Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un homme quand son père est brutalement assassiné par son oncle qui s'empare alors de la mère du garçon. Amleth fuit son royaume insulaire en barque, en jurant de se venger. Deux décennies plus tard, Amleth est devenu un berserkr, un guerrier viking capable d'entrer dans une fureur bestiale, qui pille et met à feu, avec ses frères berserkir, des villages slaves jusqu'à ce qu'une devineresse lui rappelle son vœu de venger son père, de secourir sa mère et de tuer son oncle. Il embarque alors sur un bateau pour l'Islande et entre, avec l'aide d'Olga, une jeune Slave prise comme esclave, dans la ferme de son oncle, en se faisant lui aussi passer pour un esclave, avec l'intention d'y perpétrer sa vengeance.
L’entreprise que constitue le film the Northman était une gageure, mais elle avait aussi le mérite d’attirer l’attention des cinéphiles, alléchés par le projet : un cinéaste en vogue, au style affirmé et capable de s’extirper du tout-venant des films d’horreur en privilégiant le cadre et l’ambiance (Robert Eggers) ; un acteur totalement engagé dans la production, désireux depuis longtemps de mettre à l’écran le film de Vikings ultime (Alexander Skarsgård) ; une actrice au physique singulier et au charme magnétique, susceptible de s’illustrer dans différents registres et définitivement sur une pente ascendante (Anya Taylor-Joy). Ajoutez-y des techniciens et des seconds rôles empruntés aux équipes de la série Vikings de Michael Hirst et de la série Game of Thrones, quelques comédiens affirmés à la forte personnalité, dont un Willem Dafoe complice du metteur en scène, des lieux de tournage réputés pour leur authenticité (l’Irlande du Nord et l’Islande) et une direction artistique perfectionniste, et vous obtenez un buzz énorme.
Restait à concrétiser. Et la tâche était loin d’être mince. D’abord parce que les deux facettes du monde des Normands avaient été déjà portées à l’écran, d’une part avec la série susdite, fortement ancrée dans le contexte historique (malgré des libertés indéniables prises avec la réalité) bien que goûtant de temps en temps au mystère religieux et portée par un dynamisme et une brutalité collant parfaitement à l‘imaginaire collectif ; d’autre part avec une œuvre particulière telle que Valhalla Rising, nourrie de symbolisme et de mysticisme mais portée par une orientation artistique patente et un style inimitable. Passer derrière ces deux références, adorées par les uns, décriées pour des raisons différentes par d’autres, n’était pas évident. Ensuite parce qu’il fallait devoir trouver un axe original afin de ne pas sombrer dans les travers fréquents de ce genre de projets : se conformer aveuglément aux contingences historiques dans le but de demeurer perpétuellement crédible, c’était s’exposer à l’ennui et/ou au rejet d’une part du public ; se livrer à une orgie de fureur et de bruit, c’était risquer le trop-plein et le dédain des puristes. L’équilibre est forcément fragile, mais quelques productions telles Danse avec les loups ou the Revenant l’avaient presque atteint ; le mal-aimé Apocalypto, par son intransigeance et sa densité, pouvait également servir de référence.
Le fait est qu’Eggers semble effectivement concerné par ces deux faces d’une même œuvre, au point que les séquences paraissent parfois insérées comme autant de figures imposées : l’attaque du village slave par les Berserkers en est une parfaite illustration, avec ces longs travellings d’une classe évidente et d’une fluidité remarquable suivant le parcours d’un Amleth rebaptisé au travers des piètres défenses locales et ces courts combats sanglants qui manquent cruellement d’impact, la faute à une chorégraphie un peu juste et un choix d’angle de prises de vue peu judicieux. Plus on s’avance dans le métrage, plus on oscille entre l’admiration pour ces plans méticuleux (Eggers joue constamment à placer des cadres dans le cadre et à opter pour une symétrie équivoque), l’agacement envers ses dialogues pompeux très shakespeariens mais plombés par le choix d’accents ridiculement exagérés, et le sourire gêné face à quelques séquences mal maîtrisées, principalement les scènes d’action, raides et peu convaincantes. Pour peu qu’on n’entre pas dans le contexte d’une époque sauvage, on pourra éventuellement tiquer devant quelques moments volontairement outranciers, notamment les rituels d’initiation – qui reposent pourtant sur des témoignages avérés et jouissent en outre d’une ouverture sur un monde spirituel superposé au nôtre : encore davantage que dans la série de Hirst, les prophètes & devineresses semblent véritablement en connexion avec l’Au-Delà, et les aperçus extatiques de figures mystiques telles les Nornes ou les Valkyries, voire Yggdrasill (le Frêne supportant le monde) sont particulièrement réussis.
Le script se permet le luxe de passer de l’histoire de Hamlet aux sagas islandaises, balançant fragilement au gré de séquences parfois originales, mais sans parvenir à trouver une vitesse de croisière dans cet enchaînement de péripéties dicté par un destin auquel le personnage principal décide de se plier. On va retrouver les obstacles, adjuvants et adversaires caractéristiques de ces contes initiatiques, et on sourira devant le parallèle avec certaines œuvres fondatrices (l’anneau dynastique, l’épée sacrée, le duel final dans un volcan). Le souffle épique manque souvent, partiellement compensé par la beauté surnaturelle de ces décors (pourtant) naturels, magnifiés par une composition et une photographie admirables.
Le casting est au diapason, avec un Ethan Hawke trop rare mais parfait, un Skarsgård impressionnant, une Taylor-Joy rayonnante face à une famille dont les interprètes surjouent effrontément le dédain et la suffisance. On passera sous silence le masque grotesque qu’est devenu Nicole Kidman, qui parvenait pourtant à être plus expressive dans Little Big Lies.
Le bluray proposé par Universal est quasi parfait. Nous sommes même étonnés de la qualité du disque puisque le film n’est pas forcément facile à retranscrire en vidéo. Tourné en 35 mm et post produit en 4K et Dolby Vision, The Northman est particulièrement recommandé dans son édition UHD, a priori très réussie.
Pourtant, la version « simple » HD que nous avons eu l’occasion de regarder est absolument superbe, contre toute attente. L’image est exempte d’artefacts de compression, ce qui est remarquable compte tenu des choix effectués par le réalisateur pour donner à son film son esthétique « Viking » si caractéristique. On ne compte plus les plans se déroulant dans la pénombre ou tout simplement la nuit, avec des effets de brouillard ou de fumée omniprésents qui sont habituellement extrêmement techniques à retranscrire correctement sur un disque HD. La définition est solide, permettant de distinguer facilement les différentes textures, même si l’on aurait souhaité avoir un aspect argentique plus affirmé. Les sources lumineuses jaillissent bien de l’écran (les flammes, la lave du volcan mais également les reflets des armures), les contrastes sont très, très, très bons. Le bluray n’a pas à rougir face à l’UHD, il est plus que vivement recommandable !
Le son en VO et Dolby Atmos est très impressionnant également : effets multicanaux marqués, bonne dynamique d’ensemble avec une musique bien mixée et des basses remarquables. Les bonus sont nombreux et intéressants bien que frustrants (moins d’1h en tout). On y trouve des scènes supplémentaires, ainsi que différentes petites vignettes making-of sur le contexte historique, sur la culture Viking, sur les lieux de tournage en Irlande, sur les personnages. Un commentaire audio vient compléter l’édition. Du très bon travail !
Un film osé, chaotique, parfois raté, parfois brillant, souvent séduisant.
Titre original |
The Northman |
Date de sortie en salles |
11 mai 2022 avec Universal Pictures |
Date de sortie en vidéo |
7 juin 2022 avec Universal Pictures |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Robert Eggers |
Distribution |
Alexander Skargård, Anya Taylor-Joy, Ethan Hawke, Björk, Willem Dafoe & Nicole Kidman |
Scénario |
Robert Eggers & Sjón |
Photographie |
Jarin Blaschke |
Musique |
Robin Carolan & Sebastian Gainsborough |
Support & durée |
35 mm UHD en 2.35 :1 / 137 min |