Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Avec Un beau matin, Mia Hansen-Løve signe une œuvre méritoire, toute en sensibilité et délicatesse, autour de la mémoire, de la famille, de la maternité mais surtout de la condition féminine : Sandra nous est dépeinte en tant qu’amante, fille, sœur et mère à la fois, femme au bord de la crise de nerfs cherchant un équilibre impossible entre ses devoirs et ses aspirations. Présenté à Cannes, dont la réalisatrice est une habituée, le film arrive ce mois-ci en vidéo avec quelques arguments qui pourraient intéresser les amateurs.
Synopsis : Sandra, jeune mère qui élève seule sa fille, rend souvent visite à son père malade, Georg. Alors qu’elle s’engage avec sa famille dans un vrai parcours du combattant pour le faire soigner, Sandra fait la rencontre de Clément, un ami perdu de vue depuis longtemps...
À commencer par Léa Seydoux, héroïne de tous les instants du métrage qui ne la lâche jamais dans ses doutes et ses choix difficiles, dans ses amours et sa détresse. Volontairement dépouillée de ses atours habituels des grosses productions, sans maquillage ni artifice, les cheveux courts, elle campe une Sandra convaincante, mère célibataire tentant d’élever tant bien que mal une jeune fille curieuse et dynamique tout en continuant à s’occuper de Georg, ce père qu’elle chérit et qu’elle a admiré, ancien professeur de philosophie, à présent livré à lui-même et luttant dignement contre un syndrome qui lui sape la mémoire et lui ôte la vue. Georg qui, bientôt, elle s’en doute, et se le voit confirmer par sa mère (Nicole Garcia, toujours aussi désagréablement piquante et pertinente), devra être admis en hospice car désormais incapable d’être autonome. Tiraillée entre son envie de le laisser encore dans cet appartement empli des livres qui incarnent le savoir qu’il a amassé durant une existence bien remplie et la raison qui la pousse à envisager l’EHPAD, elle n’en continue pas moins son petit bonhomme de chemin en travaillant comme interprète. Et cette existence pourtant trop remplie manque d’un élément qui lui apporterait quelques parcelles d’un bonheur plus égoïste, plus univoque : mère attentive et fille attentionnée (et l’inverse), traductrice exemplaire, Sandra ne se livre pas, ne s’abandonne jamais aux joies éphémères. Le père disparu de sa fille l’a laissée solitaire alors qu’elle a en elle tellement d’amour à donner. Or voilà qu’elle recroise un ancien camarade, un ami cher qui a refait sa vie : il est beau, charmant, a la tête dans les étoiles (il est astrophysicien), les pieds sur terre et n’est guère insensible à cette jeune femme discrète, jolie et dont les vêtements pratiques ne cachent rien de sa sensualité. Ce qui devait advenir adviendra donc : elle le veut, il la désire. Et leurs ébats enfiévrés apporteront un peu de couleurs et beaucoup de passion dans le quotidien d’une Sandra qui attendait qu’on s’occupe un peu d’elle.
Évidemment, tout ne sera pas si simple : l’inscription dans un EHPAD s’avère complexe, les établissements ne se valent pas, et les délais sont effarants. Vient le moment où il va falloir se débarrasser des affaires de ce père qui s’étiole, moment cruel tant il donne l’impression d’un décès déguisé – et face à l’imposante et riche bibliothèque, Sandra fait soudain marche arrière : ces livres, ses livres, c’est toute sa vie, une vie de recherche et de savoir, de culture et de réflexions, de pensées et de théories. Quant à son amant, il commence à avoir des scrupules : après tout, il avait une vie avant elle. Il faudra donc à nouveau concilier ses envies, ses espoirs et son devoir, dans cette lutte sans merci qu’est le quotidien d’une femme moderne.
Un beau matin aligne les séquences avec cette jeune femme dans un permanent entre-deux, se livrant peu, souffrant en silence, mais dont les fissures commencent à se révéler. La réalisation choisit la discrétion et la subtilité : pas de violons larmoyants (d’ailleurs pas de musique originale, seuls quelques morceaux classiques bien orientés), pas de pathos exacerbé, juste quelques sourires et quelques larmes au milieu de dialogues parfois éthérés, parfois incisifs, et de scènes intelligemment choisies pour révéler sans dénoncer. Le film touche à de nombreux sujets, qu’il effleure avec délicatesse, refusant le voyeurisme ou l’acte militant. La dignité de Pascal Greggory dans la peau de ce père dont la mémoire s’effiloche, dont la personnalité se délite, mais qui continue à s’exprimer avec une noblesse et une élégance rares, est à souligner : un métrage entier aurait pu lui être consacré, mais sa lente déchéance n’est qu’un des épisodes dramatiques scandant le parcours dolent de Sandra. Les conditions d’accueil dans le premier EHPAD pourraient être reprises pour un documentaire à charge, mais la caméra glisse volontairement dessus, s’intéressant davantage aux personnes qu’au cadre. Et il en va de même avec la condition féminine, la litanie inimaginable de défis à relever dans notre société pour une femme seule.
Un film sensible et sensitif, souvent touchant, qui préfère susurrer que dénoncer, montrer que démontrer : l’émotion erre dans ces plans furtifs, dans ces regards embués et ces non-dits terribles. Il y règne une retenue parfois frustrante mais d’une véritable élégance, qui parvient à effacer le côté parfois hiératique de certaines situations, et quelques répliques trop froides pour être honnêtes.
Le DVD à l'image granuleuse très agréable (un choix voulu par la réalisatrice qui désirait, en tournant sur pellicule, donner moins d'acuité à sa caméra, et une touche plus artistique à ses plans) offre en outre un bonus intéressant : MIA HANSEN-LØVE par MIA HANSEN-LØVE, UNE LEÇON DE CINÉMA, émission d'1h24 animée par Frédéric Bonnaud et Bernard Benoliel, dans le cadre de la rétrospective MIA HANSEN-LØVE à la Cinémathèque française du 21 au 26 septembre 2022.
Titre original |
Un beau matin |
Date de sortie en salles |
5 octobre 2022 avec les Films du Losange |
Date de sortie en vidéo |
7 mars 2023 avec Blaq Out |
Réalisation |
Mia Hansen-Løve |
Distribution |
Léa Seydoux, Melvil Poupaud, Pascal Greggory & Nicole Garcia |
Scénario |
Mia Hansen-Løve |
Photographie |
Denis Lenoir |
Musique |
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Support & durée |
DVD Blaq Out (2023) en 1.85:1 / 114 min |