Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
On ne peut pas reprocher à Damon Gameau de se reposer sur ses lauriers. Le moins que l’on puisse dire de ce réalisateur passionné est qu’il a de la suite dans ses idées. Après avoir secoué la planète par son documentaire SugarLand, très engagé, le voilà qui nous refait le coup en tentant non plus seulement d’éveiller les consciences, mais de pousser la population à agir. Parce que, et reprenant à son compte les assertions de nombreux scientifiques qu’il a consultés, s’il est trop tard pour revenir en arrière, il n’est pas encore trop tard pour minimiser l’impact du réchauffement climatique lié au dérèglement de la civilisation. Il ne s’agit plus seulement d’informer donc, quitte à alarmer voire à terroriser, mais bien d’expliquer que la plupart des voies à suivre et des moyens à utiliser pour y parvenir existent déjà. Il suffit de s’y mettre, en fait : un peu de bonne volonté, on se retrousse les manches et on y va gaiement. Si possible.
Car le documentariste australien dispose en outre d’un aiguillon bien personnel, une motivation supplémentaire pour tenter de se faire entendre des citoyens du monde entier, de citoyens trop bien engoncés dans le confort précaire et illusoire d’une société avide et mal gérée : sa fille. Et dès les premières images, où il s’adresse à nous, il explique qu’il a réalisé ce film comme s’il parlait à sa fille et à son double du futur : à la première, il explique les soucis rencontrés pour la gestion des ressources, le maintien des écosystèmes et la distribution des matières premières ; rien de nouveau pour qui s’intéresse de près ou de loin aux problèmes environnementaux actuels. Mais c’est surtout lorsqu’il s’adresse à une hypothétique fille du futur (interprétée du coup par une actrice), vivant en 2040, que le film prend toute sa dimension : sans trop s’appesantir sur la responsabilité des générations passées (le mal est fait, « mais qu’est-ce qu’on avait en tête ? » et tout ce qui s’ensuit), il développe les clefs d’une vie de demain meilleure sur de nombreux plans. Ainsi, de l’approvisionnement en énergie à l’utilisation des espaces libérés, de la pérennisation de moyens de production et de transport durables et respectueux de l’environnement au changement de paradigme dans l’agriculture et la consommation de masse, Gameau raconte à l’avance ce que serait un monde qui aurait choisi enfin de faire face à ses problèmes et d’y apporter les solutions.
Des solutions qui, il le martèle avec l’aide d’économistes, de professeurs et de témoins, existent déjà, à une échelle réduite, dans plusieurs régions du monde. Elles existent et fonctionnent, à leur échelle. Le voici donc, sac à dos au dos, en tournée dans les pays où ont été appliquées, localement, des méthodes plus ou moins expérimentales, mais toujours pertinentes et fondées sur des besoins réels, permettant de mieux vivre, de répondre aux attentes de chacun, d’établir une organisation stable et appropriée tout en respectant autant que faire se peut le biotope. Du Bangladesh à la Suède en passant par les Etats-Unis et le Groenland, il montre des expériences devenues réalités, des pratiques QUI MARCHENT. Ainsi, appliquant les principes du micro-crédit à la distribution d’énergie, on a vu naître des micro-réseaux interconnectés permettant à de petites communautés d’accéder à l’électricité et à l’internet, profitant de leur propre production (via des panneaux photo-voltaïques) tout en réinjectant leur surplus dans le réseau afin d’en faire profiter les autres. Et en cas de séisme ou de fortes intempéries, ce n’est pas toute une infrastructure centralisée qui s’effondre, mais uniquement les cellules touchées par les éléments qui seront à reconstruire. Chaque micro-réseau pouvant se connecter aux autres, on obtient ainsi un maillage solide et durable sur des régions entières.
Les mêmes schémas de pensée sont mis à contribution pour l’agriculture, avec la mise en avant de la permaculture qui, malgré un temps d’adaptation parfois long et toujours contraignant, a maintes fois prouvé sa pertinence. Sans parler de la récolte d’algues marines capables de pallier aux insuffisances des végétaux terrestres dans le but de récupérer, capturer et enfouir le trop-plein de carbone éjecté dans l’atmosphère par l’activité humaine.
Loin du pamphlet ou du discours autoritaire voire utopiste, Gameau s’échine à nous expliquer avec humour qu’il n’est pas nécessaire d’inventer de nouvelles technologies pour s’en sortir, mais uniquement de modifier notre mode de vie et d’utiliser les méthodes qui ont déjà montré leur efficience. Il alterne son propos par des paroles d’enfants, parfois drôles, parfois touchantes, sur ce qu’ils souhaiteraient pour leur avenir à eux, celui dans lequel ils s’apprêtent à vivre leurs prochaines années. Et il s’appuie ensuite sur des projections modélisées d’un futur dans lequel on voit sa fille, devenue adulte, évoluer dans un monde qui, il faut le reconnaître, est beaucoup plus tentant que les perspectives actuelles. Pour appuyer sa démonstration, Damon Gameau a eu recours à des effets spéciaux plutôt réussis et quelques animations très parlantes, parfaitement rendues par un DVD affectant un excellent traitement de l’image. Le score de Bryony Marks, un peu ronflant, permet en outre de susciter quelques moments d’émotion bienvenus dans ce documentaire sensé, pertinent mais optimiste, classé parmi les films les plus salués par la critique cette année. Une œuvre qui parvient à être confiante dans un avenir pourtant bien assombri, qui ravira les spectateurs de tous âges en attendant le meilleur du cinéma à venir l’année prochaine.
Two thirds of LA is parking and roads. You could fit three cities the size of San Francisco in that empty parking space left by the autonomous vehicle application.
On pourra prolonger l’expérience par des interviews incluses dans le DVD mis en vente par l’Atelier d’Images depuis le 7 juillet 2020 (alors qu’on trouve le documentaire en VOD depuis le 26 mai).
Titre original |
2040 |
Date de sortie en salles |
26 février 2020 avec l’Atelier Distribution |
Date de sortie en vidéo |
7 juillet 2020 avec l’Atelier d’images |
Date de sortie en VOD |
26 mai 2020 |
Réalisation |
Damon Gameau |
Distribution |
Damon Gameau, Eva Lazzaro & Zoë Gameau ; la voix française de Kyan Khojandi |
Scénario |
Damon Gameau |
Photographie |
Hugh Miller |
Musique |
Bryony Marks |
Support & durée |
DVD l’Atelier d’images (2020) en 2.35 :1/93 min |