Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Le 30 septembre de cette année, Forrest Gump a eu 25 ans. L'occasion était trop belle de rendre hommage en regoûtant dans les moindres détails à ce petit chef-d'oeuvre d'émotion et de virtuosité, tout en profitant de la dernière restauration du film sur un support 4K. Un film qui a d'abord stupéfié par l'utilisation astucieuse des technologies d'effets spéciaux de l'époque tout en bénéficiant de la maîtrise et du panache dont Robert Zemeckis a su faire preuve, tant dans la narration que dans la prise de vues.
Échafauder une chronique singulière sur une période charnière des Etats-Unis au travers du témoignage d'un homme à l'intellect déficient était une gageure et avait tout de l'échec annoncé. Pourtant, l'ensemble fonctionne à merveille et on se prend à s'émerveiller devant les récits délicieux de ce bonhomme aux besoins simples et à la générosité confondante.
D'autant que, grâce à la magie du cinéma, Forrest Gump est devenu en l'espace de trois décennies champion de football universitaire, héros de la Guerre, champion international de ping-pong, propriétaire de la Société de crevettes Bubba-Gump, actionnaire chez Apple (une coopérative fruitière d'après lui), icône charismatique pour des millions de coureurs et a également inspiré à Elvis ses pas de danse ainsi que les smileys et les autocollants de pare-chocs Shit happens !
Les Oscars ont plu dru, à l'époque, sur cette production ambitieuse. Ce qui engendra, petit à petit, insidieusement, les critiques acerbes contre un sous-texte réactionnaire, une manipulation sadique ou une forme de maniérisme parvenant mal à dissimuler la vacuité du script. Rien que de très normal devant un succès planétaire (Titanic a été encore bien plus attaqué en son temps). Reste que d'autres visionnages n'ont pas effacé la joie pure qu'on éprouve devant la plupart des séquences enlevées, les répliques pertinentes et les situations incongrues. Cela dit, avec le temps, on s'aperçoit de petits écueils qui viennent fragiliser l'émerveillement béat des débuts.
D'abord, le procédé choisi pour nous faire avaler les énormités du scénario : il peut paraître parfois agaçant par sa systématisation bien qu'heureusement, la partition d'Alan Silvestri, inspirée, la B.O. hyper riche (avec l’accumulation jouissive de tubes de toutes les époques qui font encore aujourd’hui le bonheur des publicitaires) et surtout les compositions de Tom Hanks et de Gary Sinise font qu'on ne peut qu'adhérer. Il y a incontestablement des moments de pure tendresse, comme lorsque Gump retrouve Jenny et apprend coup sur coup qu'elle a un petit garçon et... qu'il en est le père. L’acteur emporte alors l’adhésion par une série d’émotions contradictoires qui se bousculent sur son visage, entre l’incrédulité, le bonheur absolu et l’inquiétude :
« Est-ce qu’il a une intelligence normale ? »
Evidemment, on pourra également discuter de la pertinence du propos, qui peut vraiment insupporter dès lors qu’on se met à prendre du recul et à essayer de faire coller la trame à la société actuelle : heureux les pauvres d’esprit ? Faut-il être arriéré pour profiter pleinement de la vie d’Américain moyen ? Les métaphores sont faciles à trouver, mais ne laisseront, au mieux qu’une inutile amertume. Les situations et surtout le jeu des acteurs sont proposés avec tant de savoir-faire qu’y demeurer insensible est, à mon sens, fort préoccupant.
Plus gênante, à mon sens, est cette propension qu’a le réalisateur à mettre en avant la technologie afin de proposer sur la pellicule des effets visuels bluffants (pour les avoir revu il y a peu en blu-ray puis Ultra HD, je peux affirmer que certaines craintes à propos des incrustations numériques étaient vaines : mis à part la bouche de Lyndon Johnson, les effets spéciaux sont très réussis), ce goût de ce qui n’est, après tout, que de l’esbroufe ; certains spectateurs de Contact en étaient demeurés désabusés.
N'est stupide que la stupidité.
Tant d’efforts et d’investissements pour nous raconter après tout une histoire simple fera sans aucun doute grincer des dents. J’en connais que la simple mention de Forrest Gump horripile. Je les comprends. Je déplore simplement qu’ils ne soient pas plus sensibles à ce qui se passe sur l’écran. Car Forrest Gump, sous ses dehors niais, est bien le Candide d’une époque où tout semble aller trop vite, habile observateur d’une société où le futile l’emporte sur le nécessaire. Et Tom Hanks est, quoiqu'on en dise, magistral, attendrissant et fascinant.
Titre original |
Forrest Gump |
Date de sortie en salles |
5 octobre 1994 avec United International Pictures |
Date de sortie en vidéo |
1er avril 2013 avec Paramount |
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Photographie |
Don Burgess |
Musique |
Alan Silvestri |
Support & durée |
Blu-ray Ultra HD 4K Paramount (2018) region ALL en 2.35 :1 / 160 min |