Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Sur un coup de tête, Freddie, 25 ans, retourne pour la première fois en Corée du Sud, où elle est née. La jeune femme se lance avec fougue à la recherche de ses origines dans ce pays qui lui est étranger, faisant basculer sa vie dans des directions nouvelles et inattendues.
Présenté à Cannes dans la catégorie « Un certain regard », le film du réalisateur franco-cambodgien David Chou a fait son petit bonhomme de chemin, bénéficiant d’avis très favorables de la part des critiques établis, notamment envers la performance de l’actrice principale et d’une ribambelle de prix internationaux (dont le prix Spécial du Jury au Tokyo FILMeX, deux Asia Pacific Screen Awards et le titre de meilleur film à Boston, Athènes et Belfast). Après un faux départ, l’éditeur Blaq Out l’a mis en vente à partir du 4 juillet 2023, ainsi tout un chacun pourra se faire une opinion sur un film qui divisera sans doute par ses partis-pris, son intransigeance et surtout le sujet délicat qu’il aborde de front, DVD complété par un entretien avec le réalisateur et même les essais de à l’écran de Park Ji-min.
Doté d’une image soignée aux couleurs très légèrement désaturées (qui permettent toutefois de faire ressortir certaines spécificités des bâtiments coréens, et la douce ambiance électrique des nuits de la capitale), Retour à Séoul aurait pu constituer une forme de carnet de voyage au Pays du Matin calme, une exploration des lieux constamment exposés à l’écran grâce à l’extraordinaire densité du cinéma local (sans parler des séries qui cartonnent sur Netflix). Il n’en est rien, et tant pis pour ceux qui pensaient le contraire : le film de Davy Chou n’a rien d’un road-movie, et les séquences se concentrent davantage sur les intérieurs (une guest house, des bars, une salle à manger modeste, des chambres à coucher) que sur les extérieurs (quelques panneaux routiers, un bord de mer et une digue, une ruelle sordide). L’important n’est pas tant le pays, la cité, que ses origines pour Freddie.
Au départ, on n’est pas certain de comprendre la motivation première de cette jeune femme au caractère insaisissable dont le parler franc et sec tranche avec la déférence des Coréens et leurs manières ancestrales : sa liberté de ton comme sa farouche volonté de ne pas se livrer désarçonnent le spectateur comme les clients du bar qu’elle va alpaguer les uns après les autres. Certains sont séduits par cette fougue, d’autres s’interrogent. Et sa seule complaisance consistera à expliquer qu’elle est née ici avant d’être adoptée en France. Dongwan, fille d’enseignant, parlant et comprenant le français, lui servira de guide et d’interprète dans la première partie de sa quête hésitante et l’orientera vers un institut (la société Hammond) qui a sans aucun doute conservé une trace de son adoption. Elle fera d’abord la connaissance de son père, ancien pêcheur reconverti dans la maintenance et c’est avec une forme de répulsion qu’on la verra entrer en contact avec cette famille dont elle ne sait rien, dont elle ne maîtrise ni les coutumes ni la langue. Refusant de s’ouvrir et ne montrant aucun signe de pardon voire de compréhension, elle écoutera doctement les explications sur l’origine de son abandon avant de fuir ce père inconnu soudain trop empressé. Quant à sa mère, aucune réponse aux sollicitations postales de Hammond (tout autre moyen de communication entre les adoptés et leurs parents naturels étant proscrit par la loi) : la quête dolente de Freddie la conduit dans une impasse émotionnelle. Mais ce n’est que le début.
Le script se construit sur quatre épisodes séparés par plusieurs années, quatre chapitres de la vie de cette Freddie qui revient chaque fois au pays qui l’a vu naître mais qu’elle rejette systématiquement, comme si elle cherchait une porte d’entrée dérobée. N’obtenant pas ce qu’elle veut, elle refuse ce qu’on lui propose, froissant régulièrement ses interlocuteurs et ses rares amis. L’on ne saura pas grand-chose d’elle : élevée dans une famille aimante et visiblement aisée, elle n’en a pas moins choisi la voie de l’émancipation rebelle et gère son existence à coups de boutoir, percutant la vie et ses proches, refusant de céder aux sirènes du confort, des traditions et des certitudes. Incontestablement, Freddie représente une forme de parangon de la fille moderne, délivrée du carcan paternaliste, fuyant la France tout en s’en revendiquant brutalement à l’étranger. Sa manière de traiter avec brutalité les sentiments qui lui sont manifestés indiquent une fragilité sous-jacente, qu’elle dissimule sous des excès en tous genres, une liberté relationnelle et professionnelle et une franchise désarmante. Son ton cassant paraît souvent insultant, surtout face à des personnes implorantes, respectueuses ou simplement honnêtes. Il brise également l’empathie qu’on pourrait ressentir envers cette (fausse) orpheline en manque de repères, qui refuse machinalement ce qu’on lui offre (les cadeaux comme les sentiments) comme si les gens ne comprenaient pas réellement ce dont elle a besoin.
La richesse de ce caractère singulier, authentique, et ses accidents de parcours ont tout de la chronique cathartique – on aurait pu croire qu’il s’agissait du récit autobiographique du réalisateur et on n’en est pas loin car le scénario est librement adapté de la vie d’une de ses amies (qu’il a lui-même accompagnée lors de ce processus de recherche des origines). En revanche, les partis-pris de la narration, le montage abrupt et les répliques cinglantes ont tendance à dérouter au point de mettre mal à l’aise le spectateur qui ne comprend pas toujours les réactions du personnage. Et lorsque l’émotion point, elle le fait avec une timidité de traitement aussi élégante que lénifiante, à l’image de la musique qui accompagne la bande-son : éthérée, nasillarde, à contretemps. Le choc des cultures annoncé n’apparaît que brièvement, le temps pour Freddie de flinguer avec désinvolture les traditions et coutumes, afin de mieux marquer son indépendance – même si, comme le lui fait remarquer son amie, elle n’est rien d’autre qu’une « sad person ».
Le film trouvera sans doute son chemin et son public, pour peu qu’on adhère au cheminement hagard de cette jeune femme uniquement certaine de ses incertitudes, en quête perpétuelle d’elle-même. La caméra adopte son point de vue, la cajole et l’enveloppe, ne laissant pas d’autre choix que l’interprétation aiguë de sa propre détresse muette. Un DVD de bonne facture vous est présenté depuis peu, pour lequel vous n’aurez pas beaucoup de choix de langage : on y parle surtout français, un peu anglais et coréen, mais la piste 5.1 propose une meilleure spatialisation du son qui se ressentira à certains moments où la musique envahira l’espace.
Titre original |
Retour à Séoul |
Date de sortie en salles |
25 janvier 2023 avec Les Films du Losange |
Date de sortie en vidéo |
4 juillet 2023 avec Blaq Out |
Réalisation |
Davy Chou |
Distribution |
Park Ji-min, Oh Kwang-rok, Han Guka, Kim Sun-young, Louis-Do de Lencquesaing & Yoann Zimmer |
Scénario |
Davy Chou, Violette Garcia & Laure Badufle d’après la vie de cette dernière |
Photographie |
Thomas Favel |
Musique |
Jérémie Arcache & Christophe Musset |
Support & durée |
DVD Blaq Out (2023) zone 2 en 1.85 :1 / 119 min |