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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

17 ans après sa première exploitation en vidéo dans l'Hexagone, 56 ans après sa sortie dans les salles françaises, le Prisonnier d'Alcatraz s'apprête à connaître une renaissance en vidéo : Wild Side proposera en effet dès le 5 juin 2018 un coffret collector exhaustif sur ce somptueux film de prison, pareil à nul autre, porté par un casting impeccable à la tête duquel rayonne un Burt Lancaster totalement investi dans son rôle et dans la production de cette adaptation d'un livre qui l'a passionné et qui marqua les esprits au début des années 1960. L'occasion aussi, grâce notamment au très complet livret inclus Au-delà des grilles, rédigé par Doug Headline pour l'occasion, de faire la lumière sur ce personnage particulier qui devint le prisonnier le plus célèbre des Etats-Unis avant de décéder dans l'anonymat, éclipsé par la nouvelle de l'assassinat de Kennedy le lendemain.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Le Prisonnier d’Alcatraz (et davantage encore le titre original, Birdman of Alcatraz) repose sur de nombreux mensonges et falsifications de la réalité, plus ou moins volontaires, et qui ont contribué à donner du personnage de Robert Stroud une image bien éloignée de ce qu’elle a été. En effet, si l’homme a été emprisonné plus de cinquante ans durant – dont la majeure partie en isolement – il n’a passé que quelques années sur le célèbre rocher de la baie de San Francisco. La production a joué sur l’aura encore intacte de ce pénitencier hors normes qui devait fermer peu de temps après la sortie du film.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Et tout le reste est à l’avenant. Non pas qu’il faille s’en offusquer d’ailleurs (Amadeus aurait-il eu le même impact s’il avait été plus strict dans son adaptation ?), mais avec le recul, il est intéressant de recueillir des éléments permettant de relativiser l’effet produit par la réalisation millimétrée de Frankenheimer – spécialiste des scènes confinées – et l’interprétation absolument magistrale de Burt Lancaster. Tourné volontairement en noir & blanc, afin d’en augmenter la portée dramatique, le film retrace le parcours stupéfiant de Robert Stroud, un prévenu singulier qui passera par plusieurs établissements carcéraux avant d’aboutir à Alcatraz. Le métrage s’ouvre d’ailleurs sur un quai de San Francisco : un homme de dos contemple « the Rock » au loin et nous évoque le début de l’histoire de Stroud. Cet homme, c’est Thomas Gaddis, l’auteur d’un livre sur le personnage et donc garant des événements narrés dans les séquences à venir. Mais avant d’évoquer sa venue à Alcatraz, il faut en commencer par le commencement, et le scénariste Guy Trosper choisit de reculer jusqu’à l’époque où Stroud a été transféré par train avec d’autres prévenus dans la prison de Leavenworth. On nous le présente déjà comme une bête fauve, tapie, silencieuse et attendant son heure. Il fait trop chaud dans le wagon ? Qu’à cela ne tienne, il se lève et brise une vitre avant de se rasseoir sans s’émouvoir des ordres hurlés par les surveillants. Une incartade qui lui vaudra, dès son arrivée, quelques heures d’internement et un face à face avec le responsable de l’établissement, Harvey Shoemaker, qui désire que tout se passe suivant un règlement minutieux. Shoemaker connaît son homme, il sait qu’il a été accusé d’avoir froidement abattu un type qui avait molesté son amie. Il se rend compte très vite que Stroud est très loin d’être stupide : il parle peu, mais ses arguments font mouche et sa stature lui confère naturellement une autorité indiscutable. Il n’en fallait pas davantage pour que Shoemaker le prenne en grippe et voie en lui un adversaire qu’il faudra briser avant qu’il ne vienne interférer dans son projet ambitieux (la réforme des établissements pénitentiaires). Dans un premier temps, Stroud semble faire profil bas, tout en se faisant remarquer pour son refus de fraterniser avec les autres détenus. Mais lorsqu’il apprend que sa mère est venue et a été refoulée, son sang ne fait qu’un tour et il finit par poignarder à mort un gardien. Nouvel internement.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Mis à l’écart, il ronge son frein et profite des très rares moments qu’on lui propose pour briser la monotonie d’un quotidien terne et solitaire. C’est au cours d’une promenade dans une petite cour qu’il tombe sur un oisillon dont le nid a été arraché par une averse. Il le recueille, le soigne et décide de le nourrir. C’est là qu’on commence à comprendre que ce gars-là est d’une rare intelligence (des tests menés par des psychologues lui attribuaient un QI très au-dessus de la moyenne). Avec le peu de matériel qu’on lui autorise à avoir, il parvient à faire grandir le petit moineau, s’attirant même la (relative) sympathie de Bull Ransom, son surveillant, et la curiosité d’un voisin de cellule, Feto Gomez, qui demande à avoir également des oiseaux de compagnie. Bientôt, les couloirs du pénitencier résonnent des gazouillis et des chants de canaris, jusqu’au jour où une épidémie frappe et les oiseaux commencent à mourir les uns après les autres. Stroud décide alors de les soigner : ses recherches livresques lui permettent d’identifier une forme de fièvre septique, pour laquelle aucun remède n’est connu. Même le médecin de la prison avoue son impuissance, tout en reconnaissant l’extraordinaire acharnement de Stroud à tenter de trouver un remède. Car il ne baisse pas les bras et va passer le plus clair de son temps à tenter des mélanges de solutions, notant les résultats, l’évolution du mal et les rares améliorations. Jusqu’au moment où il finit par guérir les volatiles. Son scrupuleux rapport est même publié, ce qui lui vaut de remporter un prix décerné par une revue scientifique. Stella, la femme qui le lui apporte tombe sous le charme : veuve, elle lui propose de faire commerce de ses traitements – et voilà Stroud propulsé au rang de sommité en matière d’ornithologie. La direction de la prison et même les autorités fédérales tenteront bien de mettre un terme à ses agissements, mais l’intelligence de Stroud, l’acharnement de sa mère et la dévotion de Stella (qui finira par l’épouser à sa demande, afin d’attirer la sympathie du public et de faire infléchir le gouvernement) surmonteront cet obstacle. Jusqu’au jour où, contre toute attente, Stroud va être transféré à Alcatraz : il sait qu’une nouvelle ère commence pour lui et décide de tout abandonner pour se consacrer à un traité sur la réhabilitation des prisonniers qui critique ouvertement le système carcéral américain (il est contraint d’abandonner ses études aviaires car il n’est plus autorisé à avoir des oiseaux dans sa cellule). Il retrouve Shoemaker qui a été muté sur le rocher et son ancien voisin Gomez et, ensemble, ils traverseront plusieurs épreuves, dont une mutinerie qui tournera mal.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Ainsi donc, le titre est loin d’être justifié : son internement à Alcatraz ne représente qu’un cinquième du film, et il n’y possède aucun oiseau. D’autre part, il est à présent avéré (et Lancaster l’a d’ailleurs confirmé après l’avoir rencontré) que Stroud n’était en rien cet individu fascinant dépeint par l’acteur, brillant mais borné, contenant sa rage en la focalisant sur des projets scientifiques : de nombreux psychologues l’ont qualifié de psychopathe dangereux, voire même de prédateur ; au cours d’une parmi les 23 demandes de liberté sur parole, il aurait même déclaré devoir sortir pour pouvoir « tuer plus de gens » ! Le script et la volonté de Lancaster, qui s’est véritablement investi dans l’adaptation du best-seller de Gaddis, ont gommé les aspérités du personnage et certains éléments (on ne voit jamais le frère de Stroud dans le film, qui ne conserve que le personnage de la mère, interprétée par l’excellente Thelma Ritter - l’actrice qui détient malheureusement le record du plus grand nombre de nominations non récompensées dans la catégorie « Second rôle féminin »). Les longs passages muets, pendant lesquels Stroud élève son moineau puis soigne ses canaris ont contribué à la renommée d’un film qui a pu ainsi plus facilement convaincre les publics étrangers. Le casting est à l’avenant : Shoemaker est interprété par un Karl Malden efficace, Feto Gomez par un très étonnant Telly Savalas plein de gouaille (rôle qui lui a valu sa seule nomination aux Oscars) ; les cinéphiles reconnaîtront Neville Brand dans la peau du gardien Ransom, un acteur plutôt habitué à jouer des criminels endurcis.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Le film vaut également pour sa magnifique photo, Guffey jouant à merveille sur les ombres et la profondeur, soignant les cadrages serrés, magnifiant la réalisation d’un encore jeune Frankenheimer qui sait parfaitement tirer parti des espaces restreints ; c’est d’ailleurs Burt Lancaster qui est allé le chercher après un premier échec avec un autre metteur en scène (et ce, malgré les tensions apparues lors de leurs précédents tournages ensemble). Et Elmer Bernstein s’est encore une fois surpassé, transformant les moments muets en de véritables odes à la réhabilitation ou la rédemption.

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Malgré des petits fourmillements sur les parties les plus lumineuses de l’image, le blu-ray propose une image de très bonne facture au format 1.66 :1, aux noirs denses et aux contrastes rigoureux. On peut en apprendre davantage sur le tournage un peu mouvementé (pas évident de domestiquer des dizaines d’oiseaux à l’intérieur d’une cellule) avec le documentaire de 28 minutes proposé en bonus, sous la forme d’un entretien avec un caméraman. La VO réencodée en DTS HD Master Audio prend de l’ampleur et abandonne une bonne part des sonorités nasillardes des pistes mono de l’époque. Le coffret dans les tons rouges est assez surprenant, abandonnant la splendide affiche d’époque imaginée par Saul Bass (bien qu’il semble qu’il n’en soit pas directement l’auteur).

le Prisonnier d'Alcatraz en vidéo le 5 juin 2018

Un très grand film de prison, traité comme un plaidoyer pour la

réhabilitation dans un système étriqué qui a passé des décennies à se voiler la face. Bien que sensiblement déviant par rapport à la réalité des personnages, il ne joue pas sur la dramaturgie habituelle des tentatives d’évasion mais sur le destin d’un homme différent qui, par sa hargne et son exceptionnelle intelligence, refusant les codes pour mieux les fustiger et s’en servir, démontre l’iniquité d’une législation monolithique et décadente, un peu à la manière d’un Bronson mais en moins spectaculairement provocateur. Si l’essentiel ne se déroule pas à Alcatraz (dont les intérieurs ont même été reproduits en studio), il n’en demeure pas moins une œuvre phare et un numéro d’acteur exceptionnel. A voir.

Titre original

Birdman of Alcatraz  

Date de sortie en salles

26 octobre 1962 avec United Artists

Date de sortie en vidéo

10 avril 2002 avec MGM

Photographie

Burnett Guffey

Musique

Elmer Bernstein

Support & durée

Blu-ray Wild Side (2018) en 1.66 :1 / 147 min

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