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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

le Convoi de la Peur

le Convoi de la Peur

Synopsis : Quatre hommes de nationalité différentes se retrouvent dans une petite bourgade d’Amérique du Sud afin d’échapper à un passé criminel. À court d’argent et de solutions, ils acceptent de participer à un convoi dangereux où ils devront transporter des caisses de nitroglycérine à travers la jungle…

Sorcerer fait partie de ces films maudits qui avaient tout pour eux mais semblaient ne pas être nés sous la bonne étoile. Il devait marquer l’apothéose de la carrière de William Friedkin, lequel, fort du succès de French Connection et de l’Exorciste, avait décidé d’être seul maître à bord dans ce projet, revendiquant le final cut et mettant son veto à tout ce qui aurait pu éloigner le métrage de l’idée qu’il en avait. En face, Coppola, qu’il estimait être son seul rival contemporain, s’apprêtait à tourner Apocalypse now – et d’aucuns estiment que c’est une des raisons qui l’ont poussé à shooter en Amérique du Sud. Malgré des soucis de casting (ses premiers choix, dont Steve McQueen, Robert Mitchum et Lino Ventura, ayant décliné ses propositions), un dépassement de budget lié à des conditions difficiles et à sa méticulosité légendaire, la défection d’une grande partie de l’équipe technique pour cause de maladies tropicales, des mésententes chroniques avec plusieurs de ses collaborateurs (le chef opérateur ayant même claqué la porte en plein tournage), ce remake avoué du Salaire de la Peur (Friedkin avait une admiration sans borne pour Clouzot à qui il  a dédié le film alors même que les droits appartenaient à l’auteur du roman) finit par sortir au cinéma aux dates initialement prévues. Las, c’était pour se retrouver face à un petit film de science-fiction qui allait contre toute attente drainer tous les spectateurs espérés : Star Wars.

le Convoi de la Peur

Pas de chance, donc, et le chef-d’œuvre de ce grand réalisateur finit par être un flop monumental, poussant Friedkin vers la sortie (il se retira quelque temps en France pour ruminer ce désastre). Pire : les choix drastiques opérés sur la narration et le montage ne furent pas du goût des distributeurs, et le film fut largement remonté lors de son exploitation à l’étranger. Ses qualités intrinsèques ne furent pourtant pas oubliées et, s’il n’obtint aucun prix majeur, il entra ainsi, par le fait même, dans la catégorie des films culte, attendant de ressortir dans de bonnes conditions sur le circuit de la vidéo. Une attente longue et frustrante, entretenue par une passion grandissante de la part des cinéphiles : Stephen King et Tarantino le citent souvent parmi leurs films préférés. Sa ressortie chez nous avec La Rabbia en 2015 était donc l’occasion de satisfaire une saine curiosité, d’autant que le blu-ray s’avère d’excellente facture malgré les énormes différences de luminosité entre les lieux de tournage.

le Convoi de la Peur

Car les exigences du metteur en scène, bien que souvent décriées par la suite, ont élevé les curseurs de qualité un rang encore plus haut que précédemment – et comme toujours, faisant fi des convenances, Friedkin utilise sa science du cinéma à sa manière. Ainsi, ses quatre protagonistes qui finiront par se retrouver dans ce trou perdu à servir indirectement les intérêts d’une compagnie pétrolière américaine, ont droit à leur temps d’exposition patiemment élaboré (histoire également de ne pas avoir d’indice sur qui va survivre, ou pas, à la fin du périple) : sur deux heures de film, on n’entre dans la préparation du convoi proprement dit qu’au bout d’une heure ! On comprend que cela n’ait pas été du goût de certains exploitants de salles ou distributeurs à l’international. Qu’à cela ne tienne, Friedkin en a vu d’autres. Il va même plus loin : si la première séquence nous montre un tueur efficace opérant dans un quasi-mutisme, on passe ensuite à Paris pour un bon quart d’heure entouré d’acteurs français bien connus ici (Jacques François, Jean-Luc Bideau) avec un Bruno Cremer qui se retrouve coincé par la Bourse et sommé de payer de fortes sommes afin d'éviter la banqueroute : quel plaisir d’assister à des choix renforçant l’authenticité quand Hollywood préfère souvent engager des Québécois pour simuler des personnages hexagonaux (quand on n’a pas carrément un Israélien comme dans la série the Boys !).

le Convoi de la Peur

Ajoutez-y le complice d’un attentat terroriste à Jérusalem et un gangster ayant cambriolé une église aux États-Unis, église servant de couverture à un mafieux notoire, et vous aurez quatre gars préférant l’anonymat du trou du cul du monde pour pouvoir espérer vivre quelques mois de plus. Voilà pour la première partie. Ensuite, plantez le décor de ce patelin vivant des à-côtés de l’exploitation d’un puits de pétrole grâce à l’appui d’un potentat grassement payé par la compagnie américaine, et vous aurez un contexte socialement explosif. Il se trouve que le puits se retrouve en feu, que la main-d’œuvre manque pour l’éteindre et la seule solution c’est de le souffler avec une explosion. Problème : le stock d’explosifs le plus proche est à 300 km, derrière la jungle, et que vu l’état de la dynamite, il est hors de question de la transporter en hélicoptère. Reste le camion, et il faudra des gars sacrément gonflés pour accomplir cette mission. Il se trouve que le patron de la compagnie est un peu désespéré et prêt à monter les tarifs, et que nos quatre lascars sont prêts à tout pour pouvoir quitter ce trou à rats : voilà donc nos deux équipes de trompe-la-mort conduisant des camions qui menacent d’exploser à la moindre sortie de route, au moindre dérapage. Une tempête tropicale, des cartes illisibles, des ponts impraticables vont compliquer la donne, et procurer au spectateur un spectacle au suspense habilement entretenu : encore aujourd'hui, les séquences de conduite périlleuse sur un pont branlant (construit spécialement pour l'occasion, pas de trucages numériques ici) sont à couper le souffle.

le Convoi de la Peur

Un finale brillant, une conclusion réussie, un montage efficace achèvent de construire cette partition exemplaire, où les acteurs desserrent peu les dents mais expriment le désarroi, la détresse, mais aussi la hargne et la pugnacité de leurs personnages de paumés magnifiques rattrapés par un destin funeste, hantés par les fantômes d’un passé vindicatif… La bande-originale de Tangerine Dreams apporte un supplément d’âme, parfois légèrement dissonant mais toujours à-propos.

Une grande œuvre à redécouvrir.

Titre original

Sorcerer

Date de sortie en France

15 novembre 1978 avec CIC

Date de sortie en vidéo

20 décembre 2015 avec La Rabbia

Réalisation

William Friedkin

Distribution

Roy Scheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal & Amidou

Scénario

Walon Green d’après le roman de Georges Arnaud

Photographie

Dick Bush & John M. Stephens

Musique

Tangerine Dream

Support & durée

Blu-ray La Rabbia (2017) en 1.77 :1 / 121 min

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P
Bravo pour cette chronique très bien documentée. Le film est pour moi un sommet de l'œuvre de Friedkin, c'est aussi en quelque sorte son apocalypse now. C'est une prouesse car le film de Clouzot est un autre chef d'œuvre d'adaptation.
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S
Grand film, mais pas un sommet de Friedkin pour moi (son sommet c'est déjà passé !) ne vaut pas Clouzot mais l'approche est assez différente et singulière pour séduire, le côté "crasseux" apporte une authenticité certaine.