Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Rosemary, une agricultrice irlandaise, a été toute sa vie amoureuse de son voisin Anthony. Mais celui-ci ne s'en est jamais rendu compte. Pendant ce temps, le père d'Anthony a prévu de vendre la ferme familiale à son neveu américain…
Amours irlandaises dispose de nombreux atouts : en décidant d’adapter lui-même et de transposer à l’écran sa propre pièce jouée à Broadway en 2014, John Patrick Shanley devait se dire qu’il faisait reposer son projet sur des bases solides. Et il est certain qu’il y a un public friand de ce genre d’histoires : entre les superproductions de super-héros et les films d’horreur aseptisés, nul doute que de nombreux spectateurs ont envie d’autre chose, et pourquoi pas d’une once de romantisme ?
C’est l’histoire d’un gars et d’une fille. A l’opposé des romances dramatiques à la Roméo & Juliette, ici on nous explique dès le début qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Rosemary par exemple, encore toute petite, accrochée à une branche d’arbre à épier son gentil voisin, se disait qu’il était « parfait » elle, et elle était bien décidée à finir sa vie à ses côtés. Evidemment, tout ne s’est pas déroulé comme elle l’avait escompté.
Avec le recul, on se rend compte que le scénario est construit sur deux axes qui font immédiatement penser à du Jane Austen :
Le fait est que, dès les premières images (dont vous avez un aperçu dans la bande-annonce), on survole les vertes contrées d’Irlande, tandis que la voix off d’un homme usé par le temps – et qui vous annonce tout de go qu’il est mort, un peu comme dans American Beauty – nous présente le cadre idyllique dans lequel cette chronique douce-amère va nous être contée. Cette Irlande rurale, pittoresque (pour ne pas dire un peu fruste) et un peu sauvage, où l’omniprésence du vert trahit la fréquence des pluies (au point de devenir un gimmick qui rira jusqu’à la conclusion du film !). Une Irlande champêtre où les gens sont un peu bornés, se livrent tout entiers au travail des champs et à l’élevage, jouissent de plaisirs simples et éphémères et respectent autant que possible les traditions familiales jusqu’à ce que, rattrapé par la misère, ils aillent trouver leur bonheur outre-Atlantique. Pour peu que vous ayez voyagé en Irlande, ou simplement écouté une compilation de leurs chants si reconnaissables, vous vous rendrez compte de la nostalgie qui baigne chaque couplet, les regrets et les remords de chaque refrain : les Irlandais chantent leur pays comme personne, tout en prenant bien soin de le quitter dès que nécessaire.
Depuis toujours donc, Rosemary est amoureuse d’Anthony, le fils du voisin… mais elle se garde bien de le lui avouer. Anthony, gentil garçon, grandit la tête dans les étoiles tout en aidant patiemment son père, Tony (le narrateur) qui vit un peu reclus depuis la mort de sa chère femme dont la douce voix égrenait les paroles de Wild Mountain Thyme (pour ceux qui n’auraient pas suivi, c’est aussi le titre original du film). Sentant l’âge ronger ses vieilles articulations, Tony décide de passer à l’action afin de préserver son bien le plus précieux : sa terre. Or, plutôt que de la laisser à son fils en héritage, il décide de la céder à Adam, un sien neveu émigré aux USA (et qui y a évidemment fait fortune). Une décision qui n’est pas du goût de sa voisine, la mère de Rosemary, qui elle-même se languit de feu son mari, l’exterminateur de corbeaux (oui, ils ont de drôles de coutumes, on vous le dit). D’autant qu’un ancien contentieux revient sur le devant de la scène : une histoire de portails sur une partie commune de leurs terres, qui pourrait bien devenir la pierre d’achoppement du projet de Tony.
Si Anthony se résigne à suivre la décision de son père, Rosemary et sa mère n’y vont pas par quatre chemins et le lui font vertement savoir : on comprend dès lors que c’est un peu la mort dans l’âme que Tony a pris cette décision controversée, arguant de l’état d’esprit de son fils qui ne semblent pas s’intéresser suffisamment à ce qui l’entoure, au point d’ignorer les signaux de moins en moins subtils que lui envoie Rosemary.
A ce stade du récit, les protagonistes sont en place, prêts à jouer le dernier acte : Tony sent venir ses dernières heures et prépare l’avenir de son héritage, Rosemary essaie de trouver un moyen de pousser Anthony à l’épouser (ou du moins à déclarer quelque intention que ce soit envers elle), Anthony s’efforce de prendre son courage à deux mains pour faire sa proposition et ainsi prétendre à unir les deux familles – ce qui règlerait une fois pour toutes les problèmes de succession et Adam débarque des Etats-Unis dans une Rolls-Royce ultra-voyante, histoire de marquer les esprits. Entre situations équivoques, parfois loufoques et dialogues bardés de non-dits et de second degré, tout ce petit monde va jouer devant nous à un sympathique jeu du chat et de la souris.
Là où le script n’a pas la profondeur d’un Raison & sentiments ou Orgueil & préjugés, c’est dans la prise en compte des paramètres sociaux qui ne sont que grossièrement dépeints, parfois jusqu’à la caricature (Adam, le cousin des Amériques en est le meilleur exemple). Et cette chronique familiale parallèle qui voit passer les décennies sans que rien ne se passe vraiment n’aurait pas grand intérêt, avouons-le, sans ses interprètes. Jamie Dornan tout d’abord, qui campe un Anthony rêveur, un peu éthéré, naïf mais tendre et affectueux : natif de la verte Erin (il est de Belfast), il n’a eu aucun mal à se glisser dans la peau de garçon timide qui passe facilement pour un simplet. Plus difficile pour Emily Blunt d’interpréter une paysanne irlandaise, elle qui est issue de la banlieue de Londres – et malgré la variété de son jeu et sa grande propension à imiter les accents étrangers (vous pouvez trouver certaines de ses performances dans les Late Shows où elle est invitée) – elle a eu du mal à convaincre le public irlandais. De même sans doute pour l’immense Christopher Walken : en dépit de l’intensité de son interprétation, parfois enfiévrée, toujours équivoque, ce New-Yorkais n’a sans doute pas convaincu les natifs de l’île verte. Toujours est-il que si l’on n’est pas trop regardant sur les accents, on peut se régaler de certains dialogues somptueux et de quelques scènes poignantes (impossible de résister à celle où Anthony avoue tout son amour à son père mourant).
Disponible en VOD, il est également à la vente en DVD, mais quel dommage de ne pouvoir avoir un support plus performant pour étaler toute la palette chromatique des magnifiques paysages : le chef opérateur Stephen Goldblatt (l’Arme fatale, le Prince des marées, la Couleur des sentiments, Closer…) s’en est donné à cœur joie, jouant sur toutes les nuances émeraudes ainsi que sur certains contrastes (comme les tenues à dominante rouge d’Emily Blunt). Une comédie romantique qui prend son temps au milieu des champs et des prés et entre deux averses : de quoi oublier un peu le marasme du confinement.
Amours irlandaises vient d'intégrer le classement des meilleurs films d'amour de 2021. Reste à savoir s'il saura se tailler sa place parmi les plus grands films d'amour de tous les temps.
A essayer, en DVD et VOD chez Metropolitan Films Video depuis le 15 avril 2021 en France.
Titre original |
Wild Mountain Thyme |
Date de sortie en salles (Etats-Unis) |
11 décembre 2020 avec Bleecker Street Media |
Date de sortie en vidéo |
15 avril 2021 avec Metropolitan |
Date de sortie en VOD |
15 avril 2021 avec Metropolitan |
Réalisation |
John Patrick Shanley |
Distribution |
Emily Blunt, Jamie Dornan, Jon Hamm & Christopher Walken |
Scénario |
John Patrick Shanley d'après sa pièce Outside Mullingar |
Photographie |
Stephen Goldblatt |
Musique |
Amelia Warner |
Support & durée |
DVD Metropolitan (2021) zone 2 en 1.85:1 /103 min |
Connectez-vous à Facebook pour commencer à partager et communiquer avec vos amis, votre famille et les personnes que vous connaissez.
https://fr-fr.facebook.com/login/?next=https%3A%2F%2Ffr-fr.facebook.com%2FMetropolitanFilms%2F