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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

Une vie secrète

Une vie secrète

Lauréat de deux Goyas (dont le prix de la meilleure actrice) et d’une tripotée de récompenses aussi bien en Espagne qu’à l’international, Une vie secrète fait partie de ces films choc, importants par les thèmes qu’ils abordent et par l’impact de leur récit, mais qui n’ont pas eu l’occasion d’être diffusés dans les meilleures conditions du fait du contexte sanitaire. Ainsi en France, sa sortie au cinéma s’est faite trop discrètement, ce qui nous pousse à lui redonner sa chance à l’occasion de sa sortie en vidéo : Épicentre Films Éditions le distribue en DVD et en VOD depuis le 20 juillet 2021.

Une vie secrète

Une œuvre riche, intense et troublante, dont l’idée est venue à Goenaga (l’un des trois membres de ce trio qui travaille ensemble depuis deux décennies et ont créé quelques films universellement acclamés comme Handia, le Géant d’Altzo ; Loreak ou encore le documentaire Lucio) après la projection d’un reportage sur les « taupes », ces républicains de la première heure condamnés à se terrer chez eux en attendant que le régime de Franco les oublie. Certains de ces reclus par nécessité ont vécu des années, jusqu’à vingt ans, dans une cachette souvent souterraine : à une époque où le confinement sanitaire a forcé la majeure partie de la population mondiale à se cloitrer à la maison, le métrage a forcément un retentissement supérieur.

Synopsis : Espagne, 1936. Higinio, partisan républicain, voit sa vie menacée par l’arrivée des troupes franquistes. Avec l’aide de sa femme Rosa, il décide de se cacher dans leur propre maison. La crainte des représailles et l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre condamnent le couple à la captivité.

Une vie secrète

Tenant une idée forte, nos trois cinéastes ne se sont pas contentés de l’adapter aux contraintes techniques qu’elle imposait : ils vont ainsi aller bien plus loin que les films-concept à la Buried ou Oxygène. Le spectateur attentif remarquera aisément le soin apporté tant aux décors et aux maquillages qu’au cadrage (systématiquement près des corps et des visages, serré, collé à ses rares protagonistes) et aux points de vue : l’utilisation de la caméra subjective est consciencieusement imposé, avec les limites inhérentes à l’éclairage et à la texture de l’image ; lors des rares mais intenses courses-poursuites (qui permettent de donner un peu de souffle à la première partie du métrage), c’est l’usage de la caméra à l’épaule à l’ancienne (avec quasiment pas de stabilisation) qui est préconisé. Tout le film est pensé à l’avance, patiemment construit, et jusqu’aux ellipses temporelles, souvent abruptes (on ne s’apercevra du laps de temps qui s’est déroulé que par l’entremise d’une coupure de journal, d’un message à la radio ou d’un banc-titre). Cet aspect un peu docte de la réalisation est sans conteste l’un des points forts de l’œuvre, mais également une de ses limites car il vient se heurter à l’impact purement émotionnel des scènes : ainsi, le découpage en parties scandées en exergue par des définitions liées aux situations que traversent les protagonistes a tendance à laisser le spectateur en retrait, là où l’implication des personnages est parfois extrême.

Une vie secrète

Et à ce sujet, les deux acteurs principaux sont absolument bluffants, traversant les âges avec un naturel extraordinaire. Bélen Cuesta, surtout, est étourdissante dans le rôle de cette jeune femme, récemment mariée à un membre du conseil local recherché par les forces franquistes et qui, par amour (au départ total, lancinant, profond, puis petit à petit usé, taché, élimé par les contingences et la peur), choisit non seulement de demeurer auprès de son mari cloîtré pour sa sécurité, mais également de lui assurer sa survie, de lui procurer les informations nécessaires et surtout de mentir à son entourage. Dans cette petite bourgade andalouse, elle ne rêve que d’aller voir l’océan, qui n’est pourtant pas très loin et les deux tourtereaux se sont promis d’y aller pour leur lune de miel. Sauf qu’en 1936, le général Franco a ruiné leurs projets : Higinio est recherché. D’abord caché dans un recoin de leur petit appartement, il se terre en attendant que les choses se tassent. Mais une première tentative de fuite se solde par sa capture avec d’autres militants, dénoncé par un voisin qui lui reproche la mort de son frère. Higinio n’est pas un héros, il ne sait que se terrer ou fuir, mais il a la présence d’esprit de profiter d’une occasion inespérée pour retenter sa chance et parvenir à fausser compagnie à la Guardia Civil. Il retrouve d’abord des compagnons de fuite, mais il devra très vite dénicher un endroit sûr pour échapper à la vigilance policière. Du coup, il retourne dans son appartement et met au point un plan plus propice à sa sécurité : aménager dans la maison de son père (où il était couturier), une cachette derrière un meuble qui lui laisserait assez d’espace pour vivre décemment. Rosa, sa femme, l’y suivra, prétextant reprendre l’atelier – et afin de trouver de quoi gagner son argent. C’est dans cet antre que, patiemment, jour après jour après mois et années, Higinio se réfugiera, laissant peu à peu la peur d’être pris envahir son esprit, allant jusqu’à étouffer cet amour puissant qui maintiendra pourtant sa jeune épouse à ses côtés pendant tout ce temps. Elle-même, femme seule, encore jolie, devra affronter les regards concupiscents de certains hommes trop empressés, les interrogatoires du voisin suspicieux qui ne lâche pas l’affaire, et les affres du temps qui passe. Rosa devra ainsi mettre de côté ses envies d’ailleurs et de maternité pour se consacrer à son mari qui n’existe plus officiellement, qui ne partage pas son lit mais vient parfois la rejoindre en des étreintes aussi intenses que désespérées, qui ne partage pas sa vie mais sait lui reprocher ses imprudences ou ses désirs, qui ne mange pas avec elle mais requiert une attention soutenue. Comment aimer un homme dont la présence n’est que fantomatique et dangereuse qui la contraint à une vie entière d’abandon de soi ?

Une vie secrète

Film sur la peur plus que film politique (on ne comprend jamais vraiment ce qui a fait d'Higinio un paria), film sur le couple plutôt que film romantique, film chargé d’histoire et de sens, Une vie secrète peut s’avérer long et éprouvant mais emporte l’adhésion par sa direction artistique et son jeu d’acteurs. Le DVD propose une image respectant les choix de la réalisation avec cette texture terne, terreuse presque, voilant les couleurs mais sachant mettre certains éléments en exergue par un éclairage subtil. On sera aussi surpris par la partition qui mêle les airs populaires avec quelques moments très intimes et justes ; de manière générale, la bande-son (exclusivement en VO) est à privilégier en 5.1, qui sait merveilleusement faire ressortir les petits détails sonores qui font toute l’ambiance étouffante de ce métrage. Quelques petits suppléments (la Première au Festival de San Sebastian, une présentation des réalisateurs, une galerie photos et une bande-annonce) complètent le disque.

Une vie secrète est un film d'amour triste, un genre qui reste prisé par les utilisateurs de Cinetrafic.

Titre original

La Trinchera infinita

Date de sortie en salles

19 mai 2021 avec Épicentre Films

Date de sortie en vidéo

20 juillet 2021 avec Épicentre Films Éditions

Date de sortie en VOD

20 juillet 2021

Réalisation

Jon Garaño, Aitor Arregui & José Mari Goenaga  

Distribution

Antonio de la Torre, Belén Cuesta & Vicente Vergara

Scénario

Luiso Berdejo & José Mari Goenaga

Photographie

Javier Aguirre

Musique

Pascal Gaigne

Support & durée

DVD Épicentre (2021) zone ALL en 2.39:1 /147 min

 

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