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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Moult sont prudhommes les Templiers...

Moult sont prudhommes les Templiers,

Là se rendent les Chevaliers

Qui ont le siècle assavouré

Et ont et vu et tout tasté

Là ne fait pas bourse chacun

Mais c’est tous les avoirs à un

C’est l’Ordre de Chevalerie

A grand honneur en Syrie.

Guiot de Provins, Bible

 

Ce moine de Cluny, poète et moraliste, nomme ainsi dans sa célèbre Bible composée entre 1204 et 1224 les chevaliers de l’Ordre du Temple. Vous me direz qu’à l’époque il était sans doute normal de caresser dans le sens du poil ces moines soldats qui faisaient si forte impression. Mais ce texte attirera l’attention des connaisseurs qui savent notamment que Guiot de Provins était connu pour sa propension à fustiger les puissants. Jean-Baptiste Bonaventure de Roquefort l’explique fort bien dans son Glossaire de la Langue romane (1808) lorsqu’il évoque les Templiers :

Je ne dirai qu'un mot de cet Ordre si fameux, sur lequel on a tant disputé, et souvent assez mal ; j'observerai seulement que Guyot ou Guiot de Provins, poète françois, qui écrivoit dans le XIIIe siècle, et qui a déchiré tous les Ordres religieux dans une satire intitulée, la Bible Guiot, a dit, en parlant des Templiers :

Molt sont prodomme li Templier,
Là se rendent li Chevalier
Qui ont le siècle asavoré
Et ont et véu et tot taste.

Est-ce par crainte que l'auteur ménage ainsi cet Ordre ? je ne le crois pas ; car son humeur atrabilaire s'épancha jusques sur les Ordres les plus respectés, et il disoit du bien des Templiers !

Est-ce que moi-même, en publiant ce passage, je cherche à laver un honneur défait par la chasse aux sorcières à laquelle se livra le roi Philippe le Bel au  XIVe siècle (cliquer ci-après pour voir la  précédente citation) ? Pas du tout. L’aura templière leur a survécu et a fait de cet ordre aux curieuses cérémonies initiatiques et à la puissance économique inégalée un creuset de fascination romantique : l’acharnement de Nogaret, la rage vindicative du roi de France, l’abandon tragique et lâche du pape et la dissolution officielle de l’Ordre n’auront rien pu contre le mythe populaire qui s’était déjà installé avant même la condamnation de Jacques de Molay.

On a prêté bien des maux, puis bien des qualités à ces moines-soldats. Infâmes hérétiques se livrant à des turpitudes éhontées, puis vaillants et nobles chevaliers mus par  le respect et la dignité, puis encore visionnaires et stratèges brillants dissimulant dans leurs cérémonies secrètes des objectifs aussi élevés que la réconciliation des religions et le développement des échanges inter-culturels, les Templiers ont véhiculé tant de croyances et de mystères qu’on leur a attribué des mérites qui les dépassaient. Encore aujourd’hui, on les retrouve au cœur des intrigues des grands films populaires : si Indiana Jones n’a pas encore eu directement affaire à eux (bien que le Graal leur soit souvent lié), Ridley Scott les a dépeints comme des brutes sans cervelle dans le pourtant très bon Kingdom of heaven alors qu’un Benjamin Gates retrouvait la trace de leur trésor (remontant au Temple de Salomon en passant par les Francs, les Wisigoths et les Romains de Titus) bien au chaud aux Etats-Unis.

Les Templiers sont éternels.

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