Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Nora, la cinquantaine, femme de ménage, veille sur sa petite famille dans une cité des quartiers nord de Marseille. Après une longue période de chômage, un soir de mauvaise inspiration, son fils aîné Ellyes s’est fourvoyé dans le braquage d’une station-service. Incarcéré depuis plusieurs mois, il attend son procès avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Nora fait tout pour rendre cette attente la moins insupportable possible.
Nora à sa fenêtre, la mine austère mais un port de tête altier avec ce profil de dame patronnesse d’une noblesse sans équivoque, le regard perdu vers… vers quoi au fait ? Un passé douloureux, un avenir délétère ? Des regrets, des remords ? La vie qu’on n’a pas eue ? Rêverie solitaire qui ponctue son quotidien, où elle s’accorde l’une de ses rares pauses dans une journée de labeur et de don de soi, où elle semble puiser la force d’avancer, l’énergie de travailler pour les autres malgré la douleur qui taraude son corps usé, sa mâchoire percluse et ses espoirs fragiles. Ainsi, Nora regarde au fond du ciel, regarde la mer en contrebas de la cité d’où elle s’extirpe chaque matin à l'aube afin de rejoindre l’équipe de nettoyage de l’aéroport : d’autres gens comme elle, laborieux mais durs à la peine, dignes dans l’affliction et fidèles dans leurs rapports. Nora les écoute hausser le ton, se disputant gentiment pour des vétilles et elle esquisse un semblant de sourire : les soucis l’accablent mais on sent qu’elle se sent bien avec ces personnes en galère, sur qui elle peut compter. Nora les écoute, commente un peu et oublie sans doute quelques-uns de ses soucis. Mais sa journée de travail finit par s’écouler, il est temps pour elle de rentrer.
Sauf que Nora ne rentre pas. Elle se présente chez une dame âgée à qui elle va tenir compagnie : lui faire à manger, la toilette, la conversation. Toujours dans une grande économie de mouvements pleine de respect et de douceur. Elle compatit et elle accompagne cette mamie qui n’aime rien tant qu’écouter Frédéric François.
Mais le soir arrive à grands pas, il est temps pour elle de reprendre le bus pour retourner à la cité car sa propre famille l’attend : un fils avachi qui fait semblant de suivre sa scolarité mais ne pense qu’à son physique, une fille pleine d’énergie et de désespoir qui maugrée contre un job minable, une petite fille toute mignonne et un garçon plein d’entrain. Le grand absent dans la smala est le fils aîné, pour lequel, contre vents et marées, Nora essaie de réunir les fonds destinés à payer la procédure judiciaire qui lui permettra de se défendre ; en attendant, il est incarcéré, et elle veille sur sa bru et leur garçon, tout en se ménageant autant que possible des créneaux pour aller voir ce grand gaillard qui cache mal ses peines et son soulagement de la savoir à ses côtés.
Bonne Mère, ce n’est que cela, une tranche de la vie d’un être admirable, qui avance dans l’existence en se consacrant entièrement à ses proches : oh, il lui arrive parfois elle aussi de hausser le ton devant l’irresponsabilité de ces jeunes (ramassant les vêtements sales de l’un, s’occupant de la fille de l’autre qui passe son temps sous la douche), d’asséner quelques leçons de morale sans trop de conviction, voire même de menacer de tout plaquer, mais elle ne s’arrête jamais pour autant. Ce qui force le respect, c’est non seulement cette obstination, cette persévérance, mais aussi et surtout cette dignité dans l’adversité : elle ne s’abaisse jamais à quémander, ne supplie pas, proteste à mi-voix et remercie toujours. Portée par l’espoir de voir son grand sortir prochainement de prison, elle s’échine et s’évertue à rendre les siens satisfaits de leur sort.
Herzi, dans son humanisme réaliste, a voulu dresser le portrait d’une femme lui rappelant sa mère, qui l’a élevée dans des conditions similaires, dans la même cité phocéenne. Cadrant spontanément les visages, elle fait habilement ressortir leur élégance naturelle, captant la beauté transpirant de leurs défauts. Par touches sensibles, avec une humilité qui séduit, elle fait passer énormément d’émotion sans verser dans le pathos, sans déchaîner les violons : la musique est plus que discrète mais le choix diégétique des chansons est pertinent. Dans ces ruelles sordides et ces quartiers minés par les trafics, elle met en exergue cette lumière singulière qui auréole ces murs, ces escaliers, ces habitants si accablés et néanmoins si fiers. La sous-intrigue où Sabah (la fille de Nora) s’évertue à trouver un autre moyen (plus rapide et aisé) de gagner de l’argent peine cependant à convaincre, malgré la bonne volonté des interprètes féminines qui l’entourent ; l’intérêt, et la vérité, est ailleurs, dans chacun des actes désintéressés de cette mère courage sublime et chez ceux qui l’entourent, comptent sur elle et l’aident en retour. Et lorsque, pour la première fois, Nora laisse échapper quelques larmes de reconnaissance de ses yeux magnifiques, on ne peut que fondre en pensant à tout ce qu’aura accompli notre propre mère.
Un joli film, pudique et chaleureux, qui a obtenu le Prix d'ensemble au Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard ; il sortira le 7 décembre 21 chez Blaq out en DVD, qui comporte en bonus un entretien avec la réalisatrice.
Titre original |
Bonne Mère |
Date de sortie en salles |
21 juillet 2021 avec SBS Distribution |
Date de sortie en vidéo |
7 décembre 2021 avec Blaq Out |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Hafsia Herzi |
Distribution |
Halima Benhamed, Sabrina Benhamed & Jawed Hannachi Herzi |
Scénario |
Hafsia Herzi |
Photographie |
Jérémie Attard |
Musique |
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Support & durée |
DVD Blaq Out (2021) zone 2 en 2.35:1/99 min |