Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un roman de Pierre Stolze, ã Editions HC 1996
Sur son lit de mort, l’empereur romain Tibère rêve d’autres vies qu’il a vécues… ou vivra. Sa conscience s’ouvre sur des événements étranges situés parfois à des siècles de distance. Il évoque une substance miraculeuse renfermée dans les coffres secrets de Jules César... Parallèlement, des agents secrets américains de la fin du XXe siècle dénichent en pleine jungle amazonienne une pyramide gardée par des Chevaliers Teutoniques et des crocodiles géants, et sur laquelle règne un vieillard couvert d’or… Des siècles dans le futur, Peyr de la Fierretaillade, qui parcourt les éons sous le nom du Père Noël, est contacté par une personne qui ressemble trait pour trait à Greta Garbo…
Voici donc la suite plein de surprises de Marilyn Monroe & les Samouraïs du Père Noël (voir la chronique) où l’on avait découvert, dans un roman picaresque et enjoué, ce jeune homme qu’est Peyr qu’un individu avait en fait cloné sur le véritable Saint-Nicolas pour qu’il le remplace en tant que Père Noël, grâce à l’utilisation de portes dimensionnelles que seuls certains enfants (les Pérégrins de la planète Echo) pouvaient emprunter sans devenir fous. Peyr avait ainsi connu l’initiation et rencontré la femme de sa vie, réplique génétique de Marilyn.
Ici, Stolze, passé une exergue avec une citation de Scutenaire, se lance dans un ouvrage plus périlleux, plus ambitieux, mais tout aussi réjouissant, continuant à s’émerveiller (et à nous émerveiller) des nombreuses possibilités de la langue française tout en jouant avec des références historiques et culturelles passionnantes. Les intrigues parallèles sont riches en citations, avec des points de vue aussi divers qu’étonnants, et on y découvre les enquêtes des services américains sur des événements extraordinaires survenus alors que des personnalités de la société avaient consommé une drogue inconnue : des musiciens transformés en statues vivantes interprétant une musique transcendantale, les murs d’un appartement couverts de fresques capables de happer par leur irrésistible beauté les spectateurs qui s’y attarderaient… Tandis que notre Père Noël, individu aussi cultivé que naïf, se verra inviter par le Père Fouettard sur sa pyramide amazonienne, afin de mettre un point d’orgue à une œuvre destinée à purifier l’humanité. Tout ce beau monde finira forcément, on s’en doute, par se retrouver au moment précis où Peyr devra faire son choix.
Si l’on ne peut que se retrouver à nouveau ébloui par la multiplication des faits et des lieux, des références et des clins d’œil à une culture populaire, on s’aperçoit malgré tout d’une certaine désinvolture dans le traitement des intrigues et de grosses facilités pour permettre à tout cela de donner une fin cohérente : l’apparition récurrente d’un teddy bear aux étranges pouvoirs ou l’expédition scientifique de cet Allemand qui est bien content d’avoir fait la nique aux Français ressemblent à des gadgets narratifs, même s’ils nous permettent de nous régaler de quelques passages délicieux ; les origines de l’un et la finalité de l’autre demeurent des mystères.
On peut aussi regretter le manque de texture de cet individu qu’est le Père Fouettard, ni vraiment fou, ni vraiment méchant, mais dangereux de par les capacités dont il dispose et surtout en raison du projet qu’il veut mener à terme. Quant au crêpage de chignons annoncé entre une Marilyn revancharde à la recherche de son mari et une Greta Garbo sereine, il fera long feu.
Bref, la dernière partie déçoit mais l’ensemble laisse un bon souvenir, d’autant qu’une suite est prévue pour boucler la trilogie annoncée. On passera donc sur la systématisation d’une écriture volontairement lourde et précieuse, même dans les dialogues (les enfants se voient affublés d’un vocabulaire soutenu et d’une volubilité incroyable) et on essaiera de profiter des superbes paysages et de l’imagination débridée de cet auteur attachant.