Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Puisque l’excellent Dumbo est toujours au cinéma, voici une belle occasion pour parler de notre rencontre avec Eva Green et Tim Burton lors de la conférence de presse qui a eu lieu en mars.
Il comprend les incompris.
Pourquoi pensez-vous que Dumbo puisse encore faire rêver les jeunes générations ?
Tim Burton : En fait pour moi, cet éléphant volant c’est une très belle métaphore, et c’est aussi une histoire très personnelle. L’histoire d’un personnage un peu étrange qui n’a pas l’air vraiment de rentrer dans le moule, que l’on a du mal à définir, et cela ressemble à mon histoire personnelle avec Disney. Une histoire belle et longue. Je me suis servi de cette histoire, de mon expérience, je célèbre comme toujours le fait d’être différent et accepté par les autres.
Eva Green : J’ai grandi avec Dumbo, j’ai vu le dessin animé quand j’avais 4 ou 5 ans et cette histoire m’a toujours beaucoup bouleversée, cette histoire d’éléphanteau, de maman, cette séparation, c’était très émotionnel. Et je pense que personne d’autre que Tim ne pouvait mettre en scène cette histoire parce qu’il comprend les incompris, il a toujours sa poésie, sa magie.
Dreamland fait penser à Disneyland…
Tim Burton : On s’est amusés, lorsque j’ai commencé à travailler chez Disney ; ce qui est intéressant c’est que je dessinais sur les parcs d’attraction. Pour moi, c’était amusant et il m’a fallu bien moins de temps pour construire mon parc d’attraction qu’il en a fallu pour construire Disneyland. Donc c’est un peu un rêve qui est devenu réalité.
Eva, qu’est-ce qui vous a donné le plus de difficulté : votre peur du vide ou devoir prendre un tel accent français ?
Eva Green : La peur du vide évidemment. J’ai même appris que cela s’appelait de l’acrophobie. Au départ je me disais que je n’y arriverai absolument jamais. Et c’est vraiment grâce à la patience et à la passion des acrobates qui m’ont appris à faire des choses dingues là-haut que j’ai réussi à vaincre ma peur du vide. Mais ça m’a demandé du temps et de la patience.
Cette façon de parler comme une fable...
Avez-vous lu le livre ? Vous en êtes-vous inspiré ?
Tim Burton : Non, ce qui m’intéressait c’est la simplicité, la beauté de l’image véhiculée par les anciens Disney. Ce que j’aime c’est cette façon de parler comme une fable. Ce qui est important pour moi c’est bien évidemment l’inspiration visuelle.
Eva, votre personnage est inspiré par une véritable actrice, Colette Marchand ?
Eva Green : Vous m’en apprenez une belle, je ne savais pas du tout, honte à moi… Mon personnage est une artiste typique de l’âge d’or d’Hollywood, un peu cinéma muet, très glamour, que le personnage joué par Michael Keaton a trouvé dans les rues de Paris et en a fait une superstar en la ramenant à Dreamland. C’est un bel oiseau en cage au début, qui va finir par s’envoler.
Tim, quelles sont les scènes que vous avez préféré tourner ?
Tim Burton : C’est un film assez étrange à tourner, parce qu’il y a ces acteurs extraordinaires, ces équipes, ces décors, mais il manque le personnage principal. Je ne me disais pas en tournant « c’est incroyable de faire ce film », au contraire je me disais « je veux le rendre différent, et garder son cœur émotionnel ». Ce n’est pas l’idée de faire un remake qui me plaisait, mais l’idée d’explorer le film différemment.
Vous aviez des références pour faire ce film ?
Tim Burton : Il faut que vous sachiez, on ne me comprend pas quelle que soit la langue ! Mais c’est vrai que j’aime tous les films, tous les cinémas, donc je n’aime pas donner de réponse directe sur mes influences, tous les films que j’ai vu dans mon enfance m’ont inspiré. Dans le cas de Dumbo, je dois dire qu’il y a quelque chose dans la palette des couleurs de films noirs qui m’ont inspiré.
Eva, avez-vous fait des recherches dans la filmographie de Tim Burton pour ce rôle ?
Eva Green : Non, je connaissais plus ou moins le cinéma de Tim avant. Je ne vois pas de personnage qui soit assez ressemblant à Colette. Pour l’univers si l’on veut comparer, il y a un tout petit peu de Big Fish.
Vous avez choisi Dumbo parce qu’il s’inscrit dans votre œuvre comme Edward par exemple ?
Tim Burton : C’est vrai que pour moi, comme je l’ai dit tout à l’heure, la raison de mon attirance pour Dumbo c’est sa ressemblance avec qui je suis. C’est la risée de tous, un personnage bizarre, et en même temps, particulier, spécial. Donc c’est vrai que je suis très proche de ce que représente Dumbo dans le sentiment qu’il éveille. Et c’est pourquoi je voulais le faire, et j’aime toujours faire quelque chose qui me parle et auquel je suis très attaché profondément et intimement.
On avait l’impression de retourner à l’âge d’or hollywoodien.
Vos films sont connus pour être sombres mais en même temps magiques et joyeux. Comment vous faites pour associer ces deux facettes ?
Tim Burton : Tous les films Disney permettaient d’aborder des thèmes de la mort, la vie, la tristesse, que l’on a du mal à comprendre enfant. Il y a Dumbo, Pinocchio, on se souvient souvent des parties effrayantes ou tristes. Disney le faisait aussi très bien. Je ne fais pas de différence, c’est la même chose.
La dimension militante sur la captivité des animaux, qui n’est pas dans le film d’origine, était-elle importante pour vous ?
Tim Burton : Je n’ai jamais aimé le cirque, les clowns me terrifiaient, les bêtes sauvages en captivité… Mais en même temps le cirque c’est cet endroit un peu étrange où se retrouvent des artistes marginaux, imparfaits. Ça, c’est ce qui m’attirait. Je suis bien évidemment ravi qu’il n’y ait plus de bêtes sauvages en captivité dans les cirques. Pour mon film, on a surtout utilisé des chevaux et des chiens, pas d’animaux sauvages en captivité justement.
Eva, quelle a été votre impression lorsque vous avez vu le cirque version Tim Burton ?
Eva Green : Une des premières scènes que j’ai tournées c’est lorsque l’on est tous dans la voiture et que l’on rentre dans Dreamland. Le luxe que l’on avait c’est qu’il n’y a pratiquement pas d’écrans verts. On avait les attractions, les figurants, les acrobates, un groupe de jazz, c’était assez extraordinaire, on avait l’impression de retourner à l’âge d’or hollywoodien, c’était grandiose.
Tim Burton : Quand elle est arrivée sur le tournage, il y a avait partout des jongleurs, des lanceurs de couteaux, et puis elle a appris à être une grande trapéziste. Il y avait un environnement magique, avec de la passion dans l’air.
Eva Green : C’est vrai que c’est la passion qui est très contagieuse. Je m’entraînais tous les jours dans une grande tente, un chapiteau, où ils vivent tous ensemble. C’est vraiment une famille. C’est un peu cul-cul de dire ça mais c’est vrai. Ils s’aiment, ils s’entraident. Vous allez avoir les clowns qui vont aider les trapézistes. Il y a un grand soutien, un amour. Et puis c’est fascinant de les regarder, c’est assez impressionnant.
Des gens un peu bizarres qui vont aussi être en osmose avec un animal un peu bizarre aussi.
Tim, c’était compliqué de trouver un équilibre pour chacun des grands acteurs du film vu leur histoire très riche ?
Tim Burton : Bonne question, l’univers que je créé est un peu stylisé, forcément, vous avez un éléphant qui est réel mais qui ne l’est pas vraiment et vous avez des acteurs évidemment qui doivent interagir avec lui. Donc ce que j’aime c’est d’avoir autour de moi des gens un peu bizarres qui vont aussi être en osmose avec un animal un peu bizarre aussi. Donc j’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai réuni une troupe de gens extraordinaires et aussi un peu barrés. Le cirque c’est une famille bizarre, c’est un monde où l’on est très très heureux, et moi j’ai été heureux évidemment de retrouver Eva avec qui j’ai travaillé quelques fois, Michael Keaton avec qui j’ai travaillé il y a de nombreuses années, comme Danny DeVito, et Colin Farrell, avec qui tout de suite j’ai ressenti que je le connaissais depuis toujours. J’aimais l’idée que tout cela fasse un peu une famille dysfonctionnelle, c’était très important pour le film lui-même, j’ai adoré que tous ces fous soient d’accord et aillent avec moi jusqu’au bout de ma propre vision.
Eva, il y a un autre aspect très engagé dans le film, c’est votre personnage Colette qui s’émancipe du contrôle d’un homme très toxique. Cette dimension est-elle un critère dans le choix de vos rôles ? Cela compte pour vous ?
Eva Green : C’est vrai que je ne choisis pas un rôle en me disant « il faut que ce soit féministe » mais j’aime les femmes fortes évidemment. Des femmes qui ont un voyage, comme Colette, c’est une espèce d’oiseau en cage qui va prendre conscience que sa vie est superficielle et s’émanciper. Oui, des femmes fortes, des femmes complexes, des femmes qui ont du courage, des femmes modernes.
Faut-il voir dans Dumbo le regret d’un réalisateur qui aurait aimé partager la vie itinérante des gens du cirque ?
Tim Burton : Je suis un personnage de cirque. Faire un film, c’est retrouver la même dynamique avec ces incroyables artistes autour de vous. Donc non, je n’ai pas de regrets. Faire des films, c’est mieux que de m’enfuir retrouver un cirque.
Vous avez déclaré que le monstre de Frankenstein vous réconfortait enfant, qu’est-ce que ces monstres ont de réconfortant et d’attachant pour vous ?
Tim Burton : Nous avons tous une vision différente de ce qui nous touche, de ce qui nous interpelle. Aujourd’hui par exemple je me sens davantage Wolfman que monstre de Frankenstein. Je change de monstre au quotidien. S’identifier à ces personnages ne vous console pas forcément mais vous pouvez mieux vous comprendre vous-même et des images comme Dumbo sont importantes par rapport à cela.
Tim, pouvez-vous nous parler du contexte historique du film, de celui des personnages ?
Tim Burton : Je voulais vraiment présenter Dumbo comme une fable donc il n’était pas nécessaire de montrer la guerre. Ce qui est important pour moi, c’est que lorsque l’on rencontre ces personnages, l’on n’a pas besoin de voir ce qu’ils ont vécu pour les comprendre. Ce qui est important c’est de donner ce contexte, en parallèle à ce que vit Dumbo. C’est ça qui est important pour moi.
Eva, on dit oui directement à Tim Burton ?
Eva Green : Oui, qui dirait non ? On n’a pas besoin de lire un script, on sait toujours que ce sera un univers haut en couleurs, ou un rôle que l’on n’a jamais joué. Les rôles qu’il m’a offerts ont toujours été extrêmement divers. Et puis surtout c’est une atmosphère qui est toujours très joyeuse, chaleureuse, sur le plateau, ce qui est rare. C’est une vraie famille, il travaille toujours avec les mêmes gens et la même équipe, les mêmes assistants, les producteurs. Il n’y a pas de jugement. C’est un vrai plaisir.
Tim, vous avez compris ce qu’Eva a dit ?
Tim Burton : je ne comprends rien de ce que tout le monde dit ! Français, anglais… Eva comprend.
Titre original |
Dumbo |
Date de sortie en salles |
27 mars 2019 avec Walt Disney Company |
Date de sortie en vidéo |
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Photographie |
Ben Davis |
Musique |
Danny Elfman |
Support & durée |
35 mm en 1.85:1 / 112 min |
[critique] Dumbo - l'Ecran Miroir
Pour sa deuxième adaptation live d'un classique Disney, Tim Burton retrouve le talent qu'on lui connait et qui lui faisait un peu défaut depuis quelques temps. Son merveilleux Dumbo est probablement