Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Londres - 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…
Tromperie est sans doute le film que Desplechin désirait faire depuis longtemps, l’adaptation aussi fidèle que possible de l’autobiographie de son maître à penser, ce Philip Roth qui hante ses scripts depuis toujours. Les amateurs du cinéaste habitué de la Croisette comme de l’écrivain américain ne doutaient sans doute pas que le réalisateur de Rois & Reine finirait par porter à l’écran ce roman débridé, bavard, pernicieux, passionné mais non dénué de tendresse. De son propre aveu, c’est l’impact du confinement de 2020 qui a fini par le mettre dans le bon état d’esprit et il a pu vaincre le signe indien en trouvant la bonne approche pour son scénario avant de faire appel à ses comédiens habituels, dont l’inamovible Emmanuelle Devos (septième collaboration !).
La sincérité et cette vénération du metteur en scène transpirent à l’écran, c’est indéniable, et l’on retrouvera très vite certains tics d’écriture qui puisent dans l’œuvre de l’auteur, s’accordant avec sa façon particulière de chouchouter ses personnages, de leur tourner autour, de construire pour eux des cadres signifiants et des décors destinés à les mettre en exergue. Tout en réarrangeant légèrement la chronologie, il échafaude son métrage par le biais de petits chapitres posant des balises géographico-temporelles dans le récit de cet amour adultérin entre une jeune femme malheureuse et un écrivain placide et doué, pétri d’une tendre passion transcendant le fantasme : de l’automne à l’été, cette aventure sans lendemain est entrecoupée de séquences toujours centrées sur Philip, parfois avec une ex, malade, dont il prend des nouvelles, la femme d’un ami d’Europe de l’Est (rien ne l’arrête !) ou sa propre femme, fantomatique. Le livre étant essentiellement à base de dialogues, ceux-ci constituent la matière première du film : précieux, ciselés, acides, ils dévoilent sans pudeur les préoccupations des interprètes, leurs peurs secrètes, leurs passions inavouables et leur désir de tendresse tandis que Desplechin tisse autour d’eux des fonds artificiels, des transitions osées (avec le retour de la fermeture à l’iris) ainsi que quelques astuces de montage périlleuses (dont un joli split-screen très nostalgique). L’investissement de l’équipe artistique est patent, celui des acteurs évident, celui du réalisateur naturel : toute la grammaire filmique est mise à contribution, et nous sommes en passe d’assister à une leçon de cinéma.
Le principal problème, c’est que ça ne prend pas. Quasiment jamais, en fait. Et dès le début. On ne va pas incriminer les comédiens : Podalydès est indéniablement juste, et Léa Seydoux, n’en déplaise à ses nombreux détracteurs, incarne parfaitement cette Anglaise à fleur de peau, déchirée entre raison et sentiments, qui se jette à corps perdu dans les bras de son amant énamouré tout en regrettant de n’en faire plus auprès de son mari incapable. Mais les échanges de diatribes, de longues répliques sentencieuses, d’arguties et d’arguments avaient davantage leur place sur les planches : malgré tous les efforts de mise en scène ludique, on assiste, impuissant, à un théâtre filmé stylisé, lent, volubile et lourd qui tend à poser une sorte de voile entre les personnages et nous, les rendant creux et sans substance malgré leurs errances, leurs pleurs et leurs (rares) accès de colère. D’autant qu’en outre, dans cette ère post-Metoo, les frivolités d’un écrivain volage, quand bien même il aimerait sincèrement ses maîtresses, peinent clairement à convaincre.
Le film se déroule ainsi, cahin-caha, enfilant les dialogues comme autant de perles insipides, stigmatisant les moments de passion, parvenant si mal à transcrire la fureur de certains mots, leur puissance évocatrice et le potentiel érotique de quelques scènes. Pourtant, dans certains silences, par un geste tendre, un regard appuyé, un insert subtil, on surprend une étincelle, une parcelle d’émotion qui se dilue bien vite lorsque les bouches se rouvrent et les langues se délient. Et puis, il faut reconnaître qu’on finit par se prendre un peu au jeu, savoir ce qu’il advient de cette relation : va-t-elle quitter son mari ? Va-t-il quitter sa femme ? Oh, il ne faut guère s’attendre à un gros suspense en forme de thriller, comme semble le suggérer la bande-annonce : l’auteur des livres ne fait aucun doute, même si leur texture se fonde sur des moments intimes empruntés à ses partenaires. Portés par une partition particulièrement délicate, les deux derniers chapitres s’avèrent les plus réussis également : les nœuds gordiens se resserrent, la vérité éclate et les personnages tombent leurs masques (sauf l’un d’entre eux, qui parvient à s’en sortir par une pirouette dont il semble avoir l’habitude). L’intensité est à son comble et l’épilogue enchaîne avec une exquise élégance.
On pourra ainsi critiquer les choix de Desplechin, mais sa démarche demeure sincère et aboutie. Si elle ne prendra pas sur beaucoup, elle trouvera peut-être des échos chez ses admirateurs ou ceux de l’écrivain et l’on ne peut nier la qualité du travail ni celle des performances (même si souvent en porte-à-faux) avec en point d’orgue celles de la lumineuse Emmanuelle Devos (qui est la seule à toucher du doigt cette authenticité, cette simplicité naturelle qu’on espérait) et de l’étonnante Anouk Grinberg qui mettra judicieusement à profit chacune de ses pourtant discrètes apparitions. À vous de voir si vous désirez vous y frotter.
En VOD, Blu-Ray, EST et DVD depuis le 4 mai 2022 avec Le Pacte.
Titre original |
Tromperie |
Date de sortie en salles |
29 décembre 2021 avec Le Pacte |
Date de sortie en vidéo |
4 mai 2022 avec Le Pacte |
Date de sortie en VOD |
4 mai 2022 avec Le Pacte |
Réalisation |
Arnaud Desplechin |
Distribution |
Denis Podalydès, Léa Seydoux, Anouk Grinberg & Emmanuelle Devos |
Scénario |
Arnaud Desplechin & Julie Peyr d’après l’œuvre autobiographique de Philip Roth |
Photographie |
Yorick Le Saux |
Musique |
Grégoire Hetzel |
Support & durée |
DVD Le Pacte (2022) zone 2 en 2.35 :1 / 105 min |