Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Parmi les films qui se sont empilés avant de pouvoir enfin bénéficier d’une date de sortie maintes fois repoussée, Voyagers est de ceux qui ont fait couler le plus d’encre. Malheureusement pour lui, pour ses producteurs et son créateur, pas souvent en bons termes. Sorti le 9 avril 2021 en Amérique du Nord, il n’a pas répondu aux attentes du public malgré un casting accrocheur : derrière l’inusable Colin Farrell, dans un rôle inhabituel de mentor, de nombreux talents de la jeune génération ont signé, comme Tye Sheridan (le héros de Ready Player One), Lily-Rose Depp qu’on ne présente plus (mais qui n’a pas encore vraiment convaincu sur grand écran), Isaac Hempstead Wright (le troublant Brandon Stark de Game of Thrones) ou encore Fionn Whitehead (aperçu dans Dunkerque et Black Mirror).
Neil Burger (l’Illusionniste, Divergente ou Limitless) avoue s’être servi de certaines images perçues lors des confinements pour imaginer ce qui arriverait à un groupe de jeunes gens enfermés et isolés, privés de tout repère. Mais plutôt que de surfer directement sur la vague du COVID-19 (comme pour les récents Songbird ou Oxygène), il a décidé de transposer l’histoire naissante dans le cadre des « arches stellaires ». Sous-genre classique de la science-fiction, il part du principe que les destinations dans l’espace étant bien trop éloignées pour être atteintes dans l’intervalle d’une vie humaine (en dehors de l’utilisation utopique de procédés comme les trous de vers, des moteurs supra-luminiques, des portails « distrans » et autres sauts dans l’hyper-espace), la seule option pour explorer ou coloniser des exo-planètes reste l’utilisation de « vaisseaux générations », engins plus ou moins automatisés prévus pour voguer dans les marées stellaires pendant des décennies, si pas plus ; comme l’expliquait habilement l’anthologiste Stan Barets, « c’est le grand-père qui décolle et le petit-fils qui atterrit ». Cette extrapolation due à plusieurs grands auteurs (cf. Brian Aldiss et son excellent Croisière sans escale ou la variante des « villes nomades » de James Blish) est d’ailleurs prise très au sérieux par les agences spatiales de la plupart des pays, qui développent déjà des projets plus ou moins similaires.
Synopsis : Un groupe de jeunes gens, aussi brillants que disciplinés, embarque à bord d’un vaisseau dans le cadre d’une expédition pour coloniser une planète lointaine, afin de sauver la race humaine. Mais la découverte de détails perturbants à propos de la mission, va remettre en question leur formation et les pousser à questionner leurs instincts les plus primitifs. La vie à bord vire alors au chaos, et ils sont tour à tour rongés par la peur, la luxure, et une soif insatiable de pouvoir.
Une telle base avait de quoi allécher tout amateur de SF, d’autant que le concept n’a pas été aussi galvaudé que d’autres au cinéma : on peut ainsi citer Pandorum, tentative plus qu’intéressante, axée davantage sur l’horreur – d’Alien à Event Horizon, les recoins sombres d’un vaisseau peuvent receler d’insoupçonnables dangers – que sur la réflexion scientifique. Et si le cinéaste ne laisse pas de côté ces aspects terrifiants, matérialisés par les bruits étranges parcourant la coque, alimentant ainsi le doute, puis la paranoïa des passagers, il préfère explorer les critères moraux et socio-éthniques : imaginez un peu, mettez-vous à la place de ces jeunes gens méticuleusement choisis, élevés à l’écart de la population dans le seul but d’entretenir un vaisseau qui devra amener leur descendance à bon port ! Non seulement la responsabilité est déjà énorme pour leurs frêles épaules juvéniles (ils ont en main la sauvegarde de leur espèce), mais ils n’en verront même pas l’accomplissement : tout ce qu’ils ont à faire est d’accomplir leurs tâches avec sagesse et méthode, d’attendre le bon moment pour procéder à leur reproduction et d’œuvrer ainsi à la réalisation du Grand Projet jusqu’à la fin de leurs jours, confinés dans un vaisseau qui, s’il leur laisse un grand éventail de possibilités, n’en constitue pas moins, et objectivement, une prison.
Évidemment, les savants à l’origine de la création du vaisseau géant estiment avoir tout prévu : ces garçons et ces filles, de toutes les ethnies, sont des individus brillants dans leurs domaines ; on n’est pas dans l’eugénisme, mais il y a eu incontestablement un tri génétique avant de concevoir la mission. Mieux : Richard, l’homme qui a toujours été à leurs côtés depuis leur enfance, est du voyage. Leur mentor, presque leur père : le seul homme d’un autre âge. Il les guide, les conseille, répond à leurs questions ; mais leur dit-il vraiment tout ? Quand Christopher découvre dans les analyses qu’il effectue la présence d’une toxine dans leur alimentation, Richard semble n’y attacher aucune importance : « Change le filtre. » est tout ce qu’il répond à ses interrogations. Pas de quoi satisfaire la curiosité de Christopher qui s’en ouvre à son compagnon Zac et, à eux deux, ils découvriront la vérité qui se cache derrière cette façade : ses camarades et lui sont drogués, la substance décelée visant à brider leur libido et leurs émotions. Mis en accusation, Richard défend le principe d’une telle décision : la mission prime sur tout, et le contrôle de leurs penchants est indispensable à son accomplissement sans anicroche. Bien sûr, il a pour lui l’expérience d’un Terrien de son âge, fort de milliers d’années de mémoire atavique : l’Homme est souvent le premier responsable de sa propre destruction. Le Terminator ne dit pas autre chose à John Connor, n’est-ce pas ? Mais Christopher et surtout le bouillant Zac n’acceptent pas ses explications, et les voilà lancés dans une spirale dangereuse : ils décident de ne plus prendre la drogue, présente dans le liquide bleu qu’ils ingurgitent chaque jour. La suite est facile à deviner : les sensations affluent, en appelant d’autres. Dans leur soif inextinguible d’expériences nouvelles (la gourmandise, la violence, le sexe), ils seront inévitablement amenés à franchir les limites imposées par le code qui les régit : le Bien, le Mal seront interpellés, et les critères sur lesquels se fonde leur petite société mis à mal. Car en réveillant les pulsions, c’est toute une boîte de Pandore qu’ils ont ouverte : l’envie, le désir, la jalousie, le pouvoir, la luxure sont à portée de leurs hormones, en une vague que Richard ne parviendra pas à réfréner. Et quand survient le premier meurtre, quand certaines consciences se réveillent, ils devront faire des choix capitaux pour la poursuite (ou non) de leur objectif initial.
Bienvenue à Gattaca, Equilibrium et même THX 1138 surgissent immédiatement à l’esprit de tout initié : Neil Burger a donc choisi cette option fascinante. Las, il ne parvient jamais à sortir des sentiers battus : son film manque autant d’originalité que d’ambition ou de rythme, et les personnages qui s’y ébattent ne parviennent que rarement à passionner le spectateur blasé. Le tempo lent et les décors immaculés font automatiquement référence à 2001, l’Odyssée de l’espace, film préféré du réalisateur qui y fera ainsi de multiples allusions, mais à trop se frotter à un moment inaccessible, on se vautre invariablement. D’autant que les péripéties qui s’ensuivent sont cousues de fil blanc et que l’interprétation laisse à désirer, en dehors d’un Colin Farrel qui tient la route : les dizaines de jeunes acteurs manquent autant d’expression quand ils sont drogués que lorsqu’ils sont censés laisser libre cours à leurs émotions, Lily-Rose Depp en tête, totalement monolithique. Les rebondissements téléphonés ne parviennent que rarement à happer l’attention mais surtout la mise en scène s’avère particulièrement timide quand il s’agit de filmer les supposés débordements : même s’il était peut-être inutile de montrer des flots de sang ou de stupre, il y avait de quoi marquer les esprits avec autre chose que des flashes d’images clippesques. En dehors de jolis travellings dans ces couloirs unis, le film en lui-même ne marque pas, n’impressionne pas et ne soulève pas de questions autres que celles déjà débattues depuis belle lurette. Son écriture balourde, parfois naïve, ne fait pas honneur au sujet et son côté pseudo-intellectuel se contredit en permanence sans jamais se permettre de choquer ou de surprendre.
Le Blu-ray proposé par Universal jouit d’une image propre et nette qui met particulièrement en valeur les palettes de bleus ternes et de gris scandées de quelques touches de couleurs (les combinaisons spatiales par exemple, ou certains aliments). On est même surpris de voir l’imperfection de la texture de la peau de ces jeunes gens censés être de parfaits spécimens humains. Il y a fort à parier que le blu-ray UHD devrait délivrer une image de qualité chirurgicale.
La VO en Dolby True HD diffuse des voix claires et parfaitement audibles et le score discret, parfois suppléé par quelques partitions de musique classique somptueuses, parvient à camper une atmosphère éthérée et délétère de bon aloi. La bande-son s’enrichit de quelques grincements et murmures cités plus haut et de quelques rares mais efficaces effets surround. Ceux qui préfèrent la VF auront droit à une piste plutôt soignée et équilibrée. Le disque s’accompagne de cinq documentaires dont une visite du vaisseau Humanitas qu’on voit finalement très peu et souvent en contre-jour ; ils indiquent une volonté de sérieux et une ambition scientifique qui ne rejaillissent que bien peu à l’écran. Cela dit, le film n’en constitue pas moins une porte d’entrée acceptable dans le genre de SF spatiale, construit sur des postulats solides et mis en images avec soin. Il lui manque un souffle, une vigueur, un casting et (sans doute aussi) des moyens plus appropriés pour laisser une trace durable dans les mémoires.
Intéressés ? Voyagers sortira en DVD, Blu-Ray, et VOD chez Universal Pictures France le 25 août 2021.
Titre original |
Voyagers |
Date de sortie en salles |
26 mai 2021 avec Universal Pictures France |
Date de sortie en vidéo |
25 août 2021 avec Universal Pictures |
Date de sortie en VOD |
22 avril 2021 |
Réalisation |
Neil Burger |
Distribution |
Tye Sheridan, Lily-Rose Depp & Colin Farrell |
Scénario |
Neil Burger |
Photographie |
Enrique Chediak |
Musique |
Trevor Gureckis |
Support & durée |
Blu-Ray Universal (2021) region B en 2.39:1 /108 min |
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