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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] la Rage au ventre : Raging Gyllenhaal

[critique] la Rage au ventre : Raging Gyllenhaal

Depuis quelques temps, la campagne de promotion du film laissait à penser qu'on serait devant une oeuvre marquante, aussi impressionnante visuellement que dramatiquement poignante. Il avait suffi de quelques plans sur un Jake Gyllenhaal possédé par son rôle de boxeur hargneux pour être convaincu qu'il ne faudrait pas rater la sortie de la Rage au ventre.

Pourtant, l'acteur n'a plus besoin d'un tel projet pour marquer les esprits : si Donnie Darko l'avait révélé, avec ce regard glaçant semblant voir autre chose que la réalité, il avait su se forger une carrière assez complète entre projets ambitieux et grosses productions. Denis Villeneuve avait su tirer la quintessence de l'un des meilleurs comédiens de sa génération, et il éclaboussait l'écran l'an dernier avec Night CallGyllenhaal est un travailleur, du genre qui s'immerge dans sa préparation, tant mentalement que physiquement (ce n'est pas la première fois qu'il prenait des muscles pour un rôle, souvenez-vous de Prince of Persia). Pour cette histoire qui avait au départ était écrite comme une suite à 8 Mile, l'acteur semble s'être totalement immergé dans la peau d'un boxeur au style risqué, invaincu dans sa catégorie (il est 4 fois champion du monde WBC des mi-lourds ou light heavyweight) mais à un tournant crucial de sa carrière : il a 43 ans et sa façon de boxer implique qu'il prenne énormément de coups - Billy Hope est un puncheur qui encaisse et rend les coups au centuple, animé d'une rage nourrie de son enfance malheureuse dans le quartier de Hell's Kitchen à New-York (les lecteurs de Daredevil connaissent bien ce lieu mal famé et retrouveront certains éléments caractéristiques de la trajectoire de notre héros). Il est entouré d'une smala composée d'anciens délinquants de son entourage qu'il choie comme sa propre famille, les inondant de cadeaux hors de prix à chacune de ses victoires. Sa femme (excellente Rachel McAdams, à la fois séduisante et maternelle) l'accompagne depuis l'orphelinat où il a grandi, c'est désormais une épouse modèle, qui souffre avec lui à chaque round, le soutient et gère les affaires familiales, tentant subtilement de faire entendre raison à son mari : elle voudrait qu'il arrête, ou du moins qu'il fasse un break, afin de profiter d'elle et de sa fille. De fait, si Billy est un mari aimant et un père attendri, la rage qui l'anime le pousse vers le ring - et c'est ce que comprend fort bien Jordan Mains, son manager (joué par un "50 Cents" encore moins expressif que d'habitude, dont le sourire affligeant colle plutôt bien au personnage) qui voudrait lui faire signer un contrat lucratif pour HBO. Hope est un sanguin, incapable de résister aux provocations, surtout lorsqu'un challenger l'insulte et finit par s'en prendre à sa femme. Survient le drame... et le début de la descente aux enfers pour le champion.

Tous les ingrédients pour traiter une histoire évoquant la gloire, la décadence, la déchéance et la rédemption d'un homme sont là. Poursuivi par le regret et les remords (de n'avoir pas mieux écouté sa femme, de ne pas s'être mieux occupé de sa famille), Hope s'enfonce car incapable de s'en sortir seul. Il perd un combat, son titre et l'Etat lui reprend sa maison et lui ôte la garde de sa fille. Sans le sou, il est désormais seul. Des éléments connus, des balises nécessaires comme autant d'épreuves sur le chemin du retour en grâce. On sait comment ça marche. Dès lors, inutile de mettre en branle tout un orchestre à chaque moment tire-larmes, inutile aussi de faire dire à la pauvre petite tout ce qui semble aller de soi ("T'as tout foutu en l'air ! C'est de ta faute ! C'est toi qui aurais dû y rester !"). De fait, les séances devant la cour (qui statue sur la garde de l'enfant) ou avec sa fille sont rarement réussies, souvent poussives voire désagréablement lourdes. Le script n'y va pas par quatre chemins, oublie la subtilité et use de ficelles hénaurmes : même le très bon (et bien plus percutant) Warrior était doté de plus de finesse dans l'écriture.

Restent les scènes de boxe. Gyllenhaal s'est donné du mal pour être crédible, a pris du muscle, a appris à bouger, à balancer des jabs, à encaisser. Il campe un Billy Hope déjà groggy même hors du ring, comme sous emprise, assommé par les coups à répétition : il lui faut des jours pour se remettre de son dernier match, il articule difficilement et ne comprend qu'à moitié ce qu'on lui demande. La nonchalance inquiétante de l'acteur colle parfaitement à la démarche d'un boxeur au cerveau irrémédiablement atteint, mais il sait aussi exprimer une rage extrordinaire et Fuqua parvient à capturer un peu de cette énergie hors du commun grâce à quelques plans saisissants. D'ailleurs, le plus gros des combats est vraiment intéressant, sans originalité mais assez criant de réalisme, avec un montage sachant bien retranscrire l'âpreté des pugilats, la tension des rounds, l'ambiance d'une salle surchauffée par les enjeux. Maladroit dans ses séquences intimistes, Antoine Fuqua exploite son savoir-faire avec passion sur le ring, avec un remarquable travail sur la lumière (Mauro Fiore - déjà rompu à l'exercice en tant que chef-op' sur Real Steel avait reçu comme consigne de ne pas multiplier les sources d'éclairage). Si on peut regretter le côté trop ronflant de la partition du regretté James Horner, on se surprendra à apprécier les deux très bonnes chansons signées Eminem (la dernière voyant la participation vocale de Gwen Stefani). J'ai oublié d'évoquer Forest Whitaker, plutôt à l'aise dans un rôle malheureusement bien trop connu (le bon entraîneur, brisé par la vie, respectueux des règles et désireux de remettre ses ouailles dans le droit chemin).

 

Pour les amateurs de boxe, le film vaut le détour. Les cinéphiles seront fascinés par la performance de Gyllenhaal, qui n'en est pas à son coup d'essai. Les autres se diront qu'on est quand même assez loin de ce qu'on nous annonçait ("le Raging Bull de Gyllenhaal" !).

 

 

 

Titre original

Southpaw

Réalisation 

Antoine Fuqua

Date de sortie

22 juillet 2015 avec SND

Scénario 

Kurt Sutter

Distribution

Jake Gyllenhaal, Rachel McAdams & Forest Whitaker

Photographie

Mauro Fiore

Musique

James Horner

Support & durée

35 mm en 2.35:1 / 123 min

 

 

Synopsis : Champion du monde de boxe, Billy Hope mène une existence fastueuse avec sa superbe femme et sa fille qu’il aime plus que tout. Lorsque sa femme est tuée, son monde s’écroule, jusqu’à perdre sa maison et sa fortune. Pire, la garde de sa fille lui est retirée, la justice estimant son comportement incompatible avec son rôle de père. Au plus bas, il trouve une aide précieuse en la personne de Tick Willis, un ancien boxeur avec lequel il reprend l’entraînement. Billy va devoir se battre pour trouver la voie de la rédemption et regagner ainsi la garde de sa fille.

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S
Entièrement d'accord avec Vance. Le film est bon mais parfois trop prévisible... Par contre Jake Gyllenhaal est époustouflant, vraiment.
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