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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

A dangerous method

A dangerous method

Cela faisait un long moment que je convoitais ce film, une des pièces manquant à mon Challenge Cronenberg. Raté au cinéma, je l’avais mis dans une wish-list qui s’est vue encombrée, mois après mois, par d’autres films ayant attiré mon attention. Cinq ans plus tard, l’oubli est réparé.

L’occasion du coup de me replonger un peu dans la filmographie de ce cinéaste singulier, auteur à part entière, qui avait choisi d’adopter un tournant spectaculaire avec A history of violence en se focalisant moins sur la chair que sur les actes et pulsions de ses concitoyens, tout en domestiquant sa grammaire cinématographique pour un rendu en apparence plus académique à l’écran : bref, il avait dorénavant choisi de soigner la forme tout en accordant plus d’importance à la psychologie de ses personnages, en ne dédaignant plus adapter un roman (18 de ses 24 longs-métrages ont été écrits par lui). Plus formel mais moins explicite, son art devenait également plus cérébral.

A dangerous method avait tout pour attirer l’amateur des fantasmes cronenberguiens (le sujet ayant fasciné le réalisateur canadien depuis des décennies). Réunissant autour de lui son équipe coutumière (Howard Shore à la composition depuis… toujours, Peter Suschitzky chef-opérateur depuis Faux-Semblants, sa femme responsable des costumes ainsi que les habitués Vincent Cassel et Viggo Mortensen), et malgré un budget bien moindre, David Cronenberg est allé tourner sur site entre Vienne et le lac de Constance. Entre des extérieurs somptueux propices aux plans d’ensemble respirant la quiétude et l’immensité (les lignes d’horizon tendues inspirant des cadres géométriques dépouillés, à la manière de la Sapienza) et baignés d’une partition librement inspirée de Wagner (très agréable, gentiment lénifiante) et des intérieurs riches de matières et d’objets (le bureau de Freud est totalement fascinant), la réalisation ne s’éloigne jamais de ses protagonistes et joue sur la profondeur – de champ comme de l’âme humaine, au travers de dialogues perclus de double-sens, d’allusions et de non-dits qui semblent ajouter une autre dimension à la texture du film. C’est du travail d’orfèvre dont on sent l’origine théâtrale (c’est extrêmement statique) et le trio de comédiens y excelle, et plus particulièrement les interprètes de Jung et Freud. Fassbender est troublant en jeune analyste prometteur (le terme de psychanalyse en est à ses balbutiements), désireux de plaire à son mentor tout en réfrénant son envie de lui dire ce qu’il pense de ses obsessions (et notamment la façon que Freud a de tout ramener au sexe). On sent très tôt chez lui cette rigidité de façade, une forme de maniérisme professionnel qui s’étend à sa vie de couple (on retrouve dans cette rigueur des sentiments, dans ces postures empesées, dans ces silences polis entre sa femme et lui une fêlure secrète qui menace l’intégrité de la cellule familiale comme dans Masters of sex). L’irruption dans sa vie de la patiente hystérique est une aubaine tant pour sa carrière (il va pouvoir mettre en application la « méthode » d’analyse préconisée par Freud et ses disciples mais jamais véritablement exposée professionnellement) que pour ses pulsions réfrénées. En la prenant sous son aile, il sait pertinemment à quoi il s’expose et se fie d’abord à son contrôle permanent de lui-même. Cependant, Sabina n’est pas une patiente ordinaire : en parvenant à la soigner, il lui offre également la possibilité de poursuivre des études de psychologie – et donc, d’abord de l’assister avant de décrocher les diplômes requis et d’être traitée d’égale à égale.

Keira Knightley est cette Sabina, fille de bonne famille constamment humiliée par son père – et en tirant malgré elle un plaisir ineffable. Ses accès de rage et ses crises d’hystérie sont certes spectaculaires mais peinent à convaincre : un côté trop systématique, trop calculé. Comme Cachou le soulignait dans sa propre chronique, on ne sent pas ce jeu instinctif qui aurait transcendé le script et illuminé la pellicule : sans aller jusqu’aux débordements insoutenables d’une Adjani (une des rares capables de jouer la folie sans qu’on y voie le moindre artifice), on aurait souhaité quelque chose d’à la fois plus élégant et plus subtil, à la manière d’une Eva Green dans Penny Dreadful par exemple.

Cela dit, elle tient la dragée haute tant à Fassbender qu’à Mortensen, très étonnant dans le rôle d’un Sigmund Freud sur le retour, acculé dans son appartement par une profession frileuse mais conservant dignement le cap sans jamais accepter la moindre critique. Il suffit d’observer ces réactions presqu’imperceptibles aux piques lancées par son héritier putatif, son élégance de façade et de décrypter ses petites injonctions ou l’apparente frivolité de ses plaisanteries. Je serai plus circonspect sur Vincent Cassel, interprétant sans finesse un élément perturbateur qui servira de détonateur pour Jung : Cronenberg semble se délecter de la violence brute que décèle le comédien français et qui transparaît dans chacun de ses gestes. N’oublions pas Sarah Gadon dans le rôle plus qu’ingrat de la femme du praticien, cherchant dans la grossesse un moyen de renforcer un lien familial menacé par les expérimentations de son mari mais tout à fait clairvoyante quant à son évolution mentale.

Construit sur un scénario bavard faisant la part belle à des dialogues lourds de sens, A dangerous method manque cruellement de rythme et d’enjeux (ces derniers étant décelables dès l’entame du film), se contentant d’avancer dans le destin d’un homme qui se fracassera contre ses propres convictions. Techniquement et artistiquement admirable, le film ne parvient ni à surprendre, ni même à passionner. Dans ces débordements de pulsions, on n’y trouve aucun écho à notre propre plaisir en dehors de la beauté formelle de certaines scènes et de la pertinence de certains propos.

Décevant donc, mais intéressant.

 

Titre original

A dangerous method

Mise en scène 

David Cronenberg

Date de sortie au cinéma

21 décembre 2011 avec Mars Films

Date de sortie en DVD

25 avril 2012 avec Mars Films

Scénario 

Christopher Hampton d’après sa pièce tirée du roman de John Kerr

Distribution 

Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen, Vincent Cassel & Sarah Gadon

Photographie

Peter Suschitzky

Musique

Howard Shore

Support & durée

Blu-ray Mars (2012) region B en 1.85 :1 / 99 min

 

Synopsis : Sabina Spielrein, une jeune femme souffrant d'hystérie, est soignée par le psychanalyste Carl Jung. Elle devient bientôt sa maîtresse en même temps que sa patiente. Leur relation est révélée lorsque Sabina rentre en contact avec Sigmund Freud...

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A
J'avais beaucoup aimé au ciné, mais je me passionne depuis longtemps sur le sujet de la psychologie, psychanalyse. Je me demande ce que t'as pensé de Cosmopolis si tu de fais un challenge Cronenberg.<br /> Une chose que je regrette toutefois dans ce film, c'est qu'il soit tourné en anglais. Mais il y a un détail qui m'a beaucoup plus, lorsque Jung et Freud entament leur correspondance, on voit les personnages écrire les lettres en allemands. Pour un germanophile comme moi, c'est génial !
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V
Bonjour. J'avais précisément arrêté mon challenge à l'époque de Cosmopolis. Ce film m'avait laissé une sensation étrange, je le trouvais à la fois profond et risible. Je préfère Videodrome pour la 1e période de Cronenberg (quand il explore la chair) ou History of Violence.