Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Résumé : Treves, chirurgien plein d’avenir dans un Londres victorien, découvre l’Homme-Eléphant, un pauvre homme atteint d’une malformation congénitale qu’on exhibe dans des spectacles forains. Mû d’abord par l’amour de la science et de la découverte – et la possibilité sans doute d’une reconnaissance professionnelle, Treves va recueillir ce phénomène, avant de s’y attacher en découvrant une personnalité pleine de finesse, intelligente et cultivée. John Merrick, grâce aux soins prodigués par le médecin, va enfin goûter aux joies d’une vie paisible mais c’est sans compter sur les instincts les plus vils de ceux qui l’entourent...
Tout de suite, que ce soit sur la jaquette ou juste avant le générique d’ouverture, la production prévient : le film que l’on va visionner est « tiré de la vie de John Merrick, l’Homme-Éléphant, et non de la pièce de Broadway [éponyme] ou de tout autre récit fictif ».
Donc, un biopic.
Par Lynch. David Lynch, celui d’Eraserhead.
Résultat : sur le papier, impossible de prévoir ce que ça va donner.
Elephant Man est une œuvre à part dans la filmographie du réalisateur. Souvent, bon nombre de personnes vont faire la grimace quand on évoque le père de Twin Peaks et de Mulholland Drive ; pourtant, à la mention d’Elephant Man, le sourire revient : « Ah, un très beau film, mon bon monsieur. Comment ? C’était de Lui ? »
Eh oui, ce film propulsé instantanément dans l’inconscient collectif au rang de grand classique est un métrage profondément trompeur. Certes, il est en noir & blanc (mais il date de 1980). Certes derechef, la B.O. est magnifiquement illustrée par un adagio de Samuel Barber (cependant Lynch et son compère Alan Splet ont tout de même truffé quelques scènes avec leurs effets sonores travaillés). Certes encore, la mise en scène est classique et linéaire (néanmoins la monstruosité et la cruauté y sont mises en pleine lumière). Certes enfin, le film se veut proche de la réalité et n’est donc pas l’adaptation d’une pièce à succès (toutefois il s’appuie sur les Mémoires de Sir Frederick Treves qui, pour une raison encore inconnue, avait systématiquement remplacé le vrai prénom de son patient – Joseph – par celui de John).
C’est Mel Brooks qui a offert ce poste à Lynch, consécutivement au visionnage d’Eraserhead. Le réalisateur a donc accepté et, comme à son habitude, s’est également occupé de plusieurs autres activités sur le plateau et en dehors (concepteur d’une partie des effets sonores, il s’est même essayé au maquillage mais réalisa qu’il était incapable de grimer John Hurt en Merrick – une performance ahurissante, proche de celle de Jean Marais dans la Belle & la Bête, puisque Hurt passait 7 heures pour pouvoir ressembler à l’Homme-Éléphant).
A l’arrivée, on obtient une très belle œuvre filmique, servie par quelques comédiens brillants et respectables. John Gielgud et Anne Bancroft sont irréprochables, et Anthony Hopkins, avec sa façon si subtile de laisser constamment planer le doute sur les réelles intentions de son personnage (constamment entre empathie et opportunisme), propose un numéro exceptionnel. Lynch a su réfréner son goût pour les bizarreries en livrant une œuvre au classicisme presque suspect, tout en y laissant sa patte (bande son hyper travaillée – bruits de machineries et de respirations mystérieuses, coups sourds, basses métronomiques, accentuation de certains bruits –, fondus au noir et superpositions d’images pendant quelques séquences oniriques).
Le fait est que, progressivement, le métrage parvient même à émouvoir, malgré une certaine froideur due à une retenue évidente. Les détracteurs ont jugé ce film trop sentimental, je ne partage pas ce jugement : certes, on plaint Merrick, jeune homme mourant (de ce qu’on saura plus tard être une neurofibromatose), exploité comme un animal, battu et affamé. Mais on ne commence à s’attacher à lui que lorsqu’il parvient à s’exprimer consciemment (c’est à dire au bout de presque une heure) : ensuite, la tension mélodramatique patente ira crescendo, mais dans une progression lente, ponctuée par quelques événements horribles (le veilleur de nuit qui organise des tournées pour, à son tour, exploiter le phénomène – et profiter lâchement de la naïveté et l’impuissance de Merrick).
Parallèlement, Treves n’est pas immédiatement présenté comme un praticien philanthrope : après tout, une fois qu’il a pansé les blessures et nourri Merrick, il l’expose à ses confrères avec un détachement très professionnel – et involontairement cruel. C’est lors d’une discussion avec l’infirmière en chef Mothershead (Wendy Hiller, impeccable elle aussi) qu’il se verra confronté à son propre sadisme. Il est d’ailleurs très intéressant de noter les réactions des gens qui se retrouvent face à Merrick. Chez le bas-peuple, ce sont cris d’horreur et de dégoût, mêlés à un peu de compassion : le jeune assistant de Bytes (le forain qui exposait Merrick et cherchera à le reprendre à tout prix, l’appelant « My treasure » avec dans le regard cette avidité toute gollumienne), s’il traitait Merrick avec peu d’égards au départ (lui donnant des ordres avec un peu de condescendance), ira jusqu’à tenter d’empêcher son maître de le frapper et de l’enfermer, avant d’aider Merrick à s’enfuir ; quant à ses coreligionnaires de douleur, ces freaks montrés en raison de leur difformité (monstruosité), ils se révèleront les plus prompts à s’émouvoir et à le sauver (tout en refusant pourtant de se heurter directement au « patron » humain).
Chez les bourgeois, les réactions sont encore plus variées : les femmes hurlent, manquent s’évanouir – mais quand elles acceptent de prendre sur elles, elles s’émeuvent et compatissent (la femme de Treves ne peut réfréner des gestes de dégoût mais finit par pleurer en l’écoutant), admirant la profonde humanité de l’homme derrière le masque de chair dont il est affublé. Les hommes, avec ce flegme très victorien, manifestent le moins possible de trouble, ce qui rend leur jeu très complexe.
Une oeuvre sereine, d'une beauté tragique. Indispensable.
Le DVD Studio Canal de 2005 proposait une image de bon aloi, manquant légèrement de contraste mais plutôt bien restaurée malgré la présence de nombreux drops et scratches. Le son en stéréo (VOst) était très probant, enveloppant et plein de chaleur. Le blu-ray 4k enterre bien entendu le précédent support : le nouveau scan des négatifs originaux, malgré un recadrage parfois notable, engendre un cadre idéal à ce magnifique film, avec des contrastes sublimés dans le somptueux noir & blanc de Freddie Francis et un grain très délicatement préservé.
Titre original |
The Elephant Man |
Date de sortie en salles |
8 avril 1981 avec Paramount |
Date de sortie en vidéo |
14 mai 2001 avec Studio Canal |
Réalisation |
David Lynch |
Distribution |
Anthony Hopkins, John Gielgud, Anne Bancroft, Freddie Jones & John Hurt |
Scénario |
Christopher De Vore, Eric Bergren & David Lynch d’après le livre de sir Frederick Treves |
Photographie |
Freddie Francis |
Musique |
John Morris |
Support & durée |
Blu-ray UHD Studio Canal (2020) en 2.35 :1 / 124 min |
Elephant Man [4K Ultra-HD + Blu-Ray-Édition boîtier SteelBook]
Nouvelle restauration 4K supervisée par David Lynch à partir du négatif original Contient : - l'Ultra HD Blu-ray du film (en HDR Dolby Vision et HDR10) - le Blu-ray du film (nouveau master 4K) - un
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David Lynch & son oeuvre - l'Écran Miroir
Ceci est un index. Ci-dessous, vous trouverez les liens vers les chroniques publiées sur ce blog sur des longs-métrages de David Lynch (dans le cadre d'un Challenge cinéma organisé en 2010 sous...
https://www.ecran-miroir.fr/article-tous-les-films-de-david-lynch-99092836.html