Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un film qui mérite qu'on s'y attarde, même s'il ne justifie pas le battage auquel on a pu assister dans les médias spécialisés et surtout l'énorme ego du réalisateur persuadé semble-t-il d'avoir réalisé un chef-d’œuvre impérissable.
N'est, ainsi, pas Kubrick qui veut.
Ni même Hitchcock.
Car si Brad Anderson sait diablement bien filmer, c'est indéniable, il n'en reste pas moins que la majeure partie du métrage n'est qu'une espèce de forfanterie pleine de poudre aux yeux. Il y a de l'effet de manches à la Soderbergh, du m'as-tu-vuisme particulièrement déplaisant, de l’esbroufe agaçante, d'autant qu'en creusant un brin, il n'y a pas grand chose derrière le sujet.
Le thème est pourtant assez original (comment la culpabilité ronge un homme à un point tel qu'elle altère sa perception de la réalité), cependant le traitement et surtout la structure du film renvoient à de nombreuses références qui rassurent d'abord, ancrent ensuite la réalisation dans une dynamique connue, puis énervent par leur systématisation. Anderson n'est pas non plus De Palma et on a même l'impression que, plutôt que de rendre hommage au concepteur de Vertigo, il ne cherche qu'à emprunter dans le but de construire quelque chose d'imposant.
Pourtant, si l'on met de côté certaines initiatives discutables (les couleurs délavées à l'ambiance pisseuse, la maigreur voulue de l'interprète principal, les enchaînements de séquences laissant des oblitérations non résolues, des ellipses plus stylistiques que logiques), l'ensemble se suit avec un certain bonheur, tout heureux qu'on est de se trouver devant une intrigue nébuleuse dont on sait qu'elle doit forcément trouver une résolution spectaculaire. De fait, plus le film avance, plus on se trouve bercé par le rythme lancinant d'une mise en scène recherchée, léchée même, aux cadrages superbes, agrémentée de dialogues rares mais percutants et rehaussée par une interprétation hors normes où Christian Bale laisse exploser son talent certain, éclipsant aisément Jennifer Jason Leigh ou Michael Ironside.
Et si les indices apparaissent assez vite, si l'on se surprend à tenter le diagnostic a priori, avec l'espoir d'être surpris davantage à la fin, la chute annoncée laisse dubitatif. On n'est pas loin de se dire "tout ça pour ça !" et malheureusement, plus on creuse, moins on déterre de la substance. Après avoir passé une bonne heure à deviner, échafauder des hypothèses plus ou moins plausibles (en rapport avec nos expériences de spectateurs : rêverie solitaire ? double maléfique ? schizophrénie ? paranoïa aiguë ? complot malveillant ? Near Death Experience ? l'autre côté du miroir ?), bref, à participer de bon gré à ce que ce genre de films peut avoir de ludique, on ne peut qu'être passablement déçu. Les idées qui ont été mises en avant par la bande annonce ou la campagne publicitaire sont bonnes (les post-it, le jeu du pendu) mais tournent court, finalement.
Oh, il ne faut pas jeter la pierre à Shyamalan et son goût pour la pirouette finale. Ici,
l'explication se tient, replace l'histoire dans une cohérence bienvenue tout en laissant quelques (nombreux) points flous. Très vite, on peut redéfinir le scénario, reconstruire le château de cartes. Et pas besoin d'une seconde vision.
Bref, un bon film, glauque et poisseux à souhait, apparemment bizarre mais finalement moins étrange qu'il n'y paraît, qui promet plus qu'il ne tient. Sans Christian Bale, il serait sans aucun doute sorti dans l'indifférence générale.
Titre original |
The Machinist |
Date de sortie en salles |
19 janvier 2005 avec Paramount Pictures |
Date de sortie en vidéo |
13 octobre 2005 avec CTV International |
Photographie |
Xavi Giménez |
Musique |
Roque Baños |
Support & durée |
35 mm en 2.35 :1 / 102 min |