Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un film de Francis Lawrence (2007) avec Will Smith, d’après une histoire de Richard Matheson (1954)
Je suis une légende est un film bancal.
Passionnant pendant plus d’une heure avant de tomber dans des travers indignes et injustes qui le font passer d’un captivant essai sur la condition humaine à un survival horror certes décapant mais d’une affligeante banalité. Attention, comprenez-moi bien : je ne suis pas de ces critiques blasés qui descendent en
flèche tout ce qui ne fournit pas la moindre once d’originalité ou qui ne cherche pas à briser les codes établis. D’ailleurs, je ne me prétends pas critique. Et, à la rigueur, j’aurais tout à
fait pu me contenter d’un remake de Land of the dead à la sauce Matheson. Le problème est que
cette œuvre méritait mieux et davantage.
Tout d’abord, c’est dû à son concept, fondé sur un roman de l’auteur de l’Homme qui rétrécit et scénariste du Duel de Spielberg, Richard Matheson, une pointure absolue dans le domaine du Fantastique, fasciné par l’Etrange et dont Dean Koontz [] lire par ailleurs la Semence du démon, un de ses romans que j’ai chroniqué] et Stephen King [] cliquer pour lire la présentation de l’auteur par Caramia] se réclament sans hésiter. L’idée du dernier homme sur Terre : avouez que ça a de la gueule ! Déjà au XIXe siècle Shelley avait-il écrit the Last Man, imaginant comment le virus de la peste pouvait éradiquer l’espèce humaine. Explorer cette liberté absolue de pouvoir déambuler absolument où on le désire, vêtu comme on le désire, de consommer ce qu’on désire (pour peu que cela soit consommable) puis de cerner les limites de cette liberté : la solitude… et l’insécurité. Comment l’homme, bête sociale, conserve le plus longtemps possible les rituels empruntés à sa vie précédente afin de s’en faire un pare-feu contre la folie et l’oubli. Goûter à la joie de voir disparus les gêneurs tout en regrettant leur absence. Et puis, ce côté aventurier de l’impossible, conquérant solitaire : bardé de tout ce que la technologie peut offrir, seul en butte à l’inconnu hostile, tour à tour prédateur le jour et proie la nuit.
Un film italien avec Vincent Price avait justement tenté de porter à l’écran cette idée éminemment romantique du « dernier homme sur Terre » en s’attelant à rester le plus fidèle possible au roman. Plus tard (en 1971), Boris Segal s’était à son tour lancé dans l’aventure de l’adaptation avec the Omega Man, film coup de poing avec un Charlton Heston désabusé, qui prenait certes beaucoup de distance avec le script original mais offrait un spectacle cynique et assez réussi, malgré des maquillages peu convaincants, les « créatures » devenant de véritables vampires aux yeux pâles. Ainsi, la très belle fin du film ne parvenait-elle pourtant pas à égaler celle du livre. De l’aveu même de Matheson, le film de Segal n’avait rien à voir avec son œuvre et Stan Barets, grand spécialiste de la SF en France, estimait que la Nuit des Morts-vivants de Romero était beaucoup plus proche de l’esprit du roman. D’ailleurs, et toujours dans cette optique SF, il est amusant de constater que le thème du « survivant » soit considéré comme une branche annexe de celui de « fin du monde » : après un cataclysme (pas forcément nucléaire), ne reste qu’un homme. Pourra-t-il reconstruire ? Choisira-t-il d’évoluer vers une autre forme d’existence ? Est-il condamné par la solitude et l’absence de repères ? On pourra s’en faire une idée assez précise avec l’anthologie Histoire de survivants, parue au Livre de poche avec le n° 3776.
Mais revenons-en au film lui-même. Will Smith, seul sur l’affiche, puis à nouveau seul dans la bande annonce, ça avait tout de la grosse campagne fondée uniquement sur la notoriété d’une méga-star bankable. De quoi agacer, surtout dans nos contrées. Pourtant, ça ne m’a pas découragé. Le souvenir un peu confus du film de Charlton Heston, l’histoire poignante de Matheson et le capital confiance dégagé par Will Smith pouvaient donner lieu à un spectacle de qualité, peut-être davantage tourné vers les effets spéciaux et l’action que vers l’introspection, en espérant que le réalisateur éviterait le piège de traits d’humour dont le comédien a le secret. Le trailer mettait l’eau à la bouche. Il fallait que j’y aille voir. Une invitation à une avant-première (gratuite !) était l’incitation supplémentaire.
Et pendant une bonne heure, j’ai été servi. Smith est Neville : il s’est construit en trois ans une vie aussi monotone que risquée, sur le fil du rasoir, entre une série de petits rites nécessaires à sa survie et scandant le bon déroulement de son quotidien (alarme indexée sur les heures de lever et coucher du soleil repérées sur un éphéméride, entraînement physique intensif, mise en sécurité de sa demeure, enregistrement systématique de chaque faits et gestes, stockage d’armes et de sources de lumière) et de petits loisirs aussi futiles qu’indispensables à son équilibre psychologique. Il connaît par cœur les dialogues de Shrek, []lire par ailleurs ma chronique sur Shrek 2] s’adresse à sa chienne comme s’il s’agissait de sa meilleure amie et confidente, peuple son megastore favori de mannequins qu’il met régulièrement en situation et s’écoute Bob Marley en boucle. Et, quand le soir tombe, il fait tout ce qu’il peut pour arriver dans sa maison transformée en bunker le plus tôt possible avant de passer une nuit agitée, recroquevillé dans sa baignoire, essayant d’oublier les hurlements des créatures et d’échapper aux cauchemars récurrents grâce auxquels on apprend l’origine de ce drame planétaire. Dire que ça commence par la nouvelle retentissante qu’un vaccin contre le cancer a été trouvé… 2009, mouais, pas si loin tout ça…
Neville fascine, à la lisière de la folie, il a tout du héros plongé dans un univers séduisant mais dangereux : le jour, Manhattan est un terrain de jeu gigantesque où il peut jouir de faire des pointes de vitesse dans un bolide tout en repérant les cervidés qui traversent la chaussée ; mais dans les bas-fonds, dans les immeubles calfeutrés, dans les caves et souterrains, là où ne passe pas la lumière, se terrent les créatures, humains au visages déformés par une agressivité hors normes, à la peau livide et à la respiration saccadée. Ils ne parlent pas, ne pensent pas, n’ont plus aucune vie sociale : ils passent leur temps à attendre le coucher du soleil et à chercher de quoi se sustenter. Bravant le danger, Neville n’oublie pas sa mission première : trouver de quoi vaincre l’épidémie. Il traque donc ces êtres en usant de précautions infinies et jouant sur leur vulnérabilité à la lumière. Et chaque jour, l’un après l’autre, il essaie une nouvelle forme de vaccin tiré de son propre sang. Car, voyez-vous, il est immunisé. Il se sait la clef d’une nouvelle ère.
Tout ce passage est une réussite, Will Smith est extrêmement crédible et on prend un plaisir extrême à suivre les pérégrinations de ce scientifique militaire qui s’est voué à une tâche surhumaine.
Bien entendu, un tel luxe de précautions suppose qu’un grain de sable viendra enrayer le processus. Tout spectateur séduit par Neville le sait, le redoute tout en l’espérant. Et c’est là que le bât blesse. Car le drame ne naît pas d’une erreur, ou du basculement de Neville dans la folie qui le guette : il se trouve qu’une de ces créatures s’avère plus « maligne » et lui tend un piège. On entre dans ce genre de phénomènes qui m’avaient irrité dans le Territoire des morts [] cliquer pour lire ma chronique sur ce film] de Romero : le zombi intelligent qui devient chef des morts-vivants. Pas subtil pour un sou et inexplicable. A partir de là, malgré le fait que notre héros en réchappe (de justesse), la fin est inéluctable car il a perdu une de ses raisons de vivre. Le Neville pragmatique devient alors un ange de vengeance et il lui faudra un miracle pour échapper aux meutes (essaims ?) de morts-vivants affamés. Dès lors, tout s’accélère et l’on se retrouve dans une optique plus proche de 28 semaines plus tard []cliquer pour la chronique de Caramia]. C’est dire si c’est prévisible. Attention, ça reste enlevé, haletant, efficace, mais on est assez loin de ce qu’on pouvait espérer. D’autant que le finale, hormis son côté pompeux et solennel, échoue à transcrire le message du titre – ce n’est pas Broots qui me contredira []lire par ailleurs sa propre chronique, il suffit de cliquer].
Autre paradoxe : autant les décors sont sublimes (véritablement tournés dans les rues de Manhattan, c’est absolument impressionnant, encore davantage sur grand écran et en projection numérique), autant les trucages informatiques des créatures sont immondes, à peine digne d’une film de série B et ne parvenant jamais à traduire le caractère malsain et nauséeux des contaminés : il était ici absolument indispensable d’user de maquillages plutôt que d’images virtuelles, d’autant que le film lorgne volontairement du côté des productions zombiesques.
En résulte une œuvre un peu bâtarde, réjouissante par son ambition et fondée sur un script enthousiasmant, mais qui finit par un dernier tiers éculé aux ficelles aussi faciles que grossières. Néanmoins, une lueur d’espoir m’a été apportée par Malain qui m’a envoyé une info selon laquelle cette fin aurait été tournée en catastrophe par Lawrence qui ne désespèrerait pas d’une version director’s cut pour un futur DVD prometteur. D’ici là, allez le voir, ça reste un bon spectacle.
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