Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Une mini-série de Warren Ellis (2009), dessinée par Juan José Ryp, collection « Milady Graphics » éditions Bragelonne (2010).
Résumé : En 1966, Carrick Masterson a créé les Levellers, une équipe d’humains « améliorés » destinés à intervenir là où tout le reste a échoué. 11 ans plus tard, cette équipe est devenue la Front Line et fait régner l’ordre et la Justice dans le monde : grâce à la prise d’une substance unique, le FX7, ses membres sont dotés de pouvoirs incroyables.
A New-York, de nos jours, le jeune Josh Carver fait tout pour se faire remarquer de la Front Line, rôdant les soirs pour arrêter les voyous, jusqu’à ce que les vrais (et seuls) super-héros le remarquent. Dans le même temps, l’équipe de Masterson doit faire face à une série d’attentats cherchant à éliminer ses membres…
Une chronique de Vance
Le côté gênant de la publicité autour de la sortie de Black Summer, fruit de la même équipe artistique, était l’inévitable comparaison avec ce chef-d’œuvre qu’est Watchmen. Comme s’il était obligatoire d’user de cette référence chaque fois qu’on écrit sur les devoirs et les secrets d’une équipe de super-héros dans un monde réaliste.
Or, Warren Ellis n’a pas vraiment besoin de cela pour vendre. Quand bien même ses sujets seraient proches – après tout, il s’est fait un nom avec the Authority et Planetary et engendré des polémiques à la hauteur de son talent. Il s’est aussi fendu d’œuvre mineures, comme Ministère de l’espace, qui démontrent sa capacité à produire des récits de qualité, bourrés de références (souvent historiques, mais également littéraires) et suscitant des réflexions sur la place de l’homme dans l’ordre mondial. Chez lui, l’adage de ce cher Oncle Ben (pour ceux qui n’ont jamais lu Spider-Man : Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.) est constamment exploité, trituré, analysé et démultiplié, voire perverti. Ellis s’interroge constamment, et ses lecteurs dans le même temps, non pas sur l’origine de ces pouvoirs ou leur justification, mais sur ce qu’ils impliquent dans la vie de leur possesseur (plus ou moins conscients de leur état), de leur entourage et de l’Humanité toute entière. Après tout, pourquoi les Vengeurs (ou les Fantastiques, ou les X-Men) ne mettent-ils pas fin aux guerres dans le monde ainsi qu’aux divers fléaux qui menacent l’espèce ? Ils en ont la capacité, les moyens de mise en œuvre : qu’est-ce qui les en empêche ? Ah oui : la non-ingérence, excuse assez utile actuellement dans la bouche de nos diplomates impuissants devant les changements brutaux de l’équilibre politique des pays méditerranéens.
Dans No Hero, un jeune homme est prêt à tout pour devenir super-héros. Absolument tout. Lorsqu’il finit par être recruté (la Front Line est en pleine crise, c’est la première fois qu’elle perd deux membres coup sur coup), la question lui est souvent posée, d’autant que la prise de FX7 génère des effets mystérieux tant sur la psyché que sur l’organisme du candidat. Il peut y rester. Il est prévenu. Pourtant, il affirme être prêt. Il veut être un héros. Un membre de cette équipe qui intervient dans toutes les affaires internationales sensibles tout en posant des conditions draconiennes (par exemple, il est interdit à quiconque d’examiner le corps d’un membre de la Front Line). Il veut que plus personne n’ait peur en traversant une rue, il veut pouvoir participer à la création d’une société meilleure.
Seulement, tout le monde n’apprécie pas autant les super-héros. Les gouvernements s’inquiètent de cette menace permanente contre leur propre légitimité et leurs services secrets tentent de profiter de la moindre faille pour essayer de percer le mystère de ce composé capable de transformer un homme en un individu capable de voler, pulvériser un bâtiment d’un regard ou soulever un Boeing en plein vol. Nous sommes pris entre l’innocence touchante d’un futur héros et le cynisme politique des instances dirigeantes, tout en nous posant des questions sur la personnalité même de ce Masterson, davantage gestionnaire et agent de communication que leader charismatique d’une équipe de surhommes.
Ryp s’éclate littéralement dans ce récit et se permet quelques outrances presque écoeurantes dans sa manière d’illustrer les tortures infligées à l’un des super-héros, les cauchemars improbables de Josh et les dégâts monumentaux que peuvent infliger les coups donnés par ces êtres plus qu’humains. Avec ce souci du détail qui le rapproche d’un George Pérez, il aime faire exploser les corps et les viscères.
Et lorsque un autre membre de la Front Line est à son tour victime d’un guet-apens, on sait que l’étau se resserre autour de l’équipe : la Vérité devra éclater, à n’importe quel prix. Quitte à ce que les illusions des uns se voient balayer par les faits.
Récit dense et amer, parsemé de fulgurances d’une extrême violence, scandé par des extraits de discours ou de textes sur les responsabilités humaines, mais aussi illustré par des planches où l’artiste a repris certaines des couvertures les plus célèbres du monde des comics (le Spider-Man #1 de McFarlane, la mort de Supergirl dans un des volumes de Crisis de George Pérez, X-Men vs X-Men de Cockrum ou encore Watchmen, de Gibbons bien sûr).
Troublant et plutôt réussi.
Ma note : 3,9/5