Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Alfredo vient de mourir. Pour Salvatore, cinéaste en vogue, c'est tout un pan de son passé qui s'écroule. On l’appelait Toto à l'époque. Il partageait son temps libre entre l'office où il était enfant de chœur et la salle de cinéma paroissiale, en particulier la cabine de projection où régnait Alfredo…
Lauréat de nombreuses distinctions et récompenses à travers le monde (Oscar et Golden Globe du Meilleur Film en langue étrangère, Grand Prix du Festival de Cannes, 5 BAFTA dont celui du Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour Noiret), acclamé dans tous les festivals où il a été projeté, Cinema Paradiso se devait de ressortir dans une édition digne de ce nom. En bon coproducteur, TF1 Vidéo gère son patrimoine en proposant pour la fin d’année 2021 un disque blu-ray Ultra HD 4K en partenariat avec Universal Pictures, qui devrait ravir les aficionados, les cinéphiles et les simples amateurs.
Cinema Paradiso a été conçu comme le témoignage d’une époque révolue, empreint de profonde nostalgie mêlée de regrets et de remords. De l’aveu même de son auteur, qui a puisé une bonne partie des éléments du script dans sa propre enfance, le film devait être une sorte de requiem pour le VIIe Art ou à tout le moins sa forme la plus populaire, du temps où le cinéma était en certains lieux – et notamment en Italie qui, après-guerre, disposait du plus grand parc de salles de toute l’Europe – le seul divertissement de masse, la seule échappatoire en une époque tourmentée, dans des contrées encore meurtries, se relevant péniblement des ravages du conflit. Et en effet, à l’heure de l’explosion de la télévision et des moyens d’enregistrement, à la fin des années 80, on ne donnait pas cher de la peau des exploitants de salles. Trente ans plus tard, le sujet est toujours sur la table, il s’est retrouvé confronté aux DVD puis aux blu-rays et aux téléchargements, à la VOD et au streaming, et cependant il est toujours là, changeant de modèle économique, sacrifiant les petites salles pour des complexes déshumanisés, mais encore présent dans notre société. Tornatore en a donc filmé un chant du cygne un peu précoce : considérons-le comme un sursis.
Après un joli plan au cadrage recherché (une fenêtre, le ciel bleu de Sicile, une coupe remplie de citrons), le film démarre par un coup de fil donné par une mamma anxieuse, cherchant à joindre son fils. Celui-ci est très occupé : ce n’est que le soir, rentrant d’une séance à Rome où il prépare sa prochaine réalisation, que Salvatore, grand cinéaste, obtient le message ; s’il ne tique pas quand on lu parle de sa mère, il accuse soudain le coup à l’annonce de la mort d’Alfredo. Alors, sur son lit, les yeux grands ouverts, il se rappelle son passé, son enfance dans ce petit village reculé, où il s’endormait lors de la messe parce qu’il passait ses soirées au cinéma avec son grand ami projectionniste…
Curieux comme cette introduction rappelle celle des Choristes, avec le même acteur interprétant la version adulte d’un personnage… Et Cinema Paradiso, à sa manière, navigue dans les mêmes eaux, attisant les mêmes sensations, les mêmes émotions par petites touches sensibles où fleure l’humanisme de Tornatore. Malgré un montage parfois abrupt (nous y reviendrons), la réalisation s’attarde avec délicatesse sur les visages de ces enfants bardés d’insouciance, ces mères rongées d’inquiétude pour l’avenir incertain de leur progéniture, ces hommes ridés par le poids de la crise et les contrecoups de la guerre. La caméra ne se prive pas de quelques plans larges sur les rues, la place principale et les façades de ce village sicilien (le tournage a été en grande partie organisé à Bagheria où est né Tornatore) auréolées d’un soleil franc qui tanne les peaux et atténue les soucis. Et on y suit le petit Toto, adorable bambin plutôt vif d’esprit, qui s’est pris de passion pour le cinéma, seule attraction locale, gérée par un curé qui s’empresse d’abord de faire censurer tout ce qui n’est pas conforme à son cahier des charges moral : on le voit donc, à chaque séance initiale, indiquer à Alfredo le projectionniste, tous les plans qui devront être coupés lors de la prochaine projection publique. Exit donc les baisers et autres effusions charnelles, ce qui contribue à frustrer les spectateurs qui continuent pourtant à affluer chaque soir pour s’émerveiller devant les westerns épiques, les intrigues policières, les romances passionnées et les aventures de ces personnages plus grands que la vie. Alfredo, placide et philosophe, opère silencieusement dans le secret de sa cabine spartiate dont le calme n’est perturbé que par la présence de plus en plus insistante du petit Toto, qui s’empresse de récupérer toutes les chutes, toutes les coupes pour s’en faire une collection qui meublera ses solitudes.
Ce n’est pourtant pas faute de tenter de dissuader le gamin : Alfredo a bien conscience que cette manie vire à la passion déraisonnable, et peut nuire à son éducation. Combien de fois sa mère n’est-elle pas venue récupérer le gosse à la tombée de la nuit ? Sensible à la chaleur irradiant du garçonnet mais conscient également de la vacuité de sa propre existence, Alfredo fera tout pour tenter d’éloigner Toto de la salle de cinéma : l’avenir est ailleurs, ailleurs que dans les profondeurs arides de cette île, et il faudra en passer par de bonnes études et un métier d’avenir. Non, mon petit, projectionniste c’est fait pour les cons qui ne savent pas faire autre chose. Et si Alfredo ne se prive pas de placer de temps à autre des sentences aussi enlevées qu’adéquates, il précise qu’elles lui viennent des John Wayne et autres Spencer Tracy qui ont été ses seuls professeurs. Mais l’attrait qu’exerce sur le bambino le pouvoir magique de la pellicule sera plus fort que toutes les vicissitudes et les accidents de la vie – et même un (double) incendie n’aura pas raison de sa passion.
Témoin d’un temps révolu, mêlant rires aux larmes, le film déroule le fil d’une vie scandée par les événements liés à la salle de cinéma, de loisir fugace à source de profits, lieu enchanteur des premiers émois et des meilleurs amis. On ne peut qu’apprécier la délicatesse avec laquelle Tornatore aborde des sujets parfois graves souvent juxtaposés à quelques scènes cocasses dont le mélange constitue l’essentiel d’une existence, ces petits riens qui font les grands souvenirs : les fesses de Bardot, les mimiques de Toto (l'acteur comique), les facéties de Charlot illuminent l’écran tandis que, dans la salle, des couples s’enlacent, des spectateurs s’endorment, on rit ou on pleure. Si l’interprétation n’est pas toujours de haute volée (celui qui joue Toto adolescent est rien moins que maladroit), on ne manquera pas d’admirer – encore une fois – l’exquise justesse de ton de Philippe Noiret, son phrasé monotone qui enrobe ses sentences et atténue ses explosions de colère et que ne parvient jamais à retrouver l’acteur italien qui le double : les puristes, s’ils préfèreront regarder le film en version originale italienne, devront subir le doublage de Jacques Perrin et Philippe Noiret, à l’instar de la plupart des westerns spaghettis où les comédiens jouaient dans leur propre langue. Le petit Salvatore Cascio s’avère bien entendu lumineux et facétieux et fait énormément pour la tendresse qu’on éprouve à suivre ses « épopées ». Le spectateur attentif verra également apparaître la mention de Brigitte Fossey qu’on ne voit pas dans le film : il s’agit en fait de l’interprète adulte de Elena, le grand amour de Toto adolescent, qui a été coupée dans le montage cinéma de 2h, le seul exploité sur le disque UHD 4K pour la première fois en vente depuis le 1er décembre 2021 ; une version de 173 min (réduite à 154 min par la suite, pour un director’s cut) existe bel et bien mais présente uniquement sur le Blu-ray, d’où les « heurts » du montage qu’on peut parfois observer et que j’ai mentionné plus haut.
D’autres regrets peuvent apparaître, comme le mixage des deux pistes son (italienne et française) qui n’est qu’en mono (alors qu’on avait droit à du Dolby Stéréo sur les premiers DVD) : c’est peut-être une volonté de coller à l’époque, et on notera du coup que les dialogues sont parfaitement audibles, et débarrassés de tout côté nasillard. La musique d’Ennio Morricone baigne parfaitement les images qui jouissent, sur le support Ultra HD, d’un réel apport : les plans diurnes extérieurs sont magnifiques, dotés d’un grain agréable très cinéma, et rehaussent les détails d’architecture et les costumes (tout en faisant ressortir les maquillages un brin approximatifs comme pour les yeux de Philippe Noiret après l’accident) ; un bémol pour certaines scènes nocturnes, qui manquent de contraste. Le format plein écran sera ainsi exploité à fond par vos appareils de diffusion.
Dernier motif d'amertume : pas de suppléments sur la galette en Ultra Haute-Définition, il faudra se contenter de quelques bonus (dont un making-of) sur le blu-ray normal, qui est de toutes manières présent dans le coffret en vente actuellement.
Considéré comme l’un des meilleurs films européens de la fin du XXe siècle, sur la liste des « films à voir avant de mourir », Cinema Paradiso est une œuvre intemporelle et émouvante, élégante et discrète, qui sait à merveille révéler ce que le cinéma peut apporter dans notre existence. Sur ce plan, la scène finale très réussie saura raviver d’intenses souvenirs.
Titre original |
Nuovo Cinema Paradiso |
Date de sortie en salles |
20 septembre 1989 avec Les Films d’Ariane |
Date de sortie en vidéo |
1er décembre 2021 avec TF1 Vidéo/Universal Pictures |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Giuseppe Tornatore |
Distribution |
Philippe Noiret, Jacques Perrin, Antonella Attili & Salvatore Cascio |
Scénario |
Giuseppe Tornatore & Vanna Paoli |
Photographie |
Blasco Guirato |
Musique |
Ennio & Andrea Morricone |
Support & durée |
Blu-ray UHD 4K TF1/Universal (2021) region B en 1.66:1/118 min |
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