Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Jamie Shannon est un mercenaire de renom. Son job : parcourir le monde et participer à toutes les guerres qui peuvent l’enrichir. Il vient d’accepter la mission la plus dangereuse de sa carrière : organiser un pustch au Zangaro, état africain gouverné par un dictateur sanguinaire. Pour remplir son contrat, il recrute une équipe de dangereux mercenaires : de véritables chiens de guerre...
La création des Chiens de guerre à l’aube des années 80 a donné lieu à quelques premières notables. Tout d’abord, comme expliqué dans le très bon document joint au blu-ray l’Atelier d’images qui est sorti le 6 septembre 2022, le film s’inscrit dans un sous-genre (voire un sous-sou-genre) des films de guerre : au lieu de voir des armées opposées su un cham de bataille historique, on raconte une histoire dérivée. Il y a par exemple les pérégrinations d’anciens soldats, encore traumatisés par leur expérience martiale (de Rambo à Billy Lynn), les métrages narrant les opérations spéciales ou les actions commando en parallèle de la « vraie » guerre (Cinq pour l’enfer, les Douze Salopards) ou ceux impliquant des mercenaires anciens soldats : Predator, Commando, les Expendables ont orienté ce sous-genre vers le film d’action ultime, mais il a bien fallu débuter.
Cela n’a pas été simple. Forcément. Le roman de Forsyth avait pourtant attisé la passion de plusieurs producteurs, et quelques tentatives avaient commencé à prendre corps avant d’échouer dans les placards poussiéreux des projets avortés. Puis il est arrivé entre les mains de Norman Jewison, avant d’échouer entre celles de John Irvin pour son premier film au cinéma. Pas de quoi ravir la United Artists qui voulait lancer un titre à gros budget, à grand spectacle sur de grands noms. Irvin n’était pourtant pas un perdreau de l’année : avant de faire ses armes à la TV, il filmait des conflits sur le terrain – et connaissait donc le sujet de manière plus approfondie que n’importe quel scénariste. Cependant, le casting a suivi la même direction, et Irvin, suivant la suggestion de Michael Cimino (alors appelé en renfort de réécriture), opta pour un quasi-inconnu : Christopher Walken. Pour le coup, le financement fondit comme neige au soleil et il fallut donc faire avec.
On ne peut cependant pas vraiment parler d’œuvre maudite : ce genre d’aléas de production est relativement fréquent. John Irvin a su prendre les choses en mains, au point d’aller jusqu’à réaliser les séquences traditionnellement laissées aux réalisateurs de la seconde équipe. En s’adjoignant la collaboration de l’immense chef-opérateur Jack Cardiff, il s’assurait d’une identité visuelle spécifique autour d’une histoire contée de façon peu usuelle. En effet, si les Chiens de guerre commence dans le bruit et la fureur (un groupe de mercenaires tente de quitter une zone de conflit et s’échappe dans un avion in extremis alors que les explosions font rage), la majeure partie du métrage va se dérouler dans un calme relatif, annonçant la tempête finale. Shannon prend congé de ses potes et rentre chez lui, dans son petit appartement de Washington Heights à New-York, bien décidé à profiter de ce qui lui reste de vie. La dernière mission les a tous secoués et il a la ferme intention de renouer avec sa femme. Voilà-t-y pas qu’un gars des services secrets s’invite chez lui et lui propose une mission en Afrique ! Bon, dans un premier temps, il s’agit juste d’une opération clandestine : pas d’armes, uniquement du repérage, car quelques dirigeants souhaiteraient fortement savoir s’il y a une possibilité de renverser le dictateur actuel du Zangaro, un mec qui ne semble pas favorable à l’idée de laisser les Américains exploiter les filons que recèle son territoire. Shannon n’est pas vraiment à l’aise avec cela, mais c’est tellement bien payé que cela lui permettrait de financer sa seconde chance avec sa femme. C’est parti pour une mission qui va occuper la plus grande partie du film. Shannon va donc tenter d’obtenir des informations dans un pays cloisonné à la population terrifiée, en se faisant passer pour un reporter animalier. Évidemment, cela va mal tourner et il se retrouvera emprisonné…
Walken, dans ce registre, éclabousse l’écran. Irvin, à raison, ne voulait pas d’un costaud ultra-badass et l’acteur de the Deer Hunter s’avère un choix judicieux avec son regard hypnotique où transparaît une sorte de folie latente, sa posture élégante, presque féline, sa voix cassante et son sourire mi-sarcastique mi-désabusé. Il annonce par ses fêlures évidentes la manière dont la mission évoluera, presque malgré lui, et qu’il finira par réinterpréter. Car lorsqu’il reviendra, à la tête de son groupe de têtes brûlées, il ne restera de lui que la froideur d’un homme implacable dont le sourire aura définitivement disparu. À ses côtés, le cinéphile aura la surprise d’apercevoir deux interprètes de la distribution d’Indiana Jones (Belloq et Katanga), la charmante maman de Poltergeist et surtout des acteurs français dont Jean-François Stevenin, qu’on va laisser de temps en temps s’exprimer en français (lors de séquences tournées à Paris d’ailleurs) – on avait pu profiter de cette résolution dans Sorcerer, une habitude qui a fini par se perdre à cause d’un public américain hostile aux sous-titres, mais qui resurgit désormais sous la caméra de certains comme Tarantino.
Le point d’orgue du film consiste alors à l’opération militaire proprement dite : les spectateurs amateurs d’action devront donc patienter jusqu’au dernier quart du film, où l’équipe d’Irvin fait des merveilles, avec un montage extrêmement dynamique, quelques plans iconiques et une maîtrise incontestable des effets pyrotechniques. L’utilisation du redoutable XM-18 (le lance-grenades qu’on voit à peu près dans toutes les affiches du film - et dans la photo ci-dessus) occasionne une myriade d’explosions qui ont tendance à supplanter les fusillades proprement dites : l’assaut est bref, violent, sauvage. Le tout est plutôt bien retranscrit sur le blu-ray malgré un début encore marqué par quelques scories, mais les couleurs tropicales ont une bonne tenue (les extérieurs ont été tournés au Belize), les contrastes sont solides et le gain en définition laisse entrevoir quelques défauts dans les maquillages.
Un film qui a sa place dans tout ciné-club malgré son contenu étrange, sa structure déroutante et son message abrupt, mais transcendé par la personnalité magnétique d’un acteur hors-normes.
Titre original |
The Dogs of war |
Date de sortie en France |
28 janvier 1981 avec United Artists |
Date de sortie en vidéo |
1er août 2006 avec MGM Home Entertainment |
Réalisation |
John Irvin |
Distribution |
Christopher Walken, Tom Berenger, Paul Freeman, JoBeth Williams, Jean-François Stevenin & Jean-Pierre Kalfon |
Scénario |
Gary DeVore & George Malko d’après l’œuvre de Frederic Forsyth |
Photographie |
Jack Cardiff |
Musique |
Geoffrey Burgon |
Support & durée |
Blu-ray l’Atelier d’images (2022) en 1.85 :1 / 118 min |