Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
La période initiale de réalisation cinématographique de Steven Spielberg, faite de quatre ou cinq films, est franchement la plus attachante. L’homme trimbale encore ses thèmes de prédilection sous couvert d’une innocence et d’un esprit infantile particulièrement touchants, au point d’en irriter ceux qui n’ont pas su garder leur âme d’enfant. Et justement, Rencontres du troisième type est avant tout l’histoire de grands enfants… Contempler ces scientifiques excités qui font rouler une gigantesque mappemonde jusqu’à leur bureau pour trouver des coordonnées géographiques où pourrait se localiser la rencontre avec cette intelligence venue d’ailleurs a quelque chose de terriblement jovial et salvateur !
Alors qu’une famille déconstruite tente de se ressouder et qu’un autre cocon éclate définitivement, Spielberg nous conte une jolie fable sans méchants, où l’homme est bon et semble croire en l’émerveillement et en la sagesse, sous la forme d’un très émouvant message de paix et de communication entre les races que le réalisateur adresse à l’universalité.
Bref, Rencontres du troisième type est une œuvre au fort potentiel symbolique qui ne vieillira sans doute jamais…
Le DVD Ultimate proposait déjà une très belle image respectueuse de la texture
visuelle tactile voulue par Spielberg. Il s'enrichit en bonus d'interviews et d'un long documentaire hachuré en trois parties.
Les trois montages du film sont proposés dans le coffret, avec les mêmes exigences techniques (quel bonheur de pouvoir découvrir la fin à l’intérieur du vaisseau !).
Einstein était probablement l'un d'entre eux.
Titre original | Close Encounters of the Third Kind |
Date de sortie en salles | 24 février 1978 avec Carlotta Films |
Date de sortie en vidéo | 13 juin 2001 avec Columbia |
Photographie | Vilmos Zsigmond |
Musique | John Williams |
Support & durée | Blu-Ray Columbia edition Ultimate (2007) region All en 2.35 :1 / 135 min |
A présent qu’on est bien installés dans ce cycle Spielberg [cliquez pour retrouver les liens vers les précédents articles], certains éléments apparaissent désormais comme une évidence. La place de la cellule familiale par exemple. Lorsqu’on sait que le metteur en scène a souffert lors du divorce de ses parents (en 1964), on comprend mieux l’accent porté sur les séquences intimes dans ses premiers films, ces moments du quotidien faits de petits riens mais qui emplissent une existence, la quiétude mais aussi le brouhaha liés à la vie avec des enfants.
Lorsque Spielberg pose sa caméra dans un appartement, une maison, les dialogues fusent, semblent chaotiques mais ne paraissent jamais écrits ; les enfants circulent dans le champ avec leur candeur et leur spontanéité habituelle, leurs chambres reflètent leur état d’esprit dans un chaos ordonné ; on y parle fort, car il est difficile de se faire entendre lorsque tout le monde veut s’exprimer, on y crie ou pleure, on y rit de blagues vaseuses, on s’attrape, on joue, on fait des farces et on dort devant une TV constamment allumée. Ses productions comme ses réalisations resteront marquées par ces invariants et la parenté avec les Goonies, Gremlins, et autres Poltergeist est évidente.
Rencontres du 3e type se présente ainsi comme une forme de quintessence de l'esprit Spielberg, et par certains côtés comme son film le plus personnel : c'est à la fois une quête quasi-mystique et un drame familial poignant dans lequel les opinions divergentes se heurtent constamment - on y trouve des échos de ce qui fera l'un des piliers de Contact, la dichotomie science/foi, leur place dans les objectifs les plus élevés de l’espèce humaine. Certes, les scientifiques y apparaissent moins obtus, moins rigides et la fin de non-recevoir qu’ils opposent aux requêtes des « pèlerins » venus chercher des réponses est davantage dictée par la raison et la sécurité que par une forme de dictature de la connaissance. TWIN [lire ci-dessus] et Nico soulignaient également cet enthousiasme bon enfant qui les caractérise : ces blouses blanches sont loin d’être blasées par leur travail et ils passent le plus clair de leur temps à s’ébaubir devant les mystères qu’ils dévoilent progressivement. Le choix de Truffaut comme leader de ces « scientifiques éclairés » est à la fois un hommage à ce cinéaste de la Nouvelle Vague et journaliste de cinéma et un choix délibéré : avec son phrasé posé particulier, cette forme de détachement dans le ton (qui marquait déjà les esprits dans l’Enfant sauvage), il est un parfait contrepoint à la fougue presque juvénile de Dreyfuss.
Dans sa version director's cut, le film s’avère légèrement déséquilibré en raison du poids un peu excessif des séquences dans la famille de Neary, lequel perd petit à petit les pédales – et par conséquent l’aval et le soutien de sa femme. On reste néanmoins sidéré par la facilité avec laquelle Spielberg gère ces situations tendues dans lesquelles parents et enfants s’entrecroisent, les émotions explosent et les loufoqueries succèdent aux vitupérations. La manière dont les enfants de Neary le regardent, s’inquiètent d’abord, s’offusquent ensuite de ses pleurnicheries (le père immature dégringolant alors de ce piédestal qu’il avait péniblement, sans doute, gravi) puis décident de le soutenir dans sa mission dont ils ne comprennent pas les tenants (« Mais Maman, Papa a besoin de nous ! ») est symptomatique du ressenti du réalisateur.
En parallèle, la famille Guiler, déjà moins normée (le père est absent), permet au metteur en scène de jouer avec l’angoisse, voire l’horrifique : en deux séquences (Barry se réveille avec les jouets qui se mettent en marche tout seuls ; il se fait enlever par les extraterrestres), il expose avec force son talent pour la mise en scène de la peur, exploitant avec un sens aigu de l’espace les intérieurs et les extérieurs d’une maison de campagne. Tout, depuis le cadrage jusqu’à chaque élément de la bande son, est brillamment maîtrisé, avec une actrice (Melinda Dillon) particulièrement expressive.
Reste la fin. J’ai déjà dit par ailleurs qu’il m’arrivait souvent à l’époque de la VHS de la visionner juste pour le plaisir, cette partie singulière de dialogue musical entre les aliens et le groupe de Lacombe. A elle seule, elle dégage tout ce qui fait l’enchantement propre au cinéma spielberguien, cette forme de naïveté touchante réconfortée par une science bienveillante (comme pourraient l'être les bonnes adaptations des oeuvres d'Asimov). Ici, les scientifiques sont montrés comme de grands enfants, rigoureux dans leur travail mais prêts à s’émouvoir à la moindre occasion, l’esprit ouvert et aux aguets. Et tandis qu’un prêtre entonne une profession de foi à destination des volontaires parés au départ (bien qu’agissant sous couvert des Nations Unies, tous les membres sont américains), nos savants observent d’un œil attendri les « petits » extraterrestres qui iront prendre Neary par la main pour lui montrer la voie. Dans la version longue, on peut observer l’ascension de ce dernier dans le vaisseau mère, cette salle déserte servant de sas et une partie de l’intérieur où vont se loger les vaisseaux éclaireurs (dont le fameux « cornet de glace » et la petite lumière rouge faisant instantanément penser à Clochette – d’ailleurs, la musique de John Williams devient brusquement disneyenne avec une mélodie rappelant furieusement Pinocchio).
Splendide en soi, et vertigineux, mais qui ôte un peu du gentil mystère entourant
encore l’arrivée de ces êtres et l’avènement d’une nouvelle ère pour l’humanité.
Le Director’s cut, en respectant le côté « elliptique » du finale initial, est à privilégier.