Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Sorti à la mi-juin 2018 en France, Hérédité aurait pu faire beaucoup plus de bruit que cela. Il a toutefois su intriguer bon nombre de cinéphiles dont certains ont cru déceler dans le premier long-métrage d’Ari Aster ce qu’ils avaient admiré dans les premières réalisations de Shyamalan : une vraie culture cinématographique, une maîtrise totale du sujet abordé et un souci constant de précision, une méticulosité acharnée saluée (quoiqu’endurée) par les acteurs, Toni Collette en tête. La sortie en vidéo d’un film qui mérite assurément le détour est ainsi l’occasion de confirmer l’impression positive de nombreux spectateurs et les louanges d’une partie de la presse.
Si Hérédité s’inscrit dans le film de pure épouvante, il se démarque rapidement, et aisément, du tout-venant de la production qui ne semble lorgner que du côté de la frousse facile destinée aux ados : du cadre à l’atmosphère en passant par le choix du casting (Toni Collette et Gabriel Byrne étant également impliqués dans la production) et par la musique confiée à Colin Stetson, l’on comprend vite qu’on sera davantage face à un drame angoissant façon Rosemary’s Baby qu’à un succédané de Conjuring. Très pauvre en jump scares, le film se complaît à dépeindre des situations extrêmement tendues entre les membres d’une famille marquée par des tragédies et dont on devine par certains sous-entendus un passé trouble et pesant, tout en parsemant sa mise en scène fluide de quelques séquences inquiétantes jouant sur le morbide et les attentes des spectateurs qui interpelleront la pénombre et inspecteront chaque recoin des arrière-plans. Difficile de nier le soin apporté à chaque élément de l’intrigue qui entretient savamment le doute et le malaise sans effet grandiloquent outre-mesure (en dehors d’un finale qui frise le grotesque tout en imposant le respect) : Ari Aster choisit de ne pas nous lâcher en entretenant patiemment et intelligemment le besoin de connaissance engendré par les questions soulevées et la peine vécue par cette famille dévastée.
Les deux plans d’ouverture nous le font aisément comprendre : un avis mortuaire imprimé sur fond noir tandis que résonnent les notes grinçantes d’un ostinato sombre puis un travelling sur des miniatures, ces reproductions de scènes ou de pièces dont Annie, la fille de la personne décédée, s’est faite une spécialité et qui dupliquent avec une troublante fidélité la réalité environnante – à tel point qu’on finit par se demander si la caméra n’évolue pas dans une de ces maisons de poupées tant les éléments du mobilier et l’arrangement des salles semblent le suggérer. Une sensation voulue par le réalisateur bien aidé par ses accessoiristes et décorateurs qui ont préféré reconstruire la maison des Graham en studio (à Park City) afin d’avoir les mains libres pour filmer les déplacements des protagonistes dans un environnement totalement maîtrisé. L’Utah n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard avec cette verdure écrasée par la présence à la fois menaçante et rassurante des sommets enneigés. L’on y découvre, petit à petit, par des touches sensibles et des dialogues ciselés, les membres de cette famille dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne nage pas dans le bonheur. Annie, la mère, bien que marquée par le décès de la matriarche qui ne lui a pas laissé que de bons souvenirs, tente de passer sa douleur en se plongeant dans la confection de ses miniatures qui exigent d’elle minutie et calme olympien. Ses relations avec ses deux enfants (Peter, l’aîné, ado évanescent et renfermé, Charlie, la cadette, souffrant de problèmes de comportement) semblent sinon distantes, du moins délicates. C’est Steve, le père bienveillant, d’une sérénité forçant le respect, qui comble les vides et maintient la cohésion de la cellule familiale. On sent que ces quatre-là n’en sont pas à leur première épreuve : beaucoup de non-dits et de regards chargés de sens stimulent l’imaginaire du spectateur. Annie souffre mais ne parvient pas à s’ouvrir si bien qu’elle choisit un groupe de parole pour s’épancher de temps en temps sur les drames qui ont criblé son existence. Peter fume avec des copains et s’enfonce dans le déni. Charlie paraît être curieusement la plus éprouvée par la disparition de sa grand-mère : ses dessins virent au cauchemardesque et son attitude se pare d’une curiosité morbide. C’est alors qu’Annie va commencer à voir ou ressentir certaines choses qui feront vaciller sa raison, altérant davantage ses rapports familiaux jusqu’à ce qu’un nouveau drame les frappe de plein fouet.
Si certains petits détails révélés sans ostentation nous poussent vers la voie du mysticisme, de la magie noire ou de la possession démoniaque, ils sont chaque fois contrecarrés par ces scènes de la vie ordinaire qui contribuent à ancrer le film dans un certain réalisme psychologique, d’autant que nombre d’allusions pouvaient faire douter de la santé mentale des Graham : la vieille, de l’aveu même d’Annie, avait « des rituels particuliers » ; Annie elle-même, qui a avoué son somnambulisme, semble perpétuellement sur le point de devenir cinglée – et rares sont les actrices aussi expressives que Toni Collette lorsqu’elle fait éclater la paranoïa de son personnage ; Charlie a visiblement une case en moins ; Peter est sous l’emprise des drogues douces. Reste Steve, beaucoup trop « normal » pour être honnête dans ce métrage à l’atmosphère délétère, campé par un Gabriel Byrne toujours aussi élégant. Jusqu’à la dernière demi-heure, l’on n’aura jamais l’occasion de pouvoir déterminer avec certitude la véracité d’un fait ou la pertinence d’un point de vue. Ensuite, la bascule s’opèrera, des voiles seront levés et, si l’on pourra regretter le tempo lancinant et l’ambiance oppressante des trois premiers quarts, on saluera tout de même le soin apporté à la mise en scène de l’horreur : la bande-son et les arrière-plans joueront un rôle non négligeable au moment des révélations, et certains symboles dévoileront leur sens.
Parmi les films d’horreur récents et à venir, voici donc une expérience
intéressante qui parvient à jouer constamment sur l’ambivalence et les traditions, entretenant malicieusement le mystère en nous martelant que, finalement, rien n’est plus terrifiant (et mortel) que les secrets de famille.
En DVD, Blu-ray et VOD depuis le 15 octobre 2018 chez Metropolitan FilmExport.
Titre original | Hereditary |
Date de sortie en salles | 13 juin 2018 avec Metropolitan FilmExport |
Date de sortie en vidéo | 15 octobre 2018 avec Metropolitan FilmExport |
Photographie | Pawel Pogorzelski |
Musique | Colin Stetson |
Support & durée | DVD Metropolitan (2018) zone 2 en 2.00 :1 / 127 min |
Hérédité - film 2018 - Ari Aster - Cinetrafic
Epouvante-Horreur, Thriller. Avec Toni Collette, Gabriel Byrne. Retrouvez les bandes-annonces et vidéos. Découvrez des films similaires. Classé par les critiques en haut du top des meilleurs fil...