Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Trois volumes du manga de Buichi Terasawa ã Soleil 2001
Cobra, l’inénarrable corsaire, est de retour. Alors qu’il tentait de dérober la Larme du Nil dans un musée d’art antique, il surgit à la rescousse de la belle biologiste Utopia More que Gipsy Doc, chef des Space Pirates, tentait d’enlever. Celle-ci lui révèlera la teneur de ses travaux : la quête de très antiques mollusques dont la coquille porte gravée la mémoire de l’Univers. Dorénavant, Cobra, guère insensible aux charmes de la belle, va l’aider contre les Space Pirates et surtout le terrible Crystal Boy, son pire ennemi !
Pour le trentième anniversaire de ce manga réputé, Taïfu comics publie en France les aventures de Cobra, ce héros charismatique et désinvolte au visage calqué sur celui de notre Belmondo national, mais dans une version recolorisée et traitée par ordinateur – voire dans de nouveaux exploits inédits. L’occasion de goûter une nouvelle fois sur un support plutôt luxueux d’apparence au plaisir que pouvait procurer la série qui a bercé nos plus jeunes années, où le picaresque se mêlait à un érotisme de bon aloi, Terasawa n’hésitant pas à peupler les épisodes de créatures de rêve fort peu vêtues, lesquelles craquaient toutes pour notre bandit au grand cœur et au rayon Delta (Psychogun en version anglaise) planqué dans l’avant-bras gauche.
Ici, le souvenir ému des premiers dessins animés nippons se voile d’un brin de nostalgie, surtout lorsqu’ils avaient cette saveur particulière qui flattait autant l’ado que l’adulte : Cobra, passé son générique français un tantinet ringard (et désormais culte - voir le titre de la présente chronique), révélait un univers aussi foisonnant qu’ouvertement référentiel, la toile de fond cosmique servant de décor à des péripéties plus proches du western ou des films de gangsters. Bien qu’assez voisin d’Albator, le ton était nettement moins sérieux et dramatique – on n’était pas loin du kitsch avoué : le sieur Cobra est un de ces individualistes forcené aux facultés de résistance et d’adaptation hors du commun qui tombent les filles aussi facilement qu’ils flinguent leurs adversaires. Ces derniers, même si présentés comme des menaces universelles, revêtaient un aspect plus ridicule qu’inquiétant, entre le savant fou et le tyran illuminé. Tel un Arsène Lupin des étoiles, Cobra se sortait des situations les plus incongrues, passait souvent pour mort, jouait des déguisements et enquêtait sur le terrain, c’est à dire le plus souvent dans les bas-fonds, les bars sordides où l’alcool coulait à flots et les filles (faciles et sublimes) avaient la langue bien pendue…
C’est d’ailleurs là que commence l’action de the Psychogun, la première et la plus longue des histoires présentées dans ces volumes à couverture souple mais à la présentation classieuse, puisqu’elle occupe deux tomes, le troisième étant consacré à des petits épisodes au format nécessairement plus dense mais aux personnages moins travaillés : Cobra, que tout le monde croyait mort, vient sous un nouveau visage rechercher des renseignements auprès de la très belle miss Madow, qui a ses quartiers dans un bouge. Mais Hammerbolt Joe l’attend pour lui régler son compte…
Rien de nouveau. Si ce n’est l’image. Car la couleur et l’encrage informatique viennent désormais embellir l’œuvre de Terasawa. Les fonds et les paysages en bénéficient largement ainsi que les effets lumineux et le fini des vaisseaux ou autres machineries extravagantes. Restent les personnages et là, je reste perplexe. Les visages n’ont rien perdu de leur beauté assez classique, avec des traits fins et harmonieux chez les (très rares) héros et des figures exagérément difformes chez les méchants. Le design des costumes (enfin, je devrais dire : des « bouts d’étoffe ») des filles y gagne également, avec des motifs magnifiques et des accessoires impressionnants. Mais l’excessive « netteté » de la finition nuit justement à ce que la série avait de sympathique, d’accueillant, de jouissif. D’autre part, le manga comme l’anime étaient les supports d’aventures palpitantes, menées à un rythme très enlevé : ici, la beauté de certaines cases laisse une impression de statisme, de figé, Cobra se transformant alors en resplendissant album d’images au lieu d’une bande dessinée dynamique. Certes, tous les ingrédients qui plaisaient à l’ancien amateur devraient ravir le nouveau (pro)fan, mais je trouve qu’on y perd en fraîcheur et en volontaire naïveté ce qu’on gagne en précision et en modernité. Rien de navrant, cela dit, juste un poil décevant, passée l’ineffable plaisir, presque coupable, de revoir Cobra plongé jusqu’au cou dans ses ennuis sans fin et s’en tirer avec classe et adresse. L’emballage gâche légèrement l’ensemble. Néanmoins, l’initiative a le mérite de remettre cette très bonne série sur le devant de la scène et je crois que je vais guetter d’éventuels DVD remasterisés…
En tout cas merci à Nathalie pour le prêt.
Voir aussi :
Ü La fiche de présentation du volume 1 chez Univers BD, avec couverture, résumé et reproduction d’une planche en couleurs
Ü Les paroles de la chanson du générique français