Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Mikey Saber revient dans sa ville natale du Texas après des années de carrière de pornstar à Los Angeles. Il n'y est pas vraiment le bienvenu... Sans argent, sans emploi, il doit retourner vivre chez son ex-femme et sa belle-mère… Pour payer son loyer, il reprend ses petites combines mais une rencontre va lui donner l’espoir d’un nouveau départ.
Sean Baker s’est retrouvé en 2020, comme la quasi totalité de l’humanité, confiné chez lui. L’ambitieux projet sur lequel il travaillait depuis deux ans complètement à l’arrêt, il s’est vu proposé une petite somme d’argent pour réaliser un projet plus modeste et c’est là qu’il a ressorti de ses tiroirs l’idée de Red Rocket.
Il prépare le film avec certains des comédiens et l’équipe mais c’est seulement trois jours avant le début du tournage qu’il recrute l’acteur principal du film, Simon Rex, après une audition de cinq minutes sur son téléphone, et qui accepte sans trop savoir ce qu’il va jouer et doit foncer rejoindre l’équipe au Texas pour éviter une quarantaine.
C’est sur la route que Simon Rex découvre le personnage de Mikey Saber qu’il va devoir interpréter : un quarantenaire haut en couleurs et au verbe haut débit qui rentre complètement fauché et passablement amoché dans sa petite ville de Texas City après 17 ans d’une carrière d’acteur dans le milieu du porno à Los Angeles. Il échoue sur le canapé de la maison où sa femme, dont il est séparé, est retournée vivre avec sa mère en échange de la promesse d’une contribution au loyer. Commence alors pour Mikey une errance à vélo dans cette Amérique des périphéries et des laissés pour compte, sur fond d’élection de Trump, entre petit deal, prostitution et boulots minables. La galerie de personnages qu’il rencontre dépeint cette Amérique des banlieues de l’Americana ; Sean Baker est allé cherché de nombreux comédiens non professionnels, ce qui ajoute au côté quasi documentaire du film.
Mikey apparaît rapidement manipulateur et sans scrupule, même si la formidable interprétation de Simon Rex parvient à nous le rendre attachant par moments, du moins dans la première partie du film où on le croit en quête de réinsertion et de rédemption. Il retrouve petit à petit le chemin du lit de sa femme qui récupère un peu d’espoir, et rapporte un peu de bonheur autour de lui. Mais c’est quand il rencontre Strawberry (Suzanne Son), une vendeuse de donuts encore mineure à la beauté et à la sensualité ravageuses, qu’il révèle sa véritable nature de prédateur sexuel. La jeune fille ne semble avoir peur de rien et rêve de quitter sa vie minable sans avenir : une relation débridée démarre alors entre eux. Devant la fougue de la jeune fille, Mikey se prend ainsi à rêver d’un retour triomphal à Hollywood aux côtés de cette quasi lolita dont il se dit qu’il pourrait faire une actrice porno à succès qu’il pourrait exploiter. La jeune Strawberry oscille entre candeur et petites phrases qui révèlent une bien meilleure compréhension du monde qu’il n’y parait, et on a du mal à la croire tout à fait dupe de cet espèce de bellâtre qui transpire le mensonge et l’échec. Il devient alors difficile d’aimer Mikey même si on le sent parfois tourmenté et peut être pris de remords, notamment dans cette scène incroyable quand Strawberry chante au pied du lit, en s’accompagnant au piano, la chanson « Bye Bye Bye » de sa voix bouleversante et où la caméra se rapproche lentement de lui.
L’étrange relation qu’il tisse avec son jeune voisin fasciné par le porno et les anecdotes que Mikey lui raconte permet au réalisateur de parler de l’industrie du film pour adultes et de son machisme de manière détournée. Néanmoins, Mikey reste un loser dont on imagine difficilement qu'il puisse s’en sortir et qui ne peut qu’être rattrapé par son manque de considération pour les autres et son égoïsme absolu.
Sean Baker voulait ainsi parler avec ce film des suitcase pimps, sorte de proxénètes modernes qui vivent de l’exploitation de leur partenaire sexuelle à l’écran, hommes de l’ombre d’une industrie qui reste mystérieuse pour la plupart.
Le métrage est tourné sur pellicule et l’image a ce gros grain propre au 16mm du cinéma américain indépendant - qui se fait rare aujourd’hui et qui nous ramène avec délice aux temps pré-Netflix où l’on guettait en salle les nouveaux réalisateurs issus de Sundance qui racontaient une Amérique éloignée des représentations du cinéma mainstream et des blockbusters. Les acteurs sont formidables, aussi bien les premiers rôles que les seconds, et totalement investis, les dialogues justes et parfois drôles, et il n’y que la trop longue durée du film (qui semble être le lot de tous ceux qui sortent en ce moment) qui pose problème ; Red Rocket aurait mérité une bonne coupe d’au moins 30 minutes pour arriver à l’excellence.
Cela dit, le film a raflé de nombreux prix déjà et on lui souhaite un beau succès en salles.
Titre original |
Red Rocket |
Date de sortie en salles |
2 février 2022 avec Le Pacte |
Date de sortie en vidéo |
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Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Sean Baker |
Distribution |
Simon Rex, Bree Elrod, Ethan Darbone, Judy Hill, Suzanna Son, Brenda Deiss & Vickie Pearce |
Scénario |
Sean Baker & Chris Bergoch |
Photographie |
Drew Daniels |
Musique |
Matthew Hieron-Smith |
Support & durée |
16 mm en 2.35:1/130 min |