Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Après avoir pu discuter avec Leïla Bekhti et Lambert Wilson, les voix françaises du film, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Jon Favreau, le réalisateur. Un entretien décontracté où le metteur en scène de Chef, venu avec sa petite bouteille de thé japonais, nous a fait gentiment part de sa célèbre recette du sandwich cubain !
- Quel a été votre plus grand défi et comment s’est déroulée votre collaboration avec Weta Digital ?
Jon Favreau : Je pense que vraiment le défi le plus important a été de trouver le ton juste, parce qu’en fait il y avait deux références omniprésentes, d’une part le dessin animé de 1967 qui était une comédie musicale destinée aux enfants de façon explicite et d’autre part le roman de Kipling qui était assez sombre, assez intense, et destiné à des gens plus âgés, à un public adulte. Et il s’agissait pour moi, dans la mesure où j’allais travailler avec des prises de vue réelles, du photoréalisme, d’avoir un genre, un ton, qui soit approprié. Donc j’ai eu recours à d’autres films Disney, puisque Disney avait fait le choix pour Le Livre De La Jungle de se départir de cette dimension un peu plus sombre, je suis revenu aux 5 grands classiques de Disney, que ce soit Dumbo, Blanche-Neige, Pinocchio, Fantasia ou aussi Le Roi Lion, dans lequel il y a de l’humour, certes, des chansons, mais aussi une dimension un peu plus grave de l’existence. Donc on a eu recours à cette façon de faire, on a changé de catégorie aux Etats-Unis, nous ne sommes plus un film qui est destiné à la famille toute entière, y compris aux jeunes enfants, nous avons changé de classe d’âge, donc il s’agit de garder l’esprit et l’humour Disney mais aussi de ne pas hésiter à montrer la face la plus sombre de cette histoire.
Pour la question du travail avec Weta Digital, on a eu différentes étapes où nous avons eu recours à des techniques qui avaient déjà fait leurs preuves au cinéma sur d’autres projets. On a commencé par un travail classique de cinéma d’animation, avec des dessins au crayon à la Pixar, puis nous avons eu une étape de motion capture comme pour Avatar, avec les mêmes équipes, puis nous avons eu une troisième étape de prises de vue réelles, de tournage réel, mais évidemment très orienté sur les effets spéciaux et sur les images générées par informatique, très proche de ce qui a été fait sur Gravity par exemple, où le milieu est entièrement reconstitué et les acteurs jouent avec un milieu qui n’est pas réel.
- Un mot sur le casting ?
Jon Favreau : En fait mes choix ont été faciles à faire en ce qui concerne les voix, aussi bien les voix anglaises, américaines, que les françaises. Il était facile de choisir qui je voulais mais il n’était pas du tout évident que ces personnes acceptent de participer à l’aventure. Il se trouve que nous avons eu la chance d’avoir de grands acteurs, aussi bien dans la version originale que dans la version française, qui ont prêté leur voix mais aussi qui ont apporté de la personnalité, de l’humanité, à ces personnages. Parce que quand tous vos personnages sont des personnages numériques, il n’y a que sur les voix que vous puissiez compter pour apporter de l’épaisseur humaine aux personnages.
- Vos films fonctionnent beaucoup sur le visuel, Zathura, Iron Man, et maintenant Le Livre De La Jungle qui est de plus en plus proche du film d’animation. Seriez-vous emballé à l’idée d’en réaliser un, un peu à la manière – inverse - de Brad Bird ?
Jon Favreau : Avant tout je suis très heureux que vous disiez que chez moi c’est l’image qui prime parce qu’il se trouve qu’au contraire je suis un littéraire et que je viens de l’écriture. Il m’a fallu du temps pour comprendre le fonctionnement du visuel donc tant mieux si maintenant c’est ça qui prévaut. J’ai l’impression que la ligne de démarcation est de plus en plus floue aujourd’hui entre film d’animation et prises de vue réelles, surtout dans des films à effets spéciaux ; c’est difficile de dire ce qui est de l’ordre de l’animation et de l’ordre du cinéma. Pour ma part, je tâche de prendre le meilleur de chacun des deux. Je pense que l’on a à prendre des deux côtés. Ce que j’ai appris de l’animation, c’est que l’histoire doit être impeccable. Il y a très souvent un travail vraiment approfondi pour s’assurer que le récit fonctionne avant de passer à l’animation. C’était déjà le cas du temps de Walt Disney où le coût était tellement élevé qu’il fallait qu’une histoire soit écrite et réécrite et qu’elle soit vraiment parfaite avant de commencer avec les pinceaux, de dessiner et de faire l’image. Aujourd’hui chez Pixar c’est la même chose, plusieurs versions sont écrites au crayon avant de créer des images animées pour s’assurer que l’histoire fonctionne parfaitement puisque là aussi le coût est trop élevé. Bien sûr qu’il y a du bon cinéma dans les films d’animation et dans les films en prises de vue réelles, mais dans le cinéma d’animation il y a beaucoup moins de déchets tout simplement parce que l’on met vraiment à l’épreuve l’histoire avant de passer à la fabrication. C’est un peu comme en cuisine, puisque je viens de tourner Chef, j’ai une formation maintenant de cuistot ; la différence entre un pâtissier où il faut que tous les ingrédients soient exactement juste avant de les mettre au four, et un cuistot qui peut rajouter des sauces, goûter et s’assurer que tout va bien. Ce que j’ai appris de l’animation, c’est que toute la phase de préparation et de conception est une phase dans laquelle on peut mettre l’idée à l’épreuve.
[Il se dit intimidé par la traductrice, qui a la lourde tâche de se rappeler avec exactitude de tout ce qu’il vient de dire, en lui demandant si elle est « connectée » et en la félicitant pour son travail.]
- J’adorerais avoir votre recette du sandwich cubain !
Jon Favreau : La recette est en ligne mais je vais vous la donner. C’est un chef qui me l’a donnée. Il vous faut du bon pain cubain acheté chez un boulanger cubain, vous pouvez le faire vous-même mais ce n’est pas la même chose, de l’épaule de porc que vous faites mariner, en la cuisant lentement, vous la laissez refroidir, vous la coupez en tranches, puis du jambon – pas le bon que vous avez ici, celui du supermarché américain - puis vous le grillez, vous ajoutez de la moutarde, du fromage, vous beurrez le pain et le pressez pour qu’il soit plat. [en s’adressant à la traductrice] Bonne chance !
- Plus sérieusement, les références au Roi Lion sont intentionnelles ?
Jon Favreau : Je ne me rappelle plus de toutes les références à Kipling, mais il y a des références entre le film animé du Livre De La Jungle et Le Roi Lion. Le Roi Lion a été une sorte de garde fou en tant que dessin animé classique mais de notre époque. Parce que dans Blanche-Neige il est évident qu’il y a des scènes extrêmement terrifiantes, ou dans Pinocchio, quand la reine se transforme en sorcière, ce sont des scènes qui sont dignes de films d’horreur, mais d’un autre temps. Il est difficile de les transposer dans le cinéma d’aujourd’hui. On se demandait comment le public d’aujourd’hui pourrait réagir. Alors que comme référence plus récente, Le Roi Lion, comme équilibre entre de la musique, des chansons, de l’humour et des scènes effrayantes qui impliquent des animaux, le fait que cet équilibre ait fonctionné dans un film assez récent nous permettait de nous dire que nous pouvions tenter de le retrouver dans notre production.
- Pourquoi avoir choisi une femme pour interpréter Kaa ?
Jon Favreau : Tout simplement car dans le dessin animé de 1967 il n’y avait aucun personnage féminin, que des personnages masculins. Cela ne m’avait pas marqué en tant que spectateur quand je l’avais vu, mais aujourd’hui je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup de femmes, ma femme, mes filles, dans ma vie et il m’a semblé assez naturel de moderniser l’histoire. Je crois que quand vous racontez de nouveau une histoire, vous la mettez à jour, et la parité est quelque chose qui ne peut pas ne pas être pris en considération, cela nous est apparu important de faire apparaître des personnages féminins cohérents, comme par exemple Kaa mais aussi Raksha la mère, la louve, cela nous paraissait plutôt juste d’en faire des personnages forts. Raksha était présente dans le roman de Kipling mais pas dans le dessin animé. Et puis je pense aussi que c’est le monde d’aujourd’hui parce que ce n’est pas qu’une mère, même si je ne veux pas révéler aux gens qui ne l’auraient pas vu, elle a un rôle dans la meute qui me paraît être important dans le monde d’aujourd’hui. En tant que père de deux filles, même si l’on se réfère à une histoire ancienne concernant les animaux, dans le monde d’aujourd’hui il me semble important de dire que les femmes ont un autre rôle.
- Votre personnage favori dans le film ? Ce n’est pas un test de personnalité !
Jon Favreau : Quand j’étais petit mon personnage préféré c’était vraiment Baloo, comme beaucoup, d’abord parce qu’il est drôle et on aime tous les personnages qui ont de l’humour, mais aussi parce qu’il a ce côté protecteur et parental, il mouille sa chemise, il peut avoir des problèmes mais il revient toujours au personnage de Mowgli qu’il protège, et donc cette combinaison de protection et d’humour en faisait un personnage très attachant pour moi. Et je me suis rendu que je n’étais pas le seul et qu’une image qui revient toujours dans Le Livre De La Jungle, que l’on retient, c’est toujours cette scène où il flotte avec Mowgli et qu’ils chantent ensemble, et je me disais que cette scène il ne fallait pas qu’on la rate dans notre film. L’ennui c’est qu’en images réelles, un ours ne flotte pas vraiment. C’est très compliqué, on a commencé à faire des recherches. Je leur ai demandé d’envoyer des images d’ours dans l’eau, et les seules images que l’on trouvait c’étaient des ours qui étaient sur le ventre comme un chien, qui gardaient la tête hors de l’eau. Et ça ne marchait pas. La seule référence réelle que l’on ait pu trouver est celle des ours polaires, qui font la planche, les pieds vaguement immergés, et donc on a recours à cette réalité pour reconstituer la scène qui a pu être conservée.
- Avec toutes ces adaptations de Disney, y avait-il une volonté de respecter certains éléments du dessin animé, vous a-t-on laissé une marge de manœuvre ?
Jon Favreau : Assez étrangement Disney avant de m’engager sur le projet voulait faire une version encore plus éloignée du dessin animé, plus proche de Kipling, qui replongeait dans la source, dans le texte, mais qui finalement se démarquait du parti-pris du dessin animé pour enfants. Et je pense que quand ils m’ont associé au projet, ils n’avaient pas idée de l’importance qu’avait pour ma génération et pour moi le dessin animé de 1967. Et bizarrement je me suis retrouvé dans la position de celui qui disait « restons fidèle au dessin animé, gardons l’humour, gardons le ton, gardons les chansons » parce que ça représente quelque chose de très fort, de presque sacré pour notre génération. On ne peut pas s’en défaire comme ça. Je pense que ce qui a été mon approche personnelle, ça a été effectivement de développer d’avantage l’intrigue mais aussi de considérer que cela ne pouvait pas être seulement un film pour enfants, qu’il fallait qu’il s’adresse à tous les publics et que l’on y adhère quelle que soit la génération à laquelle on appartient, toutes ces générations ayant à l’esprit le dessin animé. La question du lien avec le dessin animé était vraiment très importante pour moi, et j’avais l’impression de l’avoir réussie, d’avoir réussi à maintenir l’équilibre, mais le problème avec ces films plus que n’importe quels autres c’est que tant qu’ils ne sont pas complètement finis vous ne le voyez pas donc vous ne pouvez pas le montrer. Le grand risque pour n’importe quel réalisateur c’est de se faire plaisir à soi, de faire plaisir à son entourage, mais que le public ne se reconnaisse pas dans le travail que vous avez fait. Parce que je considérais que le dessin animé n’appartenait plus à Disney mais qu’il appartenait au monde entier, j’aurais été ravagé si le public trouvait que j’avais trahi le dessin animé. Ca m’a valu quelques nuits blanches tant que le film n’avait pas encore été vu. Maintenant que je commence à le voir, à le montrer, à avoir le retour des spectateurs, je suis très rassuré.
Merci à Audrey, aux équipes de Disney, et à Jon Favreau pour ce sympathique entretien.
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