Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
S’il fallait établir une sélection de films n’ayant pas volé leur statut (très souvent usurpé) de « culte », Jack Burton en ferait assurément partie.
Sollicité par la Fox pour concurrencer la sortie du 2e Indiana Jones, Carpenter surfait alors sur la vague d’estime consécutive à New-York 1997 et Christine et se voyait doté d’un cahier des charges assez flou : de l’action, de l’humour, de l’exotisme et une bonne pincée de ce fantastique dans lequel il était devenu une référence (the Fog, the Thing). Une seconde mouture du scénario déplace alors l’action du Mexique à la Californie : Jack Burton, héros roublard et blasé se voit confronté aux mystères de l'Orient profond, au sein d’une lutte ancestrale entre Bien et Mal qui, comme par hasard, prendra place au cœur de Chinatown. Chauffeur de camion aux épaules de déménageur bien soulignées par un « marcel » également devenu culte (il est visible dans les premières scènes de Boulevard de la Mort de Tarantino), il verra ses capacités de bagarreur largement malmenées par les forces en présence et ne s’en tirera qu’avec beaucoup de chance et un peu de débrouillardise. Il faut dire que, face aux Trois Trombes qui ont une classe folle (pas facile pourtant de se balader avec un abat-jour sur la tête !), il ne fait pas du tout le poids et passera son temps à demander à son ami de quoi il en retourne (histoire de se convaincre qu’il n’est pas en train de rêver ou sous l’influence d’une drogue quelconque – il ira même jusqu’à embrasser Gracie pour vérifier qu’il n’est pas mort !). Et que dire de ce Lo Pan qui semble invulnérable (il le percute avec son camion et l’autre en ressort comme un charme) !
Kurt Russell, déjà vieux complice de Carpenter, est parfait dans ce rôle de baroudeur un peu vantard complètement dépassé par les événements, étranger en terre étrangère (pourtant, on est à San Francisco !). Il y perdra sa verve et sa morgue, sombrera parfois dans le ridicule mais parviendra à conserver un capital sympathie incroyable : peut-être cette décontraction naturelle, sorte de nonchalance un peu pataude mais qui cache un vrai tempérament ? Plongé dans une bataille rangée noyée sous une furie d'arts martiaux, il est clair qu’il n’a pas sa place : autant prendre ses jambes à son cou, prudence ét
ant mère de sûreté. Néanmoins, il ne dédaigne pas la bagarre, mais il sait quand il n’a aucune chance. En revanche, la chance et une certaine dextérité lui sauveront la mise plus d’une fois, et sa coolitude magnétique en sortira renforcée, d’autant qu’il ne se vantera pas de ses maigres exploits outre-mesure.
Kim Cattrall hérite d’un personnage à la mesure des partenaires de Harrison Ford : jolie, mais casse-pieds, avec cette propension à mettre son nez partout. Elle tient la dragée haute à Russell et leur duo fait des étincelles.
Jack Burton, c’est donc ça, une forme d’hommage aux films HK (certaines séquences dans le duel de mages font penser à Zu, les guerriers de la montagne magique) déguisé sous une comédie d’action : les amateurs retrouveront de nombreuses passes d’armes de leurs chorégraphies martiales préférées, agrémentées d’angles de prises de vue inédits, notamment des travellings en plein combat. Carpenter, comme toujours, joue la carte de l’efficacité et, s’il ménage plus de pauses que de coutume, c’est pour mieux glisser quelques dialogues qui frisent le nonsensique et font régulièrement mouche.
Les clins d’œil obligatoires au western et le goût du réalisateur pour les créatures et autres monstres enrichissent encore ce patchwork improbable qui répond parfaitement à la demande initiale : c’est clairement « son » Indiana Jones, sa version de ce culte des serials qui avait poussé le duo Lucas/Spielberg dans la narration des aventures de l’intrépide archéologue. L’échec commercial du film en salles s’explique par de nombreux facteurs, le moindre étant que Carpenter a sans doute pris ses producteurs et sonpublic américain de court. Le marché de la vidéo a changé la donne, heureusement pour nous, car ce serait dommage de ne pas avoir une version haute-définition de ce film inclassable, et indispensable.
Bien que je préfère entamer les « challenges » de réalisateurs dans l’ordre chronologique, je ne suis pas mécontent d’avoir commencé le Défi Carpenter par ce film, et d'en avoir profité pour le glisser dans une séance du Ciné-Club Sensation.
Jubilatoire.
Titre original |
Big Trouble in Little China |
Mise en scène |
John Carpenter |
Date de sortie au cinéma |
3 septembre 1986 avec 20th Century Fox |
Date de sortie en DVD |
7 novembre 2001 avec 20th Century Fox |
Scénario |
Gary Goldman, David Z. Weinstein & W.D. Richter |
Distribution |
Kurt Russell, James Hong, Dennis Dun & Kim Cattrall |
Photographie |
Dean Cundey |
Musique |
John Carpenter & Alan Howarth |
Support & durée |
Blu-ray Fox (2010) region ALL en 1.85 :1 / 100 min |
Synopsis : Jack Burton, routier de la société Pork-Chop Express, a écumé tous les recoins de la côte Ouest des Etats-Unis. Blasé, il ne désire que se mettre un paquet de pognon de côté tant qu’il le peut. Après avoir remporté une grosse somme au jeu, il décide d’accompagner son ami Wong qui est son débiteur, mais qui doit d’abord récupérer sa fiancée à l’aéroport. Seulement elle est enlevée par un gang opérant sur Chinatown. Lancés à leur poursuite, Jack et Wang se retrouvent pris dans une bataille rangée entre clans, au milieu de laquelle des individus dotés de pouvoirs surnaturels interviennent…
J’étais déjà prêt dans le ventre de ma mère !
J’ai les yeux qui se brident.
J'ai envie aujourd'hui d'écrire un peu sur l'un des films les plus sous-estimés que je connaisse.
En effet, les Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin ou Big trouble in little China a fait un bide retentissant à l'époque de sa sortie au cinéma (1986) et a même coûté la carrière de son réalisateur John Carpenter qui passa, suite à cet échec commercial, de budgets confortables à des budgets plus modestes.
Alors bon, "sous-estimé" est peut-être un peu trop exagéré dans le sens où le film gagna un statut "culte" et un gros succès à sa sortie en cassette vidéo, mais je continue de penser que l'on ne parle jamais assez de cette œuvre réellement visionnaire, qui contribua à faire connaître les films HK aux Etats-Unis bien avant la sortie et le triomphe de Matrix ainsi que Tigres & Dragons ou In the mood for love.
Ce film, au fait, ça raconte quoi ?
C'est l'histoire d'un chauffeur de "la Côte de porc express", Jack Burton (Kurt Russell), qui arrive à Chinatown-San Francisco pour retrouver son ami Wang Chi (Dennis Dun). Mais leurs retrouvailles ne vont pas se dérouler comme prévu, car la fiancée de Wang va être kidnappée par le sorcier millénaire Lo Pan (qui aura aussi récupéré et mis dans son antre le camion de Jack). N'écoutant que leur courage, Jack et Wang vont se lancer dans une aventure inoubliable dans laquelle vont se mêler magie chinoise, mythes, monstres légendaires, fantômes et combats.
Et oui, c'est bien la copine du side kick qui va devoir être sauvée, et non la copine du héros. Ca change non ? En fait pour résumer, le side kick est le vrai héros et le héros est le side kick.
Car c'est là toute l'originalité : Jack Burton subit d'avantage les événements plutôt qu'il n'agit sur eux. Ce n'est pas un manque de volonté, c'est juste qu'il n'est pas si doué dans l'action qu'il (et que le spectateur) ne le croit. Il ne participera donc pas réellement à l'aventure, il se contentera de suivre son ami Wang.
Le postulat de départ ainsi que le personnage me font penser au film The Big Lebowski : ce gars simple, enfermé dans un rôle, une image qu'il se donne, et qui suit plus ou moins le déroulement du film en découvrant tout au même moment que le spectateur. Comme Lebowski voulant à tout prix un tapis propre, Jack, lui, cherche son camion pendant tout le film. Il ne comprendra pas ce qui lui arrive, tentant vainement d'avoir des explications auprès de ses acolytes et même du méchant qui n'hésitera pas à le traiter d'ignorant en se foutant ouvertement de lui. Cet échange très drôle entre Jack et Gracie (une journaliste qu'interprète la Kim Cattrall de Sex & the city) est très révélateur de la nature du personnage : pendant une discussion à propos de mythes chinois entre Wang, son oncle et un ami (tous habitants de Chinatown), Jack sort un "doucement, je me sens comme un étranger ici", ce à quoi réplique Gracie "C'est ce que vous êtes !". Logique et vrai.
Jack est constamment décalé.
Bizarrement, ce n'est pas cette impression qu'il nous donne dès les premières images. J'imagine qu'à l'époque de sa diffusion cinéma, c'était encore plus difficile de savoir devant quel style de film on était. Il a d'ailleurs été "commandé" à Carpenter par la Fox dans le but de créer un nouveau héros dans le style d'Indiana Jones. Bien entendu, les anecdotes racontent que Carpenter et Russell se sont amusés comme des fous à brouiller les pistes, sachant pertinemment que le film allait être plus "comique" que ce que les producteurs espéraient. Carpenter ne leur montrait que des séquences d'action plutôt basique en montant tranquillement son œuvre de son côté. Il en rit encore, écoutez bien le commentaire présent dans les éditions DVD et BD.
J'en reviens donc à la présentation de Jack : la première scène avec son ami Wang le montre comme quelqu'un de malin (souvenez-vous de la bouteille que Jack échange volontairement avec un gros sourire bien satisfait lors du pari de Wang) et comme un "gagnant" (il remporte tous les jeux qu'on lui propose - "la chance sourit aux débutants" lui rétorquera Wang, ce qui sera assez révélateur de son parcours pendant l'aventure). Cette scène d'introduction pourrait s'apparenter au film dans sa totalité : un Jack qui bat ses adversaires (ici en jouant, puis en se battant plus littéralement), sans comprendre vraiment les règles mais en croyant totalement en lui, sans remettre en cause la chance qu'il aurait pu avoir. Et pourtant, cette chance, c'est peut-être le vrai seul talent de Jack, puisqu'elle le sauvera à la fin du film.
Un personnage comme Jack, c'est une perle pour un acteur. Mais c'est aussi une prise de risque selon Carpenter, puisque beaucoup ont décliné l'offre. Heureusement que Kurt Russell fut présent pour endosser le rôle, il apporte tellement au personnage. C'est facile : Jack Burton, c'est Kurt Russell. Ou inversement, je m'embrouille. Sa meilleure performance. Que ce soit au niveau de son look ringard inimitable ou de ses punchlines risibles, on peut dire qu'il est une des meilleures raisons de voir ce film.
Jack est naïf et ne participe pas à l'aventure, mais il n'en demeure pas moins courageux et attachant. Il est prêt à tout pour venir en aide. Il est ultra motivé, et très sûr de lui.
Ce qui est drôle c'est que sa grande confiance en lui déteint sur les autres personnages : Jack Burton semble être une personne connue à Chinatown, il est célèbre pour des exploits dont on n’entendra pas parler ("C'est vous le célèbre Jack Burton ?" comme le dirait Eddie (Donald Li) le maître d'hôtel). Seuls Lo Pan le méchant et ses sbires semblent être lucides sur la situation de Jack et son inefficacité non remarquée par ses amis ("Comme le dirait ce bon vieux Jack Burton" dit Jack, "Qui ?" lui répond Thunder à la fin du film après avoir passé un bon moment à se battre contre lui).
Le héros, comme je le disais, est donc Wang, l'ami de Jack (présenté avec un chapeau très Indiana Jones en passant...), expert en kung-fu. C'est lui qui fait tout : il guide Jack, il comprend le chinois, il se bat. D'ailleurs pendant qu'il combat une armée avec ses mains, Jack, lui, essaie de retrouver son couteau et de débloquer le cran de sûreté de son flingue.
Il arrivera après la bataille.
Au cours de leur aventure, ils vont se retrouver aidés par d'autres personnes, dont le mystérieux et vénérable Egg Shen (Victor Wong). Jack sera alors inclus dans un groupe et sera systématiquement à la traîne. Plus il est aidé, plus il est largué en quelque sorte. Ce qui donnera lieu à de nombreuses séquences totalement surréalistes, comme l'apéritif concocté par Egg et qui agira comme une sorte de drogue pour Jack et ses potes ("Je me sens comme invincible", "J'ai une approche positive de cette situation") ou bien encore comme l'attaque de l'espèce de poisson (« Il ne reviendra jamais plus ! » ; « Quoi, qu'est-ce qui reviendra jamais plus ? »... « C'est pas vrai !... »).
Nous ne sommes pas face à une comédie pure, jamais le réalisateur ne nous file des coups de coude et nous dit "Vas-y, c'est maintenant qu'il faut rire". L'humour est plus subtil. Carpenter et Russell très heureux de se retrouver dans le commentaire du film passent leur temps à rigoler en insistant sur le fait qu'il est facile de comprendre si une personne a le sens de l'humour (il suffit qu’elle dise qu'elle a adoré le film).
C'est un film très marrant donc, mais c'est aussi un film d'aventures, une histoire d'amitié, un film de kung-fu, avec des éléments de fantastique, de film d'horreur (on est dans un Carpenter, avec ses scènes un peu effrayantes de squelettes bouffés par des crabes ou un Lo Pan vieillard dont le maquillage peut marquer les plus jeunes spectateurs), et même de film romantique. Difficile de classer ce métrage car aucun style ne ressort, c'est un équilibre parfait pour un cocktail de fun réussi.
On peut rajouter que si le film fonctionne aussi bien, c'est parce qu'il y a une réelle menace qui pèse sur nos héros. Lo Pan (James Hong, l’énigmatique Chew dans le film Blade Runner) est vraiment convainquant. Il n'est pas risible, il n'est pas inutile, il n'est pas ridicule, il est intelligent, il a une présence incroyable, et il est très bien entouré par ses trois gardes que sont Thunder, Rain et Lightning (les trois Trombes, personnages emblématiques du film dont le look aura marqué pas mal de monde).
Alors oui, quelques effets spéciaux sont dépassés (le singe surtout), mais ils ne nous font jamais ressortir du film.
Pour parler un peu plus de l'esthétique générale, on peut dire que les décors sont magnifiques. Pour vous donner une vague idée du look, imaginez la décoration de ces restaurants asiatiques bourrés de décos kitchouilles dont l'origine est indéterminée. La scène de combat à la fin se déroulera d'ailleurs dans un des décors les plus étranges du film puisque l'on trouvera au cœur de l'antre de Lo Pan une immense statue entourée de néons fluorescents rouges et bleus avec un escalator de centre commercial.
La musique composée par Carpenter himself est également dans le ton foutraque du film, avec des passages lents et hypnotiques, et d'autres rapides et entraînants. La surprise sera pour le générique de fin, avec le titre génial du groupe de Carpenter, tout en synthétiseurs. Immanquable.
Que dire de plus ?
Que c'est une suite non officielle des Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e Dimension .
Qu'à l'origine le scénario se déroulait à l'époque du western.
Que le film est bourré de références aux films HK de Tsui Hark (le combat entre Egg Shen et Lo Pan par exemple...).
Que la scène d'ouverture avec Egg Shen interrogé est un ajout de la production, qui voulait que Jack Burton paraisse un peu plus héroïque.
En tout cas, si vous aimez les films drôles, décalés, avec un mélange de genre réussi, regardez-le.
Je ne peux que vous conseiller l'achat du DVD ou du BD, car il est rare pour ce genre de films peu connus d'avoir des éditions aussi bonnes.
Un film vraiment inoubliable, un chef-d'œuvre.
Niveau packaging : l'édition DVD est largement plus réussie (surétui cartonné avec le dessin du T-shirt, affiche du film sur le DVD) ; là, le blu-ray belge a une jaquette vraiment pas top, plutôt en total contresens par rapport au sujet (on dirait un simple nanar de série B, pas du tout comme le film).
Niveau menus : je préfère les menus en 3D du DVD où l'on entre dans l'antre de Lo Pan ; ici on a un simple enchaînement d'images du film, sur fond musical, avec quelques lanternes au-dessus (très jolies, j'avoue) et des petits fortune cookies qui se cassent pour laisser apparaître les chapitres, bonus, quelques citations au hasard... Bref, pas mal du tout quand même.
Niveau bonus : on gagne une piste isolée en DTS, une piste DTS HD en VO et une DTS VF, on a aussi des spots TV... Mais on perd le Cinéfex d'époque et quelques notes (en anglais sur le DVD). Toujours pas de bonus cachés (comme les extraits du jeu vidéo...).
Niveau image : du tout bon, définition excellente (quelques plans plus flous, mais dans l'ensemble c'est vraiment bien compressé), contrairement au DVD qui avait une belle image mais où la compression n’était pas toujours excellente. Les couleurs sont plus nuancées. Ca vaut le rachat.
Niveau son : la VO est excellente, fine et parfaitement restaurée, la VF par contre m'a déçu : peu de changements par rapport au 2.0 DVD et surtout, une phrase absente, ce que je ne comprends pas...