale. Son thérapeute lui conseille de s’écrire quotidiennement une lettre pour l’aider à renforcer sa confiance. Lorsqu’un de ses camarades de classe, Connor, se suicide, Evan se retrouve au centre de la tourmente. Dans une tentative malavisée de réconforter la famille en deuil, Evan prétend qu’il était meilleur ami avec Connor.
Le résultat déroute. L’histoire en elle-même, avec sa situation initiale et son premier événement, a tout pour intriguer, voire enthousiasmer : Evan s’écrit des petites lettres car il est mal dans sa peau, et sa maman lui rappelle quotidiennement d’exécuter cette forme de rituel afin de renforcer sa confiance en lui et pouvoir s’intégrer plus aisément (visiblement, l’année précédente fut un fiasco sur ce plan). La première chanson donne vite le ton, avec l’intention de s’intégrer complètement dans le récit : les paroles ne sont pas qu’illustratives mais font carrément partie du dialogue et les personnages secondaires iront parfois jusqu’à répondre aux couplets – c’en devient même troublant lorsqu’un peu plus tard, alors qu’il est sur scène pour son hommage au garçon disparu trop tôt, il se met à chanter, que les spectateurs le filment en train de chanter mais n’y voient qu’un discours, comme le prouvent les réactions lorsque ce dernier est publié sur les réseaux sociaux. Une mécanique bien huilée, dans laquelle les Américains sont passés maîtres. En outre, il faut reconnaître que les titres sont particulièrement bien écrits et que leur orchestration, quoique parfois un peu ronflante (entre High School Musical et Cats) parvient à accompagner, voire renforcer l’émotion qu’ils génèrent. Reste l’interprétation : Ben Platt sait chanter, c’est incontestable, il a ce phrasé particulier de ceux qui se produisent sur scène et il s’évertue à varier l’intensité et le ton de sa voix autant que possible, cependant ses effets ont tendance à heurter la fluidité de la mise en scène, surtout dans les chansons les plus intimistes, avec une tournure grandiloquente qui colle mal au propos. En fait-il trop ? Difficile à dire, mais c’est au moins en partie dû à son expérience sur les planches. Toujours est-il que les Razzies Awards l’ont eu dans le collimateur, en partie pour ces excès.
Néanmoins, l’histoire de ce jeune homme qui, à la suite d’un malentendu, s’enfonce dans une spirale de mensonges uniquement par empathie (touché par la détresse de ces parents qui culpabilisent, par les doutes de cette fille qu’il aime en secret, par l’investissement de cette camarade qui lance un grand mouvement de solidarité) : plutôt qu’une authentique mythomanie, on est face à un garçon qui dit ce que ses interlocuteurs veulent entendre. Connor était un jeune homme très perturbé – le peu qu’on voit de lui suffit à s’en faire une idée, avec ses explosions de colère et ses sautes d’humeur : devant une mère éplorée qui ne parvient pas à trouver un bon souvenir, il en invente un. Oui, clame-t-il alors, Connor et lui étaient amis. Ils se voyaient, riaient ensemble et parlaient de leurs familles respectives. Et dans celle de Connor, Evan commence à sentir à l’aise, chouchouté par des parents qui retrouvent grâce à lui un peu de confiance en eux, un peu de sérénité, et l’acceptent comme leur fils – nous montrant, un peu maladroitement, c’est vrai, combien il souffre de l’absence d’une mère qui fait des heures supplémentaires afin de joindre les deux bouts et de mettre un peu de côté pour ses futures études. Mieux : Zoé, la sœur de Connor, qui a longtemps souffert de ses brimades et ne voyait en lui qu’un monstre égoïste, se rapproche de lui qui lui voue une passion cachée, trop timide pour lui dire ce que son cœur hurle en silence ; alors Evan utilise le souvenir du frère mort pour déclamer sa tendresse et se rapprocher d’elle.
videmment, le spectateur aguerri se doute que tout ce montage ne tient qu’à un fil et finira par s’effondrer sur lui-même : Evan est trop honnête, au fond, et ne pourra pas infiniment construire un tel échafaudage et invente des excuses bidon. D’ailleurs, Alana, la fille à l’origine du Connor Project, n’est pas si dupe et demandera force explications pour certains éléments qui la troublent dans son récit : en guise d’excuses, il lui donne alors un document qui rameutera encore plus d’admirateurs sur les réseaux, mais jettera l’opprobre sur la propre famille de Connor. Cette fois, il devra faire face à ses choix : dans cette situation, il n’y aura pas d’issue heureuse et quelqu’un en pâtira.
Le film se suit sans déplaisir. Si certaines parties virevoltantes montrent le savoir-faire de l'équipe artistique (avec quelques beaux plans-séquence au lycée), la réalisation s'avère finalement assez plate et circonstanciée, ne mettant que rarement en valeur les personnages ou les décors, comme si l'essentiel reposait sur les interprètes. C'est vrai que le casting est alléchant, mais Julianne Moore (dans le rôle de la mère d'Evan) apparaît peu et Amy Adams (la mère de Connor et Zoé) passe son temps à pleurnicher. Elles feront tout de même entendre un joli brin de voix, peut-être plus convaincant que les performances démonstratives des acteurs principaux. Quant aux connaisseurs, ils auront vite remarqué que la comédie musicale aura été remaniée, avec quelques coupes justifiées mais aussi des chansons rajoutées, ainsi qu'une orientation différente pour certains rôles.
Un film intéressant, qui parvient à donner une image pertinente du mal-être adolescent, de la difficulté d'établir des relations dans le monde actuel et du pouvoir grandissant des réseaux sociaux, qui ont définitivement créé un nouveau paradigme en la matière. Parfois touchant sans être bouleversant, cynique tout en étant sincère et délicat, il saura trouver son public.
Disponible en DVD et VOD depuis le 20 avril 2022 ainsi qu'en Achat digital chez Universal France.
Titre original |
Dear Evan Hansen |
Date de sortie en salles |
12 janvier 2022 avec Universal Pictures |
Date de sortie en vidéo |
20 avril 2022 avec Universal Pictures France |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Stephen Chbosky |
Distribution |
Ben Platt, Kaitlyn Dever, Julianne, Moore, Amy Adams & Daniel Pino |
Scénario |
Steven Levenson d’après la comédie musicale de Steven Levenson, Benj Pasek & Justin Paul |
Photographie |
Brandon Trost |
Musique |
Benj Pasek & Justin Paul |
Support & durée |
Blu-ray Universal (2022) region B en 1.78:1 / 137 min |