Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Toujours un peu en retard, mais je mets un point d’honneur à satisfaire ce challenge.
Un film de Terry Gilliam (1997) d’après le film la Jetée de Chris Marker, avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer & Brad Pitt.
Un DVD zone 2 DVDY, collection “Première : les Indispensables” (1999)
1.85 :1 – 16/9
VOST DD 5.1 ; 125 min
Une chronique de Vance
Résumé : en 2035, les hommes vivent terrés sous terre, laissant la surface à l’abandon suite à l’éradication presque totale de l’espèce humaine en 1997 par un virus inconnu qui a préservé les autres animaux. Les survivants ruminent l’espoir de changer leurs conditions de vie précaire et envoient régulièrement des détenus à la surface prendre des échantillons.
James Cole est de ceux-là. Particulièrement doué, doté d’une excellente mémoire, il est finalement sélectionné pour une nouvelle expérience : on l’enverra dans le passé, dans le but de recueillir le plus possible de renseignements sur les circonstances de la catastrophe. Las ! A peine arrivé, il est interné dans un asile d’aliénés. Seule une psychiatre semble touchée par son histoire abracadabrante…
Ce n’est pas la première fois que je vois ce film. C’est pourtant la première fois qu’il m’a tant marqué par son intelligence et son ambiance uniques. Je n’en gardais alors qu’un souvenir confus, éclipsé par la performance d’acteur d’un Brad Pitt complètement allumé.
Très vite, on est frappé par le style visuel des séquences futures : ces cages de prisonniers, cette technologie vaguement uchronique semblent issues du mélange malsain entre les films de Caro & Jeunet et Brazil, du même et brillant Terry Gilliam. Images sales, éclairage pisseux, objectifs privilégiant les très grands angles (avec une propension à l’effet « fisheye ») et des angles de prises de vue exagérés (notamment les plongées vertigineuse et le dutch angle) qui confèrent au premier tiers du film une forte impression de folie maligne, soulignant par avance le doute qui s’empare de Cole à la fin sur son état psychique. C’est que le scénario, construit sur le phénomène hypothétique de boucle temporelle, s’appuie également sur la mise en doute de l’intégrité mentale du héros, pivot de l’histoire, présent, littéralement, au début et à la fin de l’événement initial, sorte d’alpah et d’oméga de l’intrigue. Si les ficelles sont connues (la psychiatre – ravissante et très convaincante Madeleine Stowe, à suivre en VO pour la suavité de sa voix de gorge – semble connaître Cole, sans pourtant l’avoir jamais vu, et ce dernier fait des rêves récurrents dans lesquels les personnages qu’il côtoie dans le présent prennent une part importante), le traitement est moins académique, Gilliam insistant sur l’humain avec des plans resserrés principalement sur les protagonistes, laissant au spectateur tout loisir pour profiter d’un jeu d’acteur varié : Bruce Willis, avec ce personnage constamment sur la défensive, tour à tour bavant ou sanguinolent, drogué et tourmenté, réussit à impressionner, préférant la sobriété aux excès incroyables de Brad Pitt, interprétant le fils déjanté d’un chimiste de renom.
Rythmé par un choix de chansons doucereuses, d’extraits de dessins animés (Tex Avery) et de films (Vertigo), le métrage déroule doctement son fil fondé sur une tension grandissante, plutôt que sur des rebondissements. Gilliam, contrairement à Brazil justement, évite le spectaculaire et les effets faciles : le voyage temporel n’est pour ainsi dire jamais montré et les apparitions et disparitions de Cole sont d’une discrétion rare. On peut donc plus facilement se concentrer sur une histoire qui évolue au fur et à mesure que les interventions dans le passé modifient l’avenir, même si on sent venir l’inéluctable. Dramatique, parfois presque poignant (dans cette nostalgie d’un monde vivant, à l’air pur, où l’on peut encore admirer le ciel et les étoiles, il y a un peu de ce message prégnant dans Soleil vert vu précédemment dans le cadre de ce Challenge), le film ne se débarrasse jamais d’une chape de désespoir lancinant qui étouffe les très rares moments de joie : Cole, repris de justice volontaire malgré lui, tombé amoureux d’une chimère, est impitoyablement marqué par le destin et n’échappera pas à une issue fatale qu’on devine assez tôt. Auparavant, le film aura su titiller les consciences avec cette douce ironie qui caractérise le réalisateur : impossible d’oublier de si tôt ces passages dans un monde sans homme auquel survivent les misérables reliques de sa gloire, immeubles, rayonnages et rues que parcourent, désormais indiscutés, les anciens rois du règne animal.
Un exercice incontestablement brillant et cohérent.
Techniquement parlant, le DVD n’est pas de première jeunesse, et le pressage souffre un peu d’un master ancien : quelques petits drops et une image aux tons voilés ne ternissent toutefois que peu la définition, qui apparaît plutôt bonne. Le son est étonnant, très enveloppant et doté de nombreux effets surround (notamment en forêt où on distingue beaucoup de cris d’animaux, mais aussi pendant la séquence de la fuite de l’asile) ; les dialogues sont clairs mais mixés légèrement plus bas. L’interface du menu est désuète et l’interactivité minimale.
Ma note : 4,4/5