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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Silent Running : Et la Terre survivra

Silent Running : Et la Terre survivra

Par un étrange et macabre coup du sort, la resortie en version restaurée HD de ce grand film de science-fiction coïncide à quelques jours près avec la disparition de Michael Cimino – car peu de monde sait que l’auteur de la Porte du paradis a co-écrit le script de Silent Running juste après que Clint Eastwood lui a donné sa chance au cinéma pour le Canardeur. C’est d’ailleurs suite au tournage avec Douglas Trumbull que Deric Washburne et lui se sont retrouvés sur le scénario de Voyage au bout de l’enfer.

De là à dire que notre film était né sous une bonne étoile, il n’y a qu’un pas, d’autant que l’homme a l’origine du projet, concepteur avec son père de la plupart des effets spéciaux, finit par en devenir le metteur en scène avec pour seule expérience les trois ans passés sous la houlette de Stanley Kubrick qui lui avait laissé les commandes des trucages visuels de 2001, l’Odyssée de l’espace. Une expérience aussi payante qu’éprouvante puisqu’elle encouragea le jeune Trumbull à refuser autant que possible les diktats imposés par des cinéastes trop scrupuleux. C’est ainsi que fut conçu le projet Silent Running, dans une liberté presque totale, Universal désirant à cette époque laisser à de jeunes talents le soin de concevoir et de porter à l’écran leurs idées sans trop interférer – mais sans non plus mettre le moindre dollar dans la promotion, dans l’espoir d’avoir un retour sur investissement conséquent lié uniquement au bouche à oreilles, comme pour Easy Rider. Seulement, le miracle qui eut lieu avec le tout petit budget du film de Dennis Hopper ne se reproduit qu’une seule fois avec American Graffiti, et pas dans les mêmes proportions. Trumbull put donc faire son film comme bon lui semblait, changeant même complètement de direction en cours de route – au départ, l’histoire plus sombre devait impliquer une rencontre avec des extraterrestres, laissant l’écologie au second plan – mais, s’il récolta de très bonnes critiques, il ne fit pas un score rassurant au box-office.

Cela aurait pu mettre fin à la carrière du visionnaire Trumbull, dont la pertinence des points de vue et des trouvailles techniques firent de chefs-d’œuvre comme Rencontres du 3e type ou Blade Runner des films de référence indémodables et qui permit de dénicher des talents comme John Dykstra (qu’il alla carrément prendre sur les bancs de l’Université pour l’assister sur Silent Running). Mais le bonhomme continue à tenter de trouver de nouvelles voies pour le VIIe Art, affirmant d’ailleurs être sur le point de concevoir « quelque chose qui dépassera le cinéma tel que nous l’avons connu ».

Depuis le 6 juillet donc, Wild Side vous propose de retrouver ce film dans une nouvelle copie restaurée en HD, disponible sur DVD et Blu-ray, dans un très beau coffret bardé de bonus et nanti d’un livret très riche dans lequel j’ai puisé nombre d’anecdotes. J’avais à cœur de visionner cette œuvre singulière qui me hantait depuis que j’avais appris, il y a longtemps déjà, qu’elle était le fruit de l’imagination de Trumbull, un nom qui frappe forcément l’imagination des amateurs de cinéma de SF. Si ses réalisations n’ont pas eu le succès espéré (j’ai beaucoup aimé Brainstorm dont le tournage chaotique a fait couler beaucoup d’encre), son aura reste intacte. Mais qu’en est-il du film 40 ans après ?

Eh bien, ce n’est pas 2001, l’Odyssée de l’espace. La parenté soulignée par de nombreux exégètes ne repose que sur la conception des maquettes minutieusement élaborées et une certaine idée de la conquête spatiale. On retrouve quelques plans similaires dans certains travellings arrière et panoramiques (l’amateur d’anecdotes se régalera d’apprendre que les images avec les anneaux de Saturne avaient été imaginées d’abord pour le film de Kubrick, lequel s’est rabattu sur Jupiter car plus simple à mettre en scène) mais déjà l’agencement intérieur du vaisseau Valley Forge ainsi que la technologie utilisée pour la vie à bord diffèrent : Trumbull et son équipe ont choisi pour des raisons budgétaires de tourner en dur dans un véritable ancien porte-avions, d’où cette impression de confinement statique qui peut interpeller (on ne comprend pas comment la gravité peut être appliquée puisque le vaisseau n’opère pas de rotation). Les coursives vides et métalliques, les caissons géométriques et la multiplicité des écrans (partout et de toutes tailles – parfois de simples oscilloscopes) préfigurent au choix Star Wars ou Cosmos 1999. L’ambiance à bord fait par moments penser à ce qu’aurait pu être Dark Star de Carpenter sans le côté ouvertement délirant.

Le tout est un film assez étrange qui ne correspond guère aux canons actuels : son rythme empesé, languissant, ses dialogues naïfs et ses personnages sans relief (Lowell l’amoureux des plantes qui passe son temps dans les forêts sous globe pendant que ses trois compagnons trompent leur ennui en faisant des courses dans les corridors), sa bande originale détonnante dans laquelle des chansons de Joan Baez viennent briser la quiétude relative de mélodies environnementales proposent un paysage cinématographique stupéfiant. Il n’y a guère de suspense (on comprend très vite que Lowell fera de la résistance lorsque l’ordre viendra de détruire les serres) ou d’action, l’essentiel reposant sur le rêve de cet homme qui considère que la préservation de la Nature est indispensable à l’avenir de l’humanité (quand bien même celui-ci serait compromis sur une Terre dévastée, sans doute à l’issue d’un conflit nucléaire) et sur la manière dont il va se donner les moyens de résister à sa hiérarchie. Une fois débarrassé des gêneurs, il lui reste la dernière forêt et ses animaux ainsi que trois robots qu’il va reprogrammer pour qu’ils puissent le seconder (et, accessoirement, agrémenter sa vie désormais solitaire).

Bruce Dern, acteur atypique au phrasé particulier, campe ce Freeman Lowell néo-hippie, préférant de longues blouses amples à sa combinaison spatiale bardée de badges. Ce n’est pas encore le grand comédien qu’il finira par devenir (avec son prix d’interprétation pour Nebraska) mais il parvient à rendre crédible ce personnage hors du temps, philosophant comme un enfant, évoquant le passé chaleureux d’une Terre nourricière avec la même folie nostalgique que Edward G. Robinson dans Soleil vert. On sourit de tendresse lorsqu’il s’adresse gentiment aux petits drones de service (au look qui vous fera penser irrésistiblement au futur Wall-e) ou lorsqu’il prend un lapin dans ses bras. Et, du coup, quand viendra le moment du finale tragique, on se surprend à être ému pour cet idéaliste qui alla jusqu’au bout de ses convictions.

La restauration semble avoir été correctement menée et fait ressortir la précision avec laquelle les maquettes ont été assemblées. Les couleurs sont vives et la texture remarquable. En revanche, certains plans manquent de netteté, notamment des gros plans de visages. C'est assez déroutant. On trouvera une piste VO en DTS 2.0 plutôt équilibrée (malgré la propension de Bruce Dern à parler très doucement, il n'est nul besoin d'augmenter le volume sonore).

Une pièce maîtresse du cinéma d’anticipation.

 

Titre original

Silent Running

Mise en scène 

Douglas Trumbull

Date de sortie au cinéma

3 décembre 1975 avec Universal 

Date de sortie en vidéo

6 juillet 2016 avec Wild Side

Scénario 

Michael Cimino, Steven Bochko & Deric Washburne

Distribution 

Bruce Dern & Ron Rifkin

Photographie

Charles F. Wheeler

Musique

John Schickele

Support & durée

DVD Wild Side (2016) zone 2 en 1.85 :1 / 86 min

 

Synopsis : En 2001, la végétation a disparu de la Terre suite à une guerre nucléaire. Pour remédier à cet état de fait, on cultive dans l'espace de grandes serres en espérant ensuite les réimplanter librement à la surface. C'est à cette tâche que se consacre le botaniste Freeman Lowell à bord du vaisseau spatial Valley Forge. Mais un jour, la décision tombe : les serres doivent être détruites pour des raisons économiques...

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