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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Drive my car

Drive my car

Synopsis : Alors qu'il n'arrive toujours pas à se remettre d'un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en cène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu'on lui a assignée comme chauffeur. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.

Drive my car

Continuons sur ce modeste blog d’explorer au fil des sorties vidéo le Palmarès du Festival de Cannes 2021, qui propose régulièrement avec ses lauréats et ses sélections officielles des surprises dignes d’égayer votre soirée vidéo. Après Stillwater (hors compétition), Flag DayRed Rocketles Intranquilles Bonne Mère, le film réalisé par Hamaguchi est sans conteste celui qui a le plus marqué les esprits et les jurys, décrochant plusieurs titres  sur la Croisette (dont le Prix du scénario) venant s'ajouter à la quarantaine d'autres glanés de par le monde. Il faut admettre que le metteur en scène était attendu, tant ses précédentes créations avaient impressionné les cinéphiles (malgré la durée de son incroyable Senses, qui dépasse les 5 heures si on le prend dans son intégralité). Et à l'heure où nous rédigeons ces lignes, il est toujours en ballottage favorable pour la course aux Oscars

Drive my car

De fait, Drive my car est une oeuvre magnifique, sensible et puissante, d'une infinie délicatesse et particulièrement élégante dans l'exploration des tourments de ceux qui errent dans la vie, égarés, ayant perdu le repère que constituait pour eux l'ami, l'amant, le parent qu'ils n'ont plus. Privés de balises émotionnelle, chacun de ces êtres solitaires gère à sa façon l'impact et les conséquences de la perte : le mutisme est leur langage, la froideur apparente leur bouclier. N'ayant que trop souffert, ils choisissent pourtant de ruminer leur peine afin de conserver, même déformée, l'image de la personne qui partageait leur vie et lui donnait un sens qu'ils ne parviennent plus à expliquer. Ils vivent tels des fantômes du passé, n'envisagent pas l'avenir, s'accrochent à quelques habitudes quasi-monomaniaques héritées d'un temps où ils étaient heureux et agissent par habitude, sans envie ni passion, laissant les jours s'égrener sans tenter la moindre remise en question.

Drive my car

Yusuke Kafuku est de ceux-là. Après avoir connu l'ivresse des planches, il s'est tourné vers la mise en scène pour le théâtre, secondé par sa femme, sa complice de tous les instants, scénariste pour la télévision, avec laquelle ils échangeaient, fiévreusement, tendrement, des idées et des réflexions sur leurs propres créations, les unes se nourrissant des autres dans une relation où le charnel cédait le pas à l'artistique. Sa femme qu'il adorait, qui lui créait des cassettes sur lesquelles elle enregistrait le texte de ses rôles afin qu'il puisse répéter dans sa voiture, le long de ces trajets qui l'éloignaient d'elle pendant ses tournées. Ainsi, le rôle de Vania n'a-t-il plus le moindre secret pour lui, qui possède comme personne sur l'archipel nippon ce personnage de Tchekov grâce à l'assistance enamourée de son épouse.

Mais voilà que, malgré des non-dits coupables dont le spectateur se révèle complice malgré lui, Yusuke se retrouve seul avec le deuil de sa moitié et sa fidèle Saab 900 Turbo, vestige d'une époque révolue où le style comptait davantage que le confort. Célibataire. Isolé dans sa solitude, avec une voiture et le théâtre, les deux dernières choses qui ne l'ont jamais déçu. On lui propose de monter Oncle Vania lors d'un festival à Hiroshima. Une autre vie commence. Générique.

Drive my car

L'une des particularités du film est son refus des codes établis : oui, l'exposition prend son temps et, alors qu'on croit suivre une histoire d'amour ponctuée de secrets, elle prend fin et le générique, au bout de près de trois quarts d'heure, annonce le véritable démarrage de l'histoire. Osé. Mais Hamaguchi a pris l'habitude de laisser le rythme des relations sentimentales rythmer ses récits, et le moins qu'on puisse dire est que le tempo de Drive my car n'est pas celui d'un John Wick. La réalisation s'attarde parfois sur des silences avant d'offrir quelques compositions absolument sublimes, jouant avec la lumière et la symétrie et insérant nombre de symboles immédiatement compréhensibles. Les couleurs, les lieux choisis, rien n'est anodin dans le métrage, qui s'appuie sur la force des mots de la littérature pour exprimer l'indicible. Et sa galerie de personnages est prodigieusement riche, avec ce parvenu, nouvelle gloire du petit écran, qui vient tenter sa chance dans la production de Kafuku qu'il connaît pour avoir longtemps collaboré avec sa défunte femme ; cette femme chauffeur que les organisateurs lui attribuent en dépit de son refus, pour qu'il puisse être ramené chaque soir au logement qui lui a été attribué, et dont les silences font écho à la douleur aphone du dramaturge ; cette actrice qui vient postuler au casting alors qu'elle est sourde et muette, expliquant combien elle pourrait apporter à une distribution déjà éclectique et si représentative d'une parcelle d'humanité. Car dans la troupe de Kafuku, il y a des Chinois et des Coréens, et on y parle de nombreuses langues, même si le japonais et l'anglais prédominent. Cette richesse dans les nuances fait tout le sel de ce film qu'il faut donc absolument regarder en VO.

Drive my car

Dès lors, en regardant le lent cheminement d'un homme hanté par la mémoire d'une épouse, rongé par les remords et les regrets, qui va patiemment monter avec son équipe multiculturelle si dense, si joyeusement hétéroclite, si pleine d'autres secrets et non-dits, une pièce ardue puisant sa force dans ses personnages complexes et des émotions exacerbées, mais aussi dans le verbe élégant d'un maître de la littérature, sur une bande son d'une exquise justesse, alternant des morceaux fins et ciselés avec des œuvres de Mozart ou Beethoven, l'on se prend à espérer, au-delà de la résilience, le renouveau d'un espoir éteint, la nécessaire réconciliation avec soi-même en trouvant chez l'autre le miroir de sa propre âme meurtrie.

Dans ce film, les dialogues s'étirent jusqu'à un point rarement atteint, et certains monologues interminables vont susciter malaise et émerveillement. Le jeu des interprètes, d'une classe folle dans leur retenue si raffinée, se met au diapason d'une histoire qui fera écho avec l'une ou l'autre des peines et des joies que nous avons connues. 

L'encodage remarquable du DVD permettra de goûter à la richesse d'une palette pastel dans ces quelques plans à la plage, et encore dans les collines lointaines et enneigées où réside le secret d'une blessure, tout en profitant des très nombreuses séquences nocturnes. Une magnifique expérience de cinéma, un très beau film.

En VOD, Blu-Ray et DVD depuis le 1er mars 2022, et en EST depuis le 25 février 2022 Diaphana Édition Vidéo.

Titre original

Doraibu mai kâ

Date de sortie en salles

18 août 2021 avec Diaphana Films

Date de sortie en vidéo

23 juillet 2002 avec Diaphana Édition Vidéo

Date de sortie en VOD

23 juillet 2002 avec Diaphana Édition Vidéo

Réalisation

Ryusuke Hamaguchi

Distribution

Hidetoshi Nishijima, Toko Miura & Masaki Okada

Scénario

Ryusuke Hamaguchi & Takamasa Oe d’après le recueil Des hommes sans femmes d’Haruki Murakami

Photographie

Hidetoshi Shinomiya

Musique

Eiko Ishibashi

Support & durée

DVD Diaphana (2022) en 1.85:1 / 177 min

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