Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
L’idée de créer un film sur la vie du maître de Bruce Lee date de la fin des années 90, mais différents conflits de production ont fait traîner les choses, jusqu’à ce que Wong Kar-Wai d’une part, dans un projet qui aboutira péniblement à the Grandmaster, et Wilson Yip de l’autre, avec Donnie Yen, parvinssent à la concrétiser sur pellicule. La saga était née, et il ne serait plus possible de dissocier Ip Man de son interprète, lui-même maître dans plusieurs arts martiaux et notamment versé dans le Wing-Chun, qui est la technique de kung-fu que professait justement le maître en question. Le succès aidant, les productions s’enchaînèrent jusqu’à un récent Ip Man 4 où, après avoir terrassé régulièrement des représentants de l’armée japonaise, le maître chinois devait affronter les meilleurs américains.
A bien y regarder, on retrouve une parenté et des parallèles évidents entre cette saga et les différentes occurrences de Wong Fei-hung, le redresseur de torts de la fin du XIXe siècle, apparu dans plus d’une centaine de films dont l’autre saga célèbre Il était une fois en Chine. Il est remarquable par exemple de constater que c’est à Foshan que se déroule l’essentiel de l’action de ces deux sagas, et leur héros partage des valeurs similaires : homme de principes, pondéré, d’une sagesse exemplaire, partisan de la non-violence mais invincible au combat. Si l’aîné des deux grands maîtres a été médecin et instructeur pour l’armée chinoise, l’autre a été capitaine de la police dans sa ville, avant d’acquérir, indirectement chez nous (du fait de sa relation avec Bruce Lee), la renommée que l’on connaît.
Et donc la saga de repartir aux origines du personnage : Ip Man, jeune flic un peu idéaliste, tente de mener une vie tranquille tandis que sa femme, qui tremble chaque fois qu’il part en mission, est sur le point cette fois de donner naissance à leur premier enfant. Mais il lui est impossible de refuser d’accomplir sa mission, et sa déjà grande maîtrise du kung-fu l’empêche de craindre pour son existence, au point, dès le début de film, de ne pas hésiter lorsqu’il a à affronter une bande entière de criminels, le redoutable Gang des Haches. Les amateurs de films d’arts martiaux se souviendront peut-être d’une séquence semblable dans Crazy Kung-fu, la folie de Stephen Chow en moins. Néanmoins, à un contre cent, le pugilat donne le ton du métrage : Ip Man, même jeune, est redoutable, vif et capable de s’adapter à toutes les situations. Il ne cède ni à la peur ni aux pressions et conserve une maîtrise de soi hors normes. Sa technique n’est pas encore aboutie (il demande d’ailleurs à son oncle de l’aider à la perfectionner) car il a perdu son maître avant que son enseignement ne soit parvenu à son terme, mais on reconnaît déjà les rafales de coups de poing qui feront la réputation de l’homme qu’il sera quand il ouvrira des écoles d’arts martiaux à Macao et Hong-Kong.
Le problème du capitaine Ip réside dans sa trop grande confiance dans les institutions et la Justice : malgré sa première grande victoire contre le crime, le voilà injustement accusé d’un meurtre et forcé de quitter la police. Ce qui aurait dû réjouir sa jeune femme, mais Ip Man est bien décidé à mener son combat jusqu’au bout, quitte à agir dans l’ombre : c’est donc la nuit, sous un masque, que l’ex-officier transformé en justicier de l’ombre, mènera la vie dure aux trafiquants, menaçant les intérêts des Japonais prêts à investir la cité.
De loin, le script est alléchant, même s’il rappelle beaucoup trop de nombreux récits où la vengeance se double de quête de vérité et de justice sociale : ici, les forces de l’ordre sont corrompues, les gangsters stupides dirigés en sous-main par des négociants aussi cupides que machiavéliques et la population n’attend qu’un sauveur pour se rebeller enfin contre l’oppression nippone. De Il était une fois en Chine à Batman en passant par Zorro ou V pour Vendetta, les références sont légion et illustrées par autant de grands morceaux de cinéma. Et le film souffre manifestement de la comparaison, ainsi que du poids non négligeable de son ascendance : si Donnie Yen était véritablement convaincant, acquérant ses lettres de noblesse sur la franchise avant d’aller faire un tour sur les studios de Star Wars (dans l’excellent Rogue One), son successeur peine à entrer dans son costume, manquant clairement de charisme et de présence tout en s’efforçant au mimétisme de circonstance. Les dialogues creux, les situations grotesques se succèdent et s’enchaînent avec lourdeur et sans aucune subtilité, entrecoupées de combats construits comme des figures imposées. Ces derniers éveillent parfois l’intérêt avec quelques jolies trouvailles (on ne peut qu’apprécier le combat en fauteuil de l’oncle d’Ip Man, buveur et fainéant invétéré) mais la caméra manque de fluidité et multiplie les zooms inutiles, peu aidée par un montage trop abrupt qui dessert l’intensité des confrontations et l’application des chorégraphies.
Entre trahisons évidentes, alliances, mésalliances et vains sacrifices, le script multiplie les effets de manche dans une histoire cousue de fil blanc où Ip Man (ce n’est pas un spoiler) ne trouvera jamais le moindre adversaire à sa hauteur : or, à ce point de la saga, sachant qu’en outre de nombreux autres films relatent la carrière du personnage, il était inconcevable de ne pas aller dans le crescendo espéré – sauf si le but est de faire patienter pour une suite promise plus grandiose et spectaculaire.
Toujours est-il que, malgré la bonne volonté des protagonistes, une qualité d’image digne du support (on appréciera ainsi davantage en blu-ray la définition des plans sous la pluie, le rendu des gouttelettes sur les costumes et uniformes et la texture des tenues féminines où la soie est particulièrement mise en valeur), on finit par s’ennuyer devant la vacuité des intrigues. Evidemment, il aurait été plus facile de faire une sorte de Tai-Chi Master, avec un scénario entièrement fondé sur les combats, mais c’eût été trahir la mémoire du personnage. Disponible avec la VO (en Mandarin, à privilégier) et la VF, toutes deux en DTS-HD Master Audio. Attention ! La jaquette comporte quelques imprécisions ou erreurs (le film ne dure pas 107 min mais plutôt 84 min). On y trouvera en outre les bandes annonces sur les deux précédents films de la franchise.
Ip Man – Kung Fu Master : les Origines est un film d'action : trouvera-t-il sa place parmi les plus grands films représentant ce genre et ses bagarres palpitantes ?
A essayer, en DVD, blu-ray et VOD depuis le 5 mai 2021 en France avec Program Store/M6 Video.
Synopsis : Plusieurs années avant de devenir le fameux maître de Bruce Lee, le jeune Ip Man, alors capitaine de police, est accusé à tort du meurtre d'un mafieux et ciblé par les deux filles de ce dernier, assoiffées de vengeance. Forcé de quitter les forces de l'ordre, Ip Man doit aussi faire face à l'arrivée de l'armée japonaise à Guangzhou.
Titre original |
Ip Man : Kung-Fu Master |
Date de sortie en salles (Chine) |
23 décembre 2019 avec Magnet Releasing |
Date de sortie en vidéo |
5 mai 2021 avec M6 Video |
Date de sortie en VOD |
5 mai 2021 avec Program Store |
Réalisation |
Liming Li |
Distribution |
Yu-Hang To & Michael Wong |
Scénario |
Liming Li & Qingshui Shi |
Photographie |
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Musique |
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Support & durée |
Blu-ray M6 (2021) region B en 1.78:1 /84 min |
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