Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Séance Ciné-Club n°4
mars 2011
Résumé : Dans les années 2070, l’ordre règne dans la citadelle de Libria, qui a su grâce aux enseignements radicaux de Père, tirer les enseignements des dernières guerres mondiales pour éradiquer toute forme de violence et surtout tout ce qui peut l‘engendrer (les émotions). La vie est ainsi rythmée par l’absorption régulière du Prozium, une drogue qui aide à se détacher de ses instincts pour ne se concentrer que sur l’essentiel, la productivité. L’individu se fond ainsi dans une masse laborieuse uniquement satisfaite par l’accomplissement de sa tâche. Plus de crime, plus de délit, plus d’envie non plus, plus de loisir oisif, plus d’expression artistique, les seules lectures autorisées étant celles des doctrines de Père.
Mais certains n’acceptent pas cet état de fait : ces contrevenants résident à l’extérieur de Libria et passent leur temps à collecter des traces d’un monde disparu, rassemblant les objets les plus divers de notre quotidien comme les œuvres d’art les plus renommées. Ils sont impitoyablement pourchassés par les Ecclésiastes, spécialement formés pour le combat et qui n’hésitent ni à tuer, ni à détruire ces traces d’un passé révolu…
John Preston est un Ecclésiaste, sans doute le plus efficace. Un jour, il remarque que son coéquipier a oublié de rapporter un livre confisqué aux contrevenants. Il décide de mener l’enquête…
Parvenir à concilier le challenge Post-Apocalyptique et le Ciné-Club Sensation mensuel était déjà un haut fait : deux séances en une, et la possibilité, précieuse, de débattre immédiatement ensuite avec les participants.
Or, si le film m’avait enthousiasmé auparavant (sorti assez discrètement au cinéma, à cause sans doute d’une campagne calamiteuse axée sur les similitudes avec Matrix, le film s’est forgé un petit succès en vidéo), il n’en est plus de même à présent. Et je suis loin d’être le seul dans ce cas.
Equilibrium n’a rien de vraiment original dans son propos. Ce n’est pourtant pas son plus gros défaut cinématographique. Cependant, nous sommes aussi ici pour traiter de sa pertinence dans le cadre du Challenge, c'est-à-dire de sa place dans la SF. Or on ne peut pas dire que Wimmer ait fait preuve de génie quand il a dépeint une société impersonnelle où l’on va jusqu’à détruire toute forme d’expression artistique sous prétexte qu’elle détourne l’individu de tâches plus nobles : Bradbury, dans Farenheit 451, nous avait déjà évoqué un tel totalitarisme poussé à son extrême et exprimant sa répression dans les autodafés. Toute manifestation de la culture antérieure était consumée par une équipe de « pompiers » détournée de son objectif initial et la résistance s’organisait par l’apprentissage des livres, afin de conserver une trace indélébile de ce qui fut. Truffaut en avait tiré un très beau film qui refusait le spectaculaire et privilégiait la réflexion. Le THX 1138 de Lucas empruntait également des voies similaires. Quant à l’introduction d’un groupe révolutionnaire cherchant à briser les règles pour libérer l’Humanité (quitte à en passer par une phase de chaos, par la violence et autres expédients), elle peut faire penser à Demolition Man ou à Brazil, avec des traitements complètement différents.
Ici, on est donc en terrain connu. Ont été rajoutés le Prozium et la spécificité des Ecclésiastes, formés à contrecarrer toute forme de contestation par l’emploi du « kata armé » - une manière maligne d’introduire dans le film des séquences lorgnant sur les combats, leur esthétique et chorégraphie, de Matrix. Corps-à-corps violents, ralentis à gogo, poses accentuées et tenues ajustées, le manque de moyens (flagrant dans les décors) étant compensé par un montage abrupt et des choix d’accessoires pertinents.
C’est sans doute l’équilibre fragile des deux faces de la même pièce (film de SF/film d’action) qui agace à présent, le métrage hésitant constamment entre un manifeste un peu lourd contre les dérives d’un totalitarisme même appuyé par des arguments historiques (pour éviter la guerre, bannissons la source des conflits : l’émotion) et l’envie d’en mettre plein les yeux avec des scènes musclées et complaisamment semées dans le récit. Si l’œuvre avait souffert à sa sortie de la comparaison (inévitable) avec la trilogie des Wachowsky, elle peine à présent à se montrer homogène et à révéler une véritable identité.
Parmi les participants à cette séance, la synthèse est évidente : il y a ceux qui aimaient et continuent à aimer, sans condition ; ceux qui ont aimé et en sont revenus, tout en reconnaissant encore de nombreuses qualités au film (dont moi) ; et ceux qui le vouent désormais aux gémonies tant ils n'y voient plus que grosses ficelles et poses ridicules
Le scénario & la mise en scène
L’idée de départ est forte, c’est incontestable, et elle a fait ses preuves, ne seraient-ce qu’avec des monuments de la littérature que sont 1984 ou le Meilleur des mondes.
Dans la mise en scène, on va certainement tiquer sur certains détails qui ne collent pas (à moins de prendre ces faiblesses pour les signes avant-coureurs de la non-viabilité de la société librienne) : ainsi, comment concevoir un monde où les sentiments sont réprimés (les enfants sont encouragés à dénoncer leurs camarades qui pleurent) alors que certains se marient et fondent une famille (Preston élève seul les deux enfants qu’il a eu avec une femme jugée et condamnée pour avoir contrevenu aux règles) et d’autres comme Brandt crèvent ostensiblement de jalousie et d'orgueil ? Malgré tout, Wimmer parvient à éclairer un peu sa réalisation par l’usage de petits inserts habiles sur ces petits riens qui trahissent l’humanité de chacun (une main qui frôle la rampe d’escalier, un poing qui frappe sur une table, un regard qui s’embue). Mais ces bons points ne masquent pas la lourdeur de l’ensemble, le symbolisme trop appuyé et souvent primaire ainsi que les incongruités relevées. Ca fait tache dans le sérieux affiché de l’œuvre. Comme l’affirmait Nico, il ne faut pas trop se poser de questions sur le script.
Jennifer relevait aussi les mises en parallèle d'oppositions. Les Libriens acceptent de devenir des "robots" pour éviter d'autres guerres mais pour cela, ils acceptent aussi de tuer et massacrer des gens innocents. Il suffit de voir le drapeau de Libria qui reprend en la détournant à peine la croix des nazis : c’est un fascisme, appuyé comme il se doit sur une dialectique trompeuse et paradoxale. Ils brûlent les œuvres d'art et supportent qu’un homme seul soit à la tête du pays : un dictateur qui endoctrine même les plus jeunes... Bref ils font pire que ce qu'ils veulent combattre et éviter...
C'est une bonne série B, mais ce n'est que de la série B. Un peu crétin même par moments, malgré un début enthousiasmant (la fin, bien que jouissive, est stupide).
Les personnages
Si le casting n’est pas à son avantage, Christian Bale est généralement jugé parfait dans son rôle d’un John Preston dont le retour à la vie constitue le centre de l’histoire : il ouvre les yeux sur sa condition lorsqu’il se voit obligé d’exécuter son ancien équipier.
Sean Bean n'est pas assez exploité dans son rôle (celui de Partridge, le premier Ecclésiaste à sortir du moule et à regretter ses actions) mais si on s'était attardé sur sa « transformation » (son passage de l’état d’Ecclésiaste servile à celui d’homme sensible), cela aurait été redondant avec ce que vit John Preston par la suite...
Taye Diggs (qui joue Brandt, un Ecclésiaste chargé de veiller sur Preston, et qui se pose en rival), en revanche, surjoue et devient plus qu’agaçant, il ne se montre en outre pas très convaincant dans ses combats. Son rôle de bad guy est creux, il est censé ne pas éprouver d'émotion, mais il jubile, il est soupçonneux, il sourit, il s'énerve, bref il joue mal (sans trahir son rôle, juste en dévoilant trop vite ce qu'il est réellement). Tout comme celui de DuPont, interprété par Angus McFadyen, chef des Ecclésiastes et porte-parole du Père, pas du tout à l’aise face à Bale.
Les décors & accessoires
Pour les décors si dépouillés, il faut garder à l’esprit que tout a été détruit après la 3e guerre mondiale et ce qu'on voit peut suffire à imaginer ce qui se passe ailleurs. Tout de même, on peut déplorer le manque de vision globale (on ne sait rien du reste du monde, à moins que Libria soit une sorte d’oasis dans une Terre dévastée ?).
Le choix des couleurs est intéressant aussi. C'est fade partout : gris, bleu ciel, noir, blanc, pas de couleurs chaudes sauf pour la révolutionnaire Mary qui porte des vêtements aux teintes plus agréables. Son nom et son sacrifice font référence bien sûr à la Bible et on ne peut être que subjugués par ses grands yeux bleus.
Les costumes des Ecclésiastes, quoique sobres, sont élégants et stylés, ceci pour les différencier du reste de la populace qui se déplace avec une espèce de combinaison de garagiste délavée, à l’image de leur triste vie de marionnette... Plus de goût, plus d'envie, plus de sentiment : des machines. Mais on peut regretter aussi que la direction artistique n’ait pas privilégié une approche plus réaliste, à la Children of men, plutôt que ces cheveux plaqués et ces vêtements ajustés.
Les scènes d’action
Les scènes de combat ont partagé l’audience : c’est ce qui a le plus de mal à vieillir, du fait d’un effet de mode. Parfois ridicules dans les corps à corps, elles sont plus impressionnantes dès qu’il y a l’emploi des armes à feu : le kata armé occasionne quelques séquences assez intenses, mais qui contribuent encore à sortir le film de l’atmosphère réaliste qu’il s’était choisi. Christian Bale est très à son aise, dommage que ses adversaires directs se montrent aussi patauds (le duel final Preston/Brandt est tellement expédié que des rumeurs ont évoqué un impératif à la Aventuriers de l'Arche perdue).
Titre original |
Equilibrium |
Date de sortie en salles |
9 juillet 2003 avec TFM Distribution |
Date de sortie en vidéo |
18 mars 2004 avec TF1 Vidéo |
Date de sortie en VOD |
|
Réalisation |
Kurt Wimmer |
Distribution |
Christian Bale, Emily Watson, Taye Diggs, Angus McFadyen, William Fichtner & Sean Bean |
Scénario |
Kurt Wimmer |
Photographie |
Dion Beebe |
Musique |
Klaus Badelt & Ramin Djawadi |
Support & durée |
DVD TF1 (2004) en 2.35 :1 / 107 min |