Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
On a beau tenter de s’en préserver, pour peu qu’on vive dans le réel, on ne peut échapper à une campagne marketing habile. Il n'est pas facile de nos jours de réussir à se préserver de toute information parasite avant une première séance. Aussi, au moment de s’y rendre, consciemment ou non, on se prépare en fonction des commentaires interceptés, des critiques survolées - et Inception avait bénéficié d'un énorme buzz préalable. Du coup, soit on se blinde, histoire de ne pas se transformer en groupie attardée et bêlante, soit on s’ouvre complètement à la béatitude attendue.
Pas aisé d’arriver face à l’écran vierge de toute information ou impression.
Pour Inception, je m’attendais donc à une date et un choc. A ressortir de la salle un peu groggy avec le sentiment de ne pas pouvoir oublier la séance, qu’elle restera à tout jamais pour plein de raisons différentes.
Là-dessus, c’est presque réussi. Inception fera date, c’est incontestable. C’est brillant, effréné (malgré la longueur, on n’a jamais l’impression que la tension retombe) et bluffant. Nolan distille ses séquences avec minutie et intelligence, s’appuie sur un montage efficace et une bande-son impressionnante (la musique de Zimmer peut sembler « envahissante », je l’ai adorée, trouvant qu’elle collait parfaitement au rendu du film). Les interprètes paraissent choisis avec un soin particulier et la cohérence du casting est surprenante, malgré leurs origines disparates.
Nous avons donc un grand film d’action, démesuré, sur fond de SF. Matrix, en son temps, nous avait fait le coup. Otez-y tout discours philosophique lénifiant et renforcez les implications morales et vous vous rapprochez de l’expérience Inception. Et puis, malgré des effets spéciaux au rendu incroyable, il n’y a pas non plus ce côté tapageur, ostentatoire ou clinquant : le film de Nolan ne lancera vraisemblablement pas de mode vestimentaire (à moins qu’on voie les élèves se rendre à l’école avec une mallette métallique ?). Tout au plus d’autres productions s’engouffreront-elles dans l’exploration de l’inconscient.
Or, ce n’est pas un thème nouveau. Dreamscape nous proposait déjà de nous immiscer dans les rêves d’un autre – pas de biais technologique, mais des dispositions spécifiques chez certains d’entre nous, comme un pouvoir mutant. J’ai le souvenir d’un film assez enlevé qui se permettait quelques expérimentations. Plus près de nous, Paprika nous dévoilait une intrigue similaire, complexe, avec des dérapages dans les possibilités de contrôle des rêves et les conséquences dramatiques qui ne peuvent qu’en découler.
Inception ne renie jamais sa nature de film à grand spectacle : il nous en met plein la vue. Mais Christopher Nolan y ajoute sa patte méthodique, un peu clinique. Cette exploration des différentes strates de rêves emboîtés, des interactions entre elles et la réalité s’accomplit au travers de la quête d’un homme brisé : une quête désespérée. Cobb veut retrouver sa famille, ses deux enfants dont il est séparé pour une sombre affaire judiciaire. Il a perdu sa femme – mais il la retrouve systématiquement dans les missions qu’il effectue à l’intérieur des rêves. En montant son ultime mission, il ne révèle pas à ses coéquipiers les risques qu’ils encourent à affronter les stigmates de sa psyché.
Certains avaient évoqué Ocean’s Eleven comme référence. Ca m’avait paru incongru – et inquiétant. Mais ça se tient, tout bien considéré : une bonne partie du film n’est que la préparation d’un casse monumental – et à l’envers. Chaque membre de l’équipe a sa spécificité et seule Ariadne (excellente, comme toujours, Ellen Page), la conceptrice/architecte des rêves recrutée, se doute que les choses risquent de mal tourner si Cobb (Leonardo, impeccable, comme souvent) ne maîtrise pas ses remords.
Au final, Inception m'a moins passionné, transporté que le Prestige mais il est remarquablement écrit et interprété, sans temps mort et doté de visions stupéfiantes. On peut, regretter que ces visions oniriques aient un aspect réaliste, matériel et géométrique ; cela ajoute encore à l'intelligence du propos, même si, c'est vrai, je suis assez client de ces univers distordus, fluctuants et (finalement) effrayants qu'on trouve dans les bons films qui s'y sont frottés. C’est comme si Nolan refusait de nous hypnotiser par des images délétères, préférant nous exposer un monde présenté comme irréel (celui des rêves) avec les matériaux du nôtre. Les rêves dans lesquels évoluent nos protagonistes ne sont donc pas ceux où rôde Freddy Krueger (encore que…) : ce sont ces songes dont on se souvient avec une boule d’angoisse car ils avaient une fâcheuse apparence de réalité, ceux dont on se réveille désemparés, parce qu’on y croyait presque. Et le retour au réel s’accompagne immanquablement d’un soupir. Le vertige proposé n’est donc pas immédiat, il est concomitant de l’atterrissage (douloureux) lorsqu’on s’en réveille.
J'étais prêt à adhérer totalement à ce film : il contient une grande partie de ce que je recherche au cinéma et, objectivement, je n'ai pas grand-chose à reprocher. Même les motivations des personnages (ils ont tendance comme Fischer – le toujours très bon Cillian Murphy – à accepter un peu trop facilement ce qui se passe et suivent sans coup férir les indications de Cobb) peuvent s'expliquer si on accepte un postulat qui deviendra de plus en plus évident au fur et à mesure que se déroule l’intrigue (d'où des enchaînements de faits un peu étrange, des décisions hâtives et une logique particulière).
Ce qui m'a gêné, c'est de ne pas être submergé : les très belles scènes entre Mal (Marion Cotillard, brillante je dois dire, au jeu plus sobre qu’habituellement) et Dom Cobb sont bien cadrées et interprétées, mais ne me touchent pas. Sans doute un effet de certains choix artistiques (couleurs froides, musique tonitruante de Zimmer - ah, ces cuivres vrombissants qui emplissent l’atmosphère et décuplent la tension !) : Nolan joue sur une palette de sensations (comme le déclare Ariadne d'ailleurs lorsqu’elle visite pour la première fois un rêve construit) plutôt que sur les émotions ; David Lynch, par exemple, est nettement plus dans la subtilité floue, dans la rupture - ses moments de rêve, fréquents dans Twin Peaks, marquent davantage une irruption de l'irréel (couleurs chatoyantes mais agencées bizarrement, rappels et concordances mnésiques, déplacements improbables - au ralenti, à l'envers, en apesanteur - langage inintelligible au premier abord avec des changements de vitesse et de ton) qui entraîne dans ses fantasmes des bribes d'émotion brute. De même, chez Nolan, le récit est maîtrisé de bout en bout, les ouvertures finales ne sont en fait que des artifices ne masquant pas le côté fini du script où chaque élément trouve son correspondant et renvoie à un autre. Lynch se permet au contraire de perdre ses spectateurs, de ne leur offrir que certaines possibilités de reconstruction, des clefs qui n'ouvrent pas toujours, des codes qui ne fonctionnent pas forcément : il suggère beaucoup et n'impose rien d’autre que des visions, des expériences et des émotions.
Dans les deux cas, le cerveau travaille : le terrain est balisé chez Nolan (comme chez Kubrick par exemple – dont j’accepte le rapprochement osé de certains commentateurs - mais ce dernier va jouer sur d'autres repères, d'autres balises dont certaines font appel à des connaissances plus implicites) et, pour peu qu'on s'en donne la peine, malgré les accidents de parcours, tous prévus, on arrive au bout. Ca n'est pourtant pas aussi facile que ça : pas de discours d'introduction, pas de séquence flashback rétroexplicative (comme dans Usual Suspects) : il faut juste ne pas lâcher l'affaire et, pour cela, accepter les enjeux et les codes imposés. Pour peu qu'il y ait une rupture dans le déroulement (trucage raté, jeu d'acteur calamiteux, enchaînement inacceptable), on peut décrocher du sense of wonder, sortir de la diégèse et ne pas en récolter les fruits.
Lynch ne garantit pas cela, ce qui en gêne énormément : on peut se perdre en route, ou trouver des conclusions qui ne nous satisferont pas. Ses films sont-ils plus intelligents pour autant ? Moins ? Plus intelligents parce que roublards, peut-être ? Moins intelligents parce que sans fondement ni structure cohérents ? Je pense juste qu'ils supposent une même quantité d'attention, une même acceptation mais un peu plus d'ouverture d'esprit. A mon avis, Inception risque de dérouter un peu les non-lecteurs de fiction, mais ils auront leur compte de scènes spectaculaires et de moments de haute voltige qui leur feront gober le reste (le bon spectateur est celui qui accepte d’être « dupé »), même sans y voir les implications. C'est ce qui a perdu les Wachowski sur les suites de Matrix : les amateurs de SF les ont trouvés pédants, les non-initiés les ont trouvés abscons. Les premiers se contentaient des implications liminaires et suggérées du premier film, les seconds ne demandaient rien d'autre que de la baston graphique.
Inception est à la fois plus ambitieux et plus mesuré, ce qui dénote encore une fois une véritable intelligence dans son agencement. Que des spectateurs se soient sentis choqués par les implications du finale m’étonne un peu : c’était tellement évident – et en même temps, ça n’a pas d’importance, le film ne repose pas du tout sur un éventuel twist de conclusion puisqu’il ne propose qu’une alternative et réduit donc les possibilités d’ouverture.
Un très grand film, impressionnant, puissant. A ne pas manquer.
Titre original | Inception |
Date de sortie en salles | 21 juillet 2010 avec Warner Bros. |
Date de sortie en vidéo | 8 décembre 2010 avec Warner Bros. |
Photographie | Wally Pfister |
Musique | Hans Zimmer |
Support & durée | Blu-ray Ultra HD 4K Warner (2017) region All en 2.40:1 / 148 min |
Image :
Faisant partie des films "récents" de Nolan, on s'attend forcément à du très bon. Déjà, exit l’IMAX, dans ce film il n'y en a pas, alors on va se contenter des procédés Panavision (certains plans en super 70 tout de même).
On gagne en netteté mais franchement pas autant que je l'aurais espéré. On a une excellente profondeur de champ, certains vues aériennes sont à tomber. Mais ce n'est pas le choc visuel, l'image est superbe sans rien de transcendant, elle n'arrive pas à la cheville des énormes séquences IMAX de Dark Knight.
Les textures gagnent aussi en précision, mention très bien sur les costumes. Et comme toujours, la luminosité et la colorimétrie assurent le spectacle et nous rassurent : oui, on est en 4K et oui, on est en HDR. Dès le début (la séquence sur la plage avec les vagues, la texture de l’écume, la profondeur de champ sur les falaises, la limpidité du ciel bleu, la précision du contour des enfants), on sent insidieusement qu’il y a un gain, notamment dans les séquences plus sombres. Un encodage parfait et méfiez-vous des éblouissements provoqués par les explosions et les éclats de lumière, le HDR va vous exploser la rétine.
Son :
DTS HD-MA pour la VF, j'ai besoin d'en dire plus ?
Si la piste Dolby Digital du blu-ray assurait le spectacle, celle-ci l’enterre au niveau de la puissance de de la précision, surtout que les passages avec des basses abyssales sont légion dans ce film. Et je ne parle pas des coups de feu, non les "décharges" avec leurs basses de folies qui restent pendant plusieurs secondes. En outre, on profite d’une très belle spatialisation dont la VO était jusque-là seule garante.
Un disque nanti de deux belles pistes audio.
Critique : Inception (Christopher Nolan)
Critique Inception, de Christopher Nolan avec Leonardo DiCaprio, Marion Cotillard, Ellen Page. Christopher Nolan nous plonge d'entrée de jeu dans son concept : Dom Cobb et son partenaire Arthur ...
http://www.silence-action.com/2010/07/critique-inception-christopher-nolan/
Inception (Christopher Nolan, 2010)
Gigantesque labyrinthe narratif paradoxalement très clair, Inception trouve la recette parfaite du blockbuster intelligent, développe le scénario le plus brillant vu à Hollywood depuis des lust...
https://www.screenmania.fr/film-critique/critique-inception-2010/