Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
On a dit de ce film qu’il n’était qu’une pâle resucée nourrie aux dollars du grand classique de Haskin (produit en 1953 par George Pal), qu’il était niais et ne se reposait que sur des effets spéciaux assez réussis. D’autres y ont plutôt vu le retour attendu de l’enfant-prodigue du cinéma dans son domaine de prédilection, avec une œuvre ciselée et forte, ambitieuse et référentielle. Avec le recul, après deux films apparemment secondaires mais au sous-texte plutôt riche, Spielberg n’a certainement pas cherché à se reposer sur ses lauriers : sa version de la Guerre des mondes est loin d'être anecdotique.
Dès le départ, depuis sa projection au cinéma - et malgré la VF imposée dans mon complexe de référence - j'allais plutôt dans le sens des défenseurs du film. Déjà, a priori, on détecte une maîtrise étonnante (quoique attendue de la part de Spielberg) de la technique cinématographique : l'éclairage, le cadrage, la mise en situation des personnages, le design répondent à un cahier des charges précis qui cherchait sans aucun doute à marier de façon un peu osée un scénario, une ambiance et des préoccupations typiquement wellsiens (le roman éponyme a été publié en 1898) avec des effets, une narration et une structure plus modernes.
L’éternel débat sur la qualité (et la pertinence) de l’adaptation n'a pas lieu d'être, tant le nombre de remakes atteint ces dernières années un chiffre ahurissant, et n'est pas près de s'arrêter. On pourra toujours gloser sur l'iniquité de telles pratiques et la vacuité des scénarios originaux actuels, toujours est-il que le film existe et que d'autres, construits sur le même principe, ont été des réussites : le remake de la Chose d'un autre monde par John Carpenter en est un bon exemple, meilleur que celui de l'Invasion des profanateurs par Kaufman, malgré les moyens et une distribution ad hoc. Parfois ce n'est pas tant la réalisation que le détournement des thèmes qui peut laisser le cinéphile perplexe : certains ont détesté et d'autres adoré la Mouche de Cronenberg, finalement assez éloigné de son modèle original. Quoi qu’il en soit, la version originale sur grand écran, si elle n’atteint pas les promesses du méga-canular radio d’Orson Welles (en 1938, il avait carrément terrifié l’Amérique), demeure un film de référence.
Ici, quel que soit le degré d'hommage qui ait été porté, quelle que soit la volonté de coller au roman de H. G. Wells ou à l'émission culte de Welles, voire au premier long métrage, force est de constater que Spielberg a mis la plupart des œufs dans le même panier. J'ai été particulièrement impressionné par les bruitages, surprenants, habiles mélanges entre des effets d'un autre âge (cf. justement le programme radiophonique qui misait quasiment tout là-dessus) et une dynamique portée par le matériel actuel : la sirène ou les rayons destructeurs (de la mort) sont de véritables réussites. L'ambiance générale du film est véritablement soutenue par une piste sonore extrêmement riche, et notamment en basses, tout en ménageant des séquences totalement silencieuses dont la tonalité et le côté abrupt renforcent le caractère tragique.
Côté score, Si John Williams n'a pas signé une partition éblouissante, elle n'en demeure pas moins efficace, avec entre autres ce passage scandant des notes sèches à la façon de l'inégalable thème de Jaws.
L'interprétation est au diapason, je trouve, malgré un réalisateur qui ne se prive pas de faire des close-ups sur des regards terrifiés ou désespérés. On trouve Dakota Fanning fatigante ? Elle est au contraire éblouissante. Seul regret : c'est qu'à force de jouer des petites filles trop mûres pour leur âge, elle va sérieusement limiter ses castings - elle est absolument quelconque dans Twilight. Ici, elle fait un magnifique pendant féminin à un Ray aux traits lourds bien appuyés (on use parfois de grosses ficelles, il est vrai) et fait montre simultanément d'une sagesse et d'une émotivité hors du commun, qui permettent d'introduire comme il faut les séquences les plus intimistes et les plus dramatiques. Certaines font appel à l'imaginaire collectif : la scène où elle est sous les feux des projecteurs du tripode en rappelle d'autres, classiques, mais elle ne fait pas tâche. Sa relation avec ce papa puéril est délectable : c'est lui l'impulsif, et la petite dispose de la voix de la raison. Dans une famille encore une fois recomposée (le trauma spielberguien dans toute sa splendeur), avec un fiston amer qu'on aimerait tant de fois gifler - mais qui n'est là que pour renvoyer à Ray son échec cuisant en tant que père - le rôle de sauveur de l'humanité en prend un coup. D'ailleurs, même si Tom Cruise sera constamment au coeur de l'action, ce n'est pas de cela qu'il s'agit : il ne disposera pas d'un virus informatique qui anéantira le réseau extraterrestre, il ne dévoilera pas une stratégie brillante qui déjouera le plan des aliens, il ne pensera qu'à survivre et à mettre ses enfants à l'abri.
Enfin, le rythme est une réussite, avec des scènes d'action spectaculaires magistralement dosées. Certes, l'influence avec le travail de Shyamalan est manifeste, mais il y manque la symbolique et la profondeur des dialogues. Ici, le désespoir est permanent, la survie est prépondérante, une survie âpre, acharnée où les actes d'héroïsme n'ont pas lieu d'être et sont noyés dans l’urgence de la foule des gens qui fuient, parfois passifs (on n'est pas loin de l'exode qu'ont connu nos grands-parents), parfois en pleine panique. Lorsqu'on se bat, c'est contre son voisin, pour une meilleure place, pour une arme, pour un moyen de transport, n’importe quoi qui permettra de gagner quelques précieuses secondes de vie. A courir, courir encore, jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus et qu’on attende la mort.
Nos "héros" croisent des soldats qui font leur boulot malgré la vanité de leurs efforts brouillons quoique nimbés d'un certain courage. Pas étonnant que le gamin, ce grand gaillard irrespectueux qui passe son temps à critiquer le laxisme d’un père complètement dépassé, décide de les suivre : à cet âge-là, tout vaut mieux que rester dans le troupeau bêlant des fuyards. Agir, lutter. Oui, mais contre quoi ? Et comment ? Là encore, la façon dont les assauts sont repoussés d'une chiquenaude par nos extraterrestres trop bien protégés rappellent des scènes connues : à la place d'une roue de voiture qui revient seule, on surprend quelques misérables Hummers enflammés, vestiges d’une énième action vouée à l’échec.
A ce propos, avez-vous remarqué la manière dont sont traitées les forces de l'ordre ? Ca fera sans doute hurler certains tenants de l'anti-américanisme, mais il n'est pas jeté sur elles un œil condescendant, au contraire : les soldats, s'ils ne sont pas des plus futés, font ce qu'ils peuvent pour endiguer la panique, calmer les réfugiés et lutter contre les tripodes, sachant l'inanité de leur entreprise. Presque de la bienveillance pour ces gars-là, ce qui est plutôt rare de nos jours. Attention ! Il ne s'agit pas, là encore, d'héroïsme, mais d'une sorte de reconnaissance implicite de leurs efforts : le soldat n'est pas vu ici que sous l'angle du combattant, qui apparaît secondaire tant la supériorité des adversaires est patente, mais aussi et surtout sous celui du gardien de la paix, qui devra dominer ses émotions et faire barrage de son corps pour permettre la survie des civils. Après le 11 septembre de sinistre mémoire, il ne manquait que les sapeurs-pompiers...
Au final, le spectacle est intense, pas toujours très subtil (on aurait pu par exemple éviter que Tom Cruise soit le seul à remarquer la désactivation du champ de force, mais il fallait bien concéder quelque chose à la tête d'affiche dont le personnage de père incapable, irresponsable, a bien du mal à s'amender), néanmoins c’est porté par un tempo idéal et une bande-son superbe. Une vraie réussite du genre, à déguster et revoir avec plaisir, d'autant que le blu-ray met magnifiquement en valeur le travail du chef oéprateur qui a opté pour un grain très présent, une image saturée aux teintes délavées et de nombreux effets de halos qui surprennent de prime abord, avant d'emporter l'adhésion.
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Titre original |
War of the worlds |
Mise en scène |
Steven Spielberg |
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Date de sortie |
6 juillet 2005 avec UIP |
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Scénario |
Josh Friedman & David Koepp d'après H. G. Wells |
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Distribution |
Tom Cruise, Dakota Fanning, Miranda Otto & Tim Robbins |
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Photographie |
Janusz Kaminski |
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Musique |
John Williams |
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Support & durée |
Blu-ray en 1.85 : 1 / 116 minutes |
Synopsis : Docker solitaire, récemment séparé de sa femme, Ray se voit confier ses deux enfants pour quelques temps, chose qu’il n’apprécie guère car il est incapable de s’entendre avec le plus grand, même si sa fille lui garde son affection. Juste après, un orage violent éclate. Ray se précipite pour voir où est tombée la foudre, et se retrouve face à une machine surgie des entrailles de la Terre qui se met à pulvériser les gens alentour. Il est temps de s’enfuir, mais une pulsation électromagnétique a mis hors d’usage la plupart des appareils…