Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
L'ambition de mettre en images les pièces "historiques" de William Shakespeare n'est pas nouvelle : il y a là suffisamment de matière pour proposer un spectacle dense en événements dramatiques, riche de personnages décadents et/ou pittoresques et magnifié par les phrases fleuries et les tournures somptueuses du Barde. Après une première tentative dans les années 60, la BBC réitère son projet autour de cinéastes solides tels Sam Mendes et en s’associant avec NBC. Si elle a fait très fort en embauchant une liste ahurissante de comédiens vedettes, reste à savoir comment la production a été menée. Tout le problème est de déterminer la teneur de l'adaptation : faut-il viser l'intégralité respectueuse à la façon de Branagh (qui pour Hamlet était allé jusqu'à récupérer des passages oubliés de la pièce) ou chercher à plaire à un public plus étendu en élaguant quelque peu tout en incorporant des séquences annexes, non décrites dans les dialogues mais implicitement contenues dans le script ? L'équipe de Sam Mendes semble avoir ménagé la chèvre et le chou et parvient à concilier le pouvoir de l'image avec la puissance du texte.
De quoi cela parle-t-il ? Shakespeare, s'il est avant tout renommé pour ses tragédies, est également le père de plusieurs pièces retraçant l'Histoire de l'Angleterre, et plus particulièrement de ses têtes couronnées : histoire tragique s'il en est, et propice à bien des scènes dramatiques, plus ou moins exagérées par le Dramaturge qui ne s'est gère embarrassé de réalisme historique, rajeunissant tel personnage, en remplaçant d'autres et en inventant quelques-uns dans le seul but d'incorporer des passages plus légers (ainsi Falstaff, gentilhomme replet et farceur, aimant la bonne chère et compagnon de beuverie du futur Henry V). Puisant ses sources dans des documents plus que discutables, Shakespeare s'est ainsi attelé à dépeindre les affres de la Couronne britannique entre la fin du XIVe siècle et le désastre français de la Guerre de Cent Ans, ravivant la flamme patriotique tout en continuant à critiquer vertement les agissements des puissants. Si le Grand Poète vivait à l'époque des Tudors, dans une relative période de paix succédant à la Guerre des Deux Roses opposant York et Lancastre (dépeinte dans d'autres tragédies moins connues hormis Richard III, qui devrait faire l’objet de la seconde saison), les faits relatés dans les pièces qui nous intéressent se déroulent dans une époque trouble et antérieure. Ainsi la première saison est-elle composée de quatre épisodes (fort longs, de la durée d'un grand film) issus de la tétralogie :
- Richard II décrit la chute du dernier héritier direct des Plantagenêt au profit de la maison des Lancastre ;
- Henri IV raconte, en deux parties, les malheurs d'un roi ne sachant comment conserver sa couronne et son territoire, menant la guerre sur plusieurs fronts et se désespérant de voir son fils, Hal, le Prince de Galles, mener une vie de débauche tandis que Percy, le fils de Northumberland, brille sur les champs de bataille ;
- Henri V fait directement suite : Hal, devenu roi, revêt instantanément le manteau de sagesse et, afin d'asseoir sa légitimité encore contestée, décide de récupérer le trône de France dont il est le prétendant légitime, ce à quoi Charles VI émet une fin de non-recevoir. D'où la guerre sur le continent, avec un jeune roi aussi pieux que vaillant, qui se retrouve acculé près d'Azincourt mais parvient à insuffler à ses hommes le courage de battre un ennemi cinq fois supérieur en nombre - et beaucoup trop confiant.
Trahisons, forfaitures, alliances et mésalliances ponctuées de moments d'apparente franche rigolade où Shakespeare s'évertue à explorer la condition humaine, à vilipender les notables et à soulever quelques questions existentielles.
Ce qui frappe dans la série, c'est avant tout la distribution. Les têtes d'affiche sont prestigieuses et tiennent largement leur rang : Ben Whishaw est absolument parfait en souverain incompétent, taxant à retour de bras sans savoir estimer la valeur de ses adversaires. Jeremy Irons, en monarque fatigué et malade, sachant ses dernières heures arrivées, force le respect mais c’est tout de même Tom Hiddleston qui achève de convaincre, présent dans les trois derniers épisodes, qui passe de bôgosse fêtard et enjoué à prince vaillant puis à roi dévoué et iconique avec une aisance qui séduit instantanément. Dans des décors un peu chiches mais bien mis en valeur, on voit passer une galerie de seconds rôles savoureux (c’est aussi par eux que Shakespeare savait trouver son public) dont une bonne partie est issue du sérail de Game of Thrones (il y en a huit, amusez-vous à les trouver !). Des pointures comme Patrick Stewart, James Purefoy, Rory Kinnear, Geraldine Chaplin (en suivante vaguement anglophone de la princesse Catherine), l’inusable John Hurt ou Lambert Wilson (en Charles VI de France) apparaîtront çà et là pour le plus grand plaisir des cinéphiles – qui seront peut-être heureux de voir apparaître le nom de Stephen Warbeck parmi les compositeurs. Si les plans d’ensemble des armées manquent d’impact, on a droit à quelques batailles cadrées serré et deux ou trois duels relativement convaincants. Le dernier épisode propose également quelques dialogues dans un français délicieusement suranné avec notamment la cour empressée entre le roi d’Angleterre et la fille du roi de France, alternant les langues avec bonheur.
Diffusée en 2012 sur les réseaux britanniques, puis en 2017 sur la chaîne Histoire, la série arrive enfin en vidéo le 18 septembre 2018 (dans un coffret de 4 DVD en V.O. 5.1 sous-titrée en français) dans une édition l’Atelier d’Images, qui coïncidera avec la sortie le 23 octobre de la saison 2 proposant un Benedict Cumberbatch en grande forme !
Titre original |
The Hollow Crown – season 1 |
Créateurs |
Sam Mendes |
Format |
1 saison de 4 épisodes de 115 à 142 min |
Date de 1e diffusion |
30 juin 2012 sur BBC Two |
Date de 1e diffusion française |
1er juin 2017 sur Histoire |
Date de sortie en vidéo |
18 septembre 2018 avec l’Atelier d’Images |
Distribution |
Jeremy Irons, Ben Whishaw, Tom Hiddleston, Patrick Stewart, John Hurt, Rory Kinnear, James Purefoy, Geraldine Chaplin, Clémence Poésy, Mélanie Thierry |
Photographie |
Ben Smithard, Danny Cohen & Michael McDonough |
Musique |
Stephen Warbeck, Adam Cork & Adrian Johnston |
Support & durée |
DVD l’Atelier d’Images (2018) zone 2 en 16/9 /505 min environ |
[Challenge] Shakespeare au cinéma - l'Ecran Miroir
Il était dans les airs depuis un moment déjà. On hésitait à le lancer, ne sachant trop par quel bout le prendre. Mais les films commençaient à s'entasser, il fallait débloquer la situation....
http://www.ecran-miroir.fr/article-challenge-shakespeare-au-cinema-117873546.html