Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
C’est ce lundi 11 avril que nous avons eu l’opportunité de rencontrer l’équipe du Livre De La Jungle à l’hôtel Bristol. L’occasion de parler de leur travail avec les doubleurs VF de Kaa et Baloo. Voici la retranscription de ce sympathique entretien.
Lambert Wilson : Baloo, c’est mon deuxième ours quand même ! J’ai fait Ernest ! Et oui !
- Comment, du coup, s’est passé ce doublage ?
Lambert Wilson : C’était super parce que j’ai eu une proposition très généreuse qui était de choisir entre Bagheera et Baloo. Je pensais que Bagheera allait être fait pour moi et que l’équipe Disney pensait que Baloo était irrésistible. Et j’ai entendu Bill Murray (la voix de Baloo, NDLR), et je me suis dit que ce n’était pas du tout la grosse voix de l’ours traditionnel et en fait, Bill Murray parle comme vous et moi, c’est un Américain qui sort d’un film de Woody Allen ! Et je me suis rendu compte que ce personnage a des couleurs incroyables. Et puis il y a la récompense de la chanson, plus courte que dans l’original, mais dans laquelle Bill Murray s’est lâché complètement. Et je me suis dit : « Ca, c’est assez rigolo à faire ! ». Et Baloo m’a semblé irrésistible. Ca a duré deux jours, un pour les dialogues, un pour la chanson. Et je me suis rendu compte qu’au fur et à mesure du film, il a plein de situations passionnantes. Quand il arrive chez les singes, il les charme puis il les menace, il se bat. C’est incroyable ! C’est un rôle que j’aimerais interpréter dans la vie ! Un personnage humain qui aurait tout ça à faire, c’est fantastique !
- Et vous Leïla ?
Leïla Bekhti : J’ai adoré le personnage de Kaa. C’est un personnage mythique. Dans la version originale, c’était la voix d’un homme, du coup j’ai été d’autant plus surprise. Je me suis dit : « Je n’ai pas la même voix que Roger Carel ».
Lambert Wilson : Ni le même physique !
Leïla Bekhti : Et du coup, oui, j’ai adoré cette expérience. Il fallait être à la fois envoûtante, sensuelle, maternelle.
Lambert Wilson : Très difficile pour toi !
- Vous avez écouté la version de Scarlett Johansson ?
Leïla Bekhti : Oui oui ! On s’est beaucoup aidé avec les voix américaines. Ca donnait une couleur. J’en ai eu besoin. De l’écouter, de l’entendre.
Lambert Wilson : Quand un film comme celui-ci est mis en scène par un tel réalisateur, on se dit que la proposition avec laquelle les auteurs arrivent est tellement réfléchie, fignolée pendant toutes ces années, que la moindre des politesses c’est de rendre ce qu’ils ont voulu. On va pas commencer à s’emparer du truc en disant « vous voyez ce que nous allons faire, petits Français, avec ce que vous avez fait … ». Il faut se glisser exactement dans ce qu’ils ont fait mais en parlant français. Donc on écoute en permanence les voix originales. On est plus dans l’écoute que dans l’observation de ces images.
- Pour la chanson vous aviez dans l’oreille la version de 1967, mais pour le texte pas du tout ?
Lambert Wilson : Il faut préciser que pour pouvoir faire la chanson dans la version de Bill Murray, on était en studio et on est allés sur internet écouter la version originale simplement pour identifier la mélodie parce que Bill Murray part dans un truc tellement dingue ! J’ai vraiment écouté plein de fois l’originale, et une fois qu’elle s’était bien ancrée dans ma tête, j’ai compris ce qu’il faisait. Mais d’emblée, la clé du personnage dans l’interprétation de Bill Murray, c’est quelque chose de très parlé. J’en ai parlé tout à l’heure avec le metteur en scène, il voulait que ce soit un humain, un type qui parle tout à fait normalement. Il n’y a pas de cliché, il n’y a pas de stylisation. Au contraire, c’est un personnage de film contemporain américain. Moi j’avais l’impression d’être dans un film de Woody Allen. Cette façon de parler un peu distancée, un peu avec mépris au début, il ne fait pas d’effort du tout. C’était un ton pas évident à trouver. Et au début j’ai eu un peu de mal, je pensais que je n’arriverais pas à rendre cette intention très américaine. C’est un choix vraiment très particulier comme interprétation, c’est « pas du tout pour les enfants » (imitant une voix de dessin animé caricaturale). Et après je me suis dit que finalement c’est un humain, il est comme moi, j’ai à peu près la bonne voix, donc on joue les situations au premier degré comme des humains la vivraient. Et d’ailleurs, Baloo est moins expressif à l’écran que dans un dessin animé. Alors effectivement de temps en temps il lève les sourcils, ou il a l’air un peu attendri, mais il reste quand même un vrai animal. Donc tout se fait sur le son.
C’est peut-être le tour de force du film, que les animaux soient très réalistes mais avec un discours qui ne joue pas du tout sur cette dimension animale …
Lambert Wilson : Je crois que c’était la proposition du metteur en scène. Pourquoi refaire Le Livre De La Jungle ? Parce que le monde a changé. Pas simplement la technologie, mais aussi le monde. Les références cinématographiques ne sont pas les mêmes. Pour un public d’adolescents et d’adultes on va proposer quelque chose de plus tendu, qui fait plus peur, plus brutal. D’une certaine façon très intéressant d’un point de vue anthropologique. Le Livre De La Jungle 2016 raconte quelque chose de beaucoup plus violent dans notre rapport au monde. Il y a un rapport à la forêt, à l’écologie différent. La forêt qui a été menaçante devient de nos jours à protéger. L’humain a une fonction destructrice ou positive. Plein de raisons qui font que l’ont fait une nouvelle version, avec une technologie permettant de faire des animaux aussi authentiques que dans un documentaire, simplement ce sont des personnages humains.
Votre expérience du doublage vous a-t-elle servie ici ?
Leïla Bekhti : Oh, j’aime bien l’idée d’arriver consciemment vierge de tout. C’est comme un tournage quand j’arrive sur un film. Effectivement, les expériences font que l’on apprend des choses et ça doit servir à ça, mais pour moi c’est une autre histoire, c’est un autre personnage. Moi le doublage m’amuse énormément. On peut avoir une imagination dingue, ça nous rend encore plus créatif. J’adore ! Et en même temps c’est du travail ! On ne joue pas avec notre corps, pas avec le visage, c’est qu’avec la voix. Mais j’ai adoré l’expérience.
Lambert Wilson : Si on arrive avec son expérience du dessin animé, il faut complètement laisser ça de côté. Le bagage, c’est la technique. Savoir doubler, lire, être synchrone, soit on sait le faire, soit on ne sait pas le faire. Il y a des acteurs qui n’arrivent pas à se doubler eux-mêmes. Et il y en a d’autres qui arrivent à le faire un peu naturellement. Ca c’est la partie technique simple. Mais ici, il fallait abandonner ses réflexes du dessin animé. Ce qu’a voulu le metteur en scène, ce sont des gens qui se parlent normalement, il ne faut pas faire de voix, il faut être totalement réels. Leïla dans cette séduction, qui est très envoûtante, et puis Baloo qui vous parle comme un type dans un café. Heureusement ! Car dans le dessin animé les doubleurs ont des voix qui font très chewing-gum, mais c’est leur spécialité. J’en ai fait quelques-uns mais on est moins habile qu’eux. C’est un métier full time ça.
Leïla Bekhti : Et puis je trouve que c’est ce qui fait que l’on s’attache plus au personnage. J’ai découvert le film hier, j’ai pleuré, j’ai ri, j’ai chanté. Baloo on a envie que ce soit votre pote ! Il n’est pas parfait… C’est un film de cinéma. On l’a abordé comme tel.
- Le fait que Kaa soit une femme ?
Leïla Bekhti : C’est marrant, c’était un homme avant, effectivement, mais je me suis dit : « C’est drôle de ne pas y avoir pensé ! ». Roger Carel est un excellent choix, mais une femme qui envoûte un petit garçon, ce n’est pas non plus inenvisageable.
Lambert Wilson : Je ne sais pas si le metteur en scène s’est exprimé sur la symbolique du serpent. Il doit avoir des réponses .
- Ce n’est pas méchant envers les femmes…
Leïla Bekhti : Non jamais, il adore les femmes ! Il me l’a dit tout à l’heure. Ah non non oulala, je viens de comprendre (rires).
- La fin qui a été changée par rapport au dessin animé, vous en pensez quoi ?
Lambert Wilson : Je n’ai pas revu le classique de Disney. Le film est totalement différent parce que le rapport à la nature est différent. Forcément, un Mowgli moderne ne peut pas réagir au monde extérieur de la même façon. Il y a une philosophie, un message derrière ce film, subliminal, mais que les enfants vont percevoir, il y a une sagesse. Le monde sauvage, le monde animal : on vit à l’ère dans laquelle l’Homme a véritablement détruit cet équilibre. Donc c’est normal qu’il y ait un rapport différent à l’environnement, et une façon de raconter l’histoire différente. C’est vraiment un film de son temps.
- On trouverait presque des raisons à Shere Kan, ayant souffert de l’Homme…
Lambert Wilson : Oui, ça m’inquiète toujours par rapport à ce personnage, car c’est un animal qui est très en danger, qui peut créer dans le film un ressentiment d’une génération d’enfants qui vont l’associer à quelque chose de néfaste alors qu’il est lui-même très fragile dans la nature. J’espère qu’il y aura une réflexion autour de ce personnage.
Leïla Bekhti : Tous les personnages sont plus nuancés. C’est plus intensifié car c’est un film. J’ai déjà été très émue devant un Disney, mais honnêtement je n’ai pas le souvenir d’avoir été particulièrement émue devant Le Livre De La Jungle. J’étais enfant. Mais hier, j’ai été très émue, notamment avec la louve, avec la voix de Cécile qui est extraordinaire, et puis le jeu du petit – enfin du grand - acteur. Je trouve ça beaucoup plus intéressant effectivement. Tous les personnages ont des failles.
Lambert Wilson : Ce ne sont pas des personnages en carton-pâte. Dans le dessin animé original, il y avait toujours ce recours au cliché alors qu’ici les personnages sont tellement humanisés par les auteurs avant même la fabrication que, forcément, c’est beaucoup plus subtil. Ce qui est étonnant, c’est qu’il utilise des images quasi cauchemardesques comme par exemple le Roi des singes lorsqu’il devient King Kong et qu’il poursuit Mowgli, c’est quelque chose de très angoissant. C’est la recette de l’entertainment à l’américaine. Ils concentrent les effets, tous les potentiomètres sont augmentés au maximum. Quand ça doit être attendrissant, c’est encore plus attendrissant. On est vraiment ému. C’est un peu comme les parcs d’amusement. On a une sorte de grand huit complètement dingue qui n’a jamais été inventé encore en animation. C’est le roi des singes qui m’a surpris le plus, avec une référence cinématographique soulignée à Apocalypse Now, avec ce personnage qui parle dans l’obscurité avant d’apparaître, et quand il apparaît il est carrément gigantesque, avec d’autres références cinématographiques, King Kong. Il s’est vraiment amusé à faire ça.
- Quand on est venu vous caster, on vous a expliqué cette différence entre dessin animé et film live ?
Lambert Wilson : On ne nous a pas dit : « Attention ça va être un travail plus subtil !», on nous a dit : « C’est un film incroyable ! ». Et c’est vrai.
Leïla Bekhti : Moi on m’a pas dit ça !
Lambert Wilson : « C’est un petit job pourri ! » (rires)
Leïla Bekhti : Non c’était exactement ça. Et heureusement d’ailleurs !
Merci à Audrey de nous avoir permis de participer à cette rencontre.
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