Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Foin de la morosité ambiante, allons prendre l’air ! Et tant pis pour ceux qui voudraient nous en empêcher !
Las ! Le quotidien délétère se rappelle bien vite à nous et, pour peu qu’on veuille dépasser le rayon de 10 km admis, il ne nous reste plus qu’à nous rabattre sur la vidéo. Ça tombe bien : les salles obscures demeurant fermées, les films prévus au catalogue des distributeurs se retrouvent dans les bacs vidéo et sur les plateformes VOD. Parmi eux, un curieux petit film (petit par la durée : moins d’une heure et demie) nous promet une balade aérienne à bort d'un bombardier ! En outre, il commence à faire le buzz. D’une part car il est issu d’un script imaginé à l’origine par Max Landis (oui, le fils du réalisateur du Loup-Garou de Londres et des Blues Brothers) mais qui avait fini aux oubliettes à cause de l’ostracisation du scénariste, accusé de harcèlement. On ne sait pas vraiment ce qu’il en était du scénario original puisque Roseanne Liang (la réalisatrice) affirme haut et fort qu’il a été entièrement remanié, mais toujours est-il qu’il devait suffisamment être accrocheur pour qu’on le ressorte bien vite du placard.
Synopsis : Pendant la Seconde Guerre mondiale, une jeune mécanicienne voyageant avec des documents top secret à bord d’un bombardier B-17 est confrontée à une présence maléfique qui risque de compromettre sa périlleuse mission…
D’autre part, nous avons affaire à un de ces films-concepts qui, même s’ils ne tiennent pas toujours la route dans l’écriture, la mise en scène ou la conclusion, proposent systématiquement quelque chose de nouveau, ou d’osé, qui nous font sortir des sentiers battus. Celui-ci se paie le luxe de mêler plusieurs genres dans un format resserré, le rendant automatiquement inclassable – et potentiellement culte.
On a d’abord le huis-clos, générateur d’angoisse et propice aux introspections, au doute existentiel et à quelques envolées philosophiques. 95 % du métrage se déroule à l’intérieur d’un lieu bien singulier, presque aussi anxiogène qu’un sous-marin : une Forteresse volante, un de ces B-17 qui sillonnaient les cieux au cours de la Seconde Guerre mondiale, chargé de cadeaux explosifs destinés aux bases ennemies. Carlingue exiguë, confort proche de zéro et surtout tension liée à la mission en cours promettent une promiscuité malaisée, voire malsaine.
Et le film ne se perd pas en tergiversations : après un prologue illustré par un dessin animé destiné aux personnels de l’US Air Force et des armées de l’air alliées (qui donne un hénaurme indice sur ce qui va animer une grande partie de l’histoire), on suit une jeune femme, le bras en écharpe, porteuse d’un sac en bandoulière, cherchant à monter à bord d’un B17 particulier sur le tarmac d’une base du Pacifique. Son accueil, même nantie de papiers signifiant qu’elle est en mission confidentielle, détachée des WAAF (« Women’s Auxiliary Air Force »), est plutôt hostile : le capitaine se méfie, les autres la houspillent, la provoquent ou tentent de la déstabiliser. Elle a beau affirmer qu’elle fait comme eux partie des forces aériennes (ce qui s’avère vrai et faux à la fois car les femmes pilotes ou mécaniciennes de bord étaient des civiles et n’avaient de ce fait aucune autorité militaire), elle finira enfermée dans la tourelle ventrale de l’avion, le temps que les officiers vérifient son identité et prennent une décision. Heureusement pour elle, un membre de l’équipage, plus circonspect, accepte de prendre soin de son paquet qui, selon elle, est la chose « la plus importante à bord ».
Et voilà donc qu’on monte d’un niveau dans l’oppression et l’étroitesse : de la carlingue déjà exiguë, on passe à une bulle de verre où Maude a tout juste la place de s’asseoir et la liberté de manœuvrer les mitrailleuses. Les rares fois où la caméra quittera son visage, c’est pour nous montrer le ciel nocturne bardé de nuages dans lesquels soupire un orage menaçant. Toutefois, la bande son n’est pas en reste et on aura droit à une belle brochette de plaisanteries graveleuses dans le circuit de radio interne : la présence d’une demoiselle au milieu de soldats désabusés a de quoi en rendre nerveux, ou excités, plus d’un. Ça n’a pas l’air de la déstabiliser plus que ça, Maude semble être apte à surmonter ces railleries et se focalise sur sa mission.
Jusqu’au moment où cela bascule.
D’abord, le film nous rappelle qu’on est en guerre : Maude entrevoit une ombre sur les nuages et tente d’alerter l’équipage en affirmant avoir vu un avion japonais. Nouvelles railleries : aucun Zéro ne s’est aventuré dans cette zone du Pacifique, si près des Samoa. Le niveau de confiance de Maude auprès de ces mâles obtus descend encore, si c’était possible.
Nouvelle bascule.
Cette fois, ce n’est pas un avion qu’elle a vu, mais une ombre arpentant le fuselage. Quelqu’un, ou quelque chose, est tapi là, à quelques mètres. Elle sait désormais qu’elle n’aura aucun moyen de persuader les mecs juste au-dessus d’elle, et qu’il lui faudra, si le danger se présente, se défendre seule. Mais elle est prête, car elle pense avant toute chose à préserver le précieux paquet qu’elle doit mener à bon port…
C’est là que les amateurs de cinéma fantastique vont hausser un sourcil : mais oui, ça vous rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Si ce n’est pas un épisode de la Quatrième Dimension (the Twilight Zone, cette excellente série compilant de très bonnes histoires parfois écrites par des grands noms de la SF), c’est du moins son remake pour le film de 1983 constitué de quatre segments (dont un écrit et réalisé par… John Landis, tiens, tiens…) et il se trouve que le dernier, créé par George Miller, raconte le cauchemar éveillé vécu par un passager paranoïaque (excellent John Lithgow) qui est le seul à voir une créature rôdant dans un avion et sabotant les moteurs.
Là, c’est pareil : personne ne la croit mais elle sait qu’il y a « quelque chose », là, juste à l’extérieur – et lorsque les moteurs commencent à avoir des ratés, elle se dit qu’il faudra qu’elle fasse le ménage toute seule.
Ce qui était un huis-clos anxiogène passe subitement au film d’action fantastique, voire au survival à la Alien ; et quand en plus des chasseurs ennemis viennent se mêler au suspense, le tempo atteint des sommets. Non seulement Maude devra se défendre, mais également tenter de sortir de sa tourelle et de sauver le bombardier du désastre annoncé – tout en protégeant le colis si précieux dont elle a la charge.
Tâche impossible, mais Maude n’est pas une femme comme les autres. Et comme elle dit bien en face à la créature qu’elle affronte :
You have no idea how far I'll go !
Pas mal d’idées parfois surprenantes viennent agrémenter la dernière partie extrêmement mouvementée du métrage, entre cascades impossibles et combats improbables. La vraisemblance devient le cadet des soucis de la réalisatrice qui cherche avant tout à imposer cette image d’héroïne hyper-badass comme le pendant féminin des mâles qui étaient têtes d’affiche dans les actioners des années 80. Tout y passe ou presque : on a l’impression d’assister à un défilé de figures de style imposées jusqu’au grand finale dans la plus pure tradition du genre.
De fait, le pari est osé car il n’est jamais bien loin d’un ridicule assumé, cependant la rigueur dans les prises de vue, une photo très travaillée faisant la part belle aux illusions d’optique (la séquence initiale sur le tarmac est d’ailleurs parfaite de ce point de vue – jetez un œil à la bande annonce) et une bande-son plutôt réussie, en totale adéquation, entre silences inquiétants, bruits incongrus, bavardages éloquents et/ou grivois, détonations et explosions (parfaitement retranscrits par la piste son en VO comme en VF en DTS-HD Master Audio), font que ce « petit film » trouvera son public, friand de sensations fortes dans un format dense.
D’autant qu’une autre particularité du film risque de s’attirer la sympathie de certains amateurs qui ne s’y seraient pas risqués autrement : le point de vue de la réalisation, presque exclusivement concentré sur l’héroïne au point que les personnages masculins secondaires deviennent des accessoires, vaguement entraperçus, même si on croit reconnaître l’impeccable Callan Mulvey (Mystery Road, Batman vs Superman ou Avengers Endgame) dans le rôle du pilote soupçonneux. Shadow in the cloud est taillé pour Chloë Moretz qui retrouve son dynamisme découvert dans Kick-Ass et phagocyte la pellicule, toute de hargne et d’énergie. Quant à la petite piqûre de rappel féministe, quoique maladroite et pas toujours fondée, elle a au moins le mérite de rappeler que l’effort de guerre allié a été également supporté par bon nombre de femmes, dont certaines combattantes, pilotes ou mécaniciennes de bord (et pas seulement infirmières, si l’on s’en réfère à une série comme les Têtes brûlées).
Rien de révolutionnaire donc, mais un mélange détonnant destiné à vous faire vibrer le temps de deux épisodes de série TV.
Shadow in the Cloud vient d'intégrer la liste des meilleurs films 2021 et progresse doucement vers le sommet. Il égale parfaitement les films Netflix les plus vus avec monstres, tels Love & Monsters ou Bird Box.
A tenter, en DVD, Blu-ray et VOD chez Metropolitan Films Video depuis le 15 avril 2021 en France.
Titre original |
Shadow in the cloud |
Date de sortie en salles (Nouvelle-Zélande) |
4 février 2021 avec GEM Entertainment |
Date de sortie en vidéo |
15 avril 2021 avec Metropolitan Films Video |
Date de sortie en VOD |
15 avril 2021 avec Metropolitan |
Réalisation |
Roseanne Liang |
Distribution |
Chloë Grace Moretz, Nick Robinson & Callan Mulvey |
Scénario |
Roseanne Liang d’après un script original de Max Landis |
Photographie |
Kit Fraser |
Musique |
Mahuia Bridgman-Cooper |
Support & durée |
Blu-ray Metropolitan (2021) region B en 2.35:1 /83 min |
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