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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Régression : on Satan à mieux

[critique] Régression : on Satan à mieux

Une nouvelle opération Cinétrafic associée à Metropolitan m'a permis de rattraper une lacune de 2015 : Régression, un film d'Amenabar tout de même, doté d'un casting alléchant et sur un sujet tout aussi stimulant.

Un film du réalisateur d'Agora n'est jamais anodin : le cinéaste soigne ses oeuvres dans lesquelles il a l'habitude de s'impliquer totalement, en fait des objets méticuleusement ciselés soutenus par des réflexions sur des sujets qui le passionnent, comme la nature même du réel, et dans un genre qu'il affectionne (le thriller, qui permet justement de faire coexister une réalité énoncée par des faits et des analyses et leur interprétation plus ou moins fantasmée par les protagonistes de l'histoire). Depuis Tesis, en passant par Vanilla Sky et les Autres, Alejandro Amenabar a perpétuellement tenté d'engendrer des récits faisant s'entremêler différents niveaux de réalité, au point que le rêve en devienne concret.

Doté d'un budget solide (mais bien loin des grosses sommes perçues pour son film historique Agora), il s'est à nouveau attaché à un script fondé sur une psychose bien réelle qui s'est emparée de la population américaine dans le courant des années 80, lorsque des crimes odieux ont été imputés à des cultes sataniques. Des services spéciaux avaient alors été créés dans les commissariats, chargés de tirer au clair ces plaintes engendrées en grande partie par la brutalité d'un contexte reaganien venant titiller les peurs les plus enfouies de chacun.

Ethan Hawke interprète Bruce Kenner, un inspecteur légèrement désabusé dans un comté du Minnesota : dynamique et hargneux, il semble difficilement supporter le laxisme et la paresse de ses confrères et, lorsque "l'affaire Angela" survient, il y investira toute sa frustration. L'acteur est l'interprète idéal, parfait dans la peau d'un être fidèle à des principes mais hanté par de vieux démons - ou simplement la peur d'échouer, ou de ne pas faire triompher la Justice. Face à l'attitude désobligeante de certains de ses pairs, et les propos indignes de l'un d'entre eux qui remet en question l'intégrité de la jeune fille, le jeune enquêteur va s'arc-bouter sur la quête du moindre élément de preuve permettant d'inculper ses suspects. Car Angela, réfugiée au sein de l'église locale, va non seulement accuser son propre père de l'avoir violentée, mais également de l'avoir contrainte à participer à des messes noires en présence de nombreux autres participants, dont un membre des forces de l'ordre. Le problème, c'est qu'il n'y a que le témoignage d'Angela et celui, abasourdi et désemparé, du père de la jeune fille, qui donnent de la consistance à l'enquête - des témoignages obtenus par le biais d'une "régression hypnotique" pratiquée sous la houlette d'un psychologue venu en renfort.

Dès lors, toute l'attention du film reposera sur la nécessité d'obtenir des éléments concrets, car les témoignages ne constituent pas une preuve suffisante. Kenner va reporter son attention sur la grand-mère d'Angela, qui ne semble pas très claire dans ses propos, et sur un frère qui a disparu - et pourrait corroborer les accusations d'inceste. Dans l'intervalle, l'inspecteur accumulera les enregistrements d'Angela, se les repassant sans relâche tout en examinant scrupuleusement les lieux (la chambre de la jeune fille, la grange où se serait tenue la fameuse séance du culte). Ce faisant, il développera, forcément, un lien de plus en plus fort envers Angela, jeune fille aussi belle que troublée, suffisamment maîtresse d'elle-même pour pouvoir évoquer à mi-mots une organisation malveillante tenant la petite ville sous sa coupe.

C'est Emma Watson qui campe une Angela immédiatement séduisante mais également déroutante, jouant constamment de ce statut hybride, mi-femme mi-enfant, séduisante mais fragile, à l'innocence affectée. Elégante dans son jeu, mais avec une forme de froideur fleurant l'artifice, elle oriente plus ou moins volontairement le spectateur dans cette enquête où Kenner trouve de moins en moins d'alliés et s'attire de plus en plus la suspicion et l'inimitié des administrés comme de ses confrères (ce n'est jamais très bon d'accuser un collègue).

La réalisation reste sobre et joue plutôt sur l'ambiance que sur la virtuosité : les scènes d'extérieur sont souvent sombres, la musique anxiogène et la bande-son régulièrement occupée par la voix des témoins enregistrés, ajoutant une dimension supplémentaire à l'image lorsque Kenner les écoute tout en explorant les endroits mentionnés. Tous les éléments se tiennent et la conclusion apparaît logique, avec une morale inattaquable. Pourtant on n'arrive pas à se passionner pour ce drame avançant un peu poussivement, d'une part en raison de seconds rôles écrits sans fioriture (au point qu'on finit par tous les suspecter), d'autre part à cause des éléments horrifiques insérés çà et là, issus la plupart du temps de l'imagination réorientée de Kenner qui finit par se sentir traqué par des forces invisibles. Alors, démon ou pas ? Coupable ou pas ? Là où un Exorcisme d'Emily Rose s'efforçait de nous faire douter de la réalité de l'élément diabolique, Régression ne fait pas peur mais échoue surtout à surprendre, voire à interloquer, s'achevant trop facilement sur quelques cartons explicatifs traduisant la réalité des faits. Le sujet pourtant fascinant aurait mérité un traitement moins en demi-teintes, plus impliqué ou osé, et surtout plus dense - on aurait pu en faire un très bon épisode d'X-Files qui a d'ailleurs évoqué des thèmes similaires.

Une déception donc, de la part d'un grand réalisateur dont on ne parvient pas à comprendre l'investissement (car on n'aboutit pas à grand-chose, il faut bien le reconnaître). Cependant, l'interprétation est intéressante, David Thewlis parvenant à être tout à tour rassurant et inquiétant en psychologue patenté tout comme Lothaire Bluteau en révérend un peu trop paternaliste pour être honnête. En induisant chez le spectateur bon nombre d'hypothèses, le film réussit à ne pas être anodin et fait passer un bon moment de cinéma. C'est juste qu'il ne révolutionne rien et n'apporte pas grand-chose d'autre. Dommage.

 

 

Titre original

Regression

Mise en scène 

Alejandro Amenàbar

Date de sortie France 

(ciné) 28 octobre 2015 avec Metropolitan ; (vidéo) 2 mars 2016 avec Metropolitan 

Scénario 

Alejandro Amenàbar

Distribution 

Ethan Hawke, Emma Watson & David Thewlis

Musique

Roque Baños

Photographie

Daniel Aranyò

Support & durée

DVD Metropolitan (2016) zone 2 en 2.35:1 / 107 min

 

 

Résumé : Minnesota, 1990. L'inspecteur Bruce Kenner enquête sur un crime révoltant dont la jeune Angela accuse son père, John Gray. Lorsque John avoue sa culpabilité de façon tout à fait inattendue et sans garder le moindre souvenir des faits, le docteur Raines, un célèbre psychologue, est appelé à la rescousse. Il va devoir aider John à retrouver la mémoire, mais ce qu'ils vont découvrir cache un terrifiant mystère qui concerne le pays tout entier...

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T
J'ai déjà du mal en France avec Cotillard et Seydoux alors à l'étranger :o Cela dit, je trouve qu'elles jouent mieux en France qu'ailleurs !
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V
Oui, c'est aussi mon avis, sans doute parce que leur jeu colle mieux aux exigences de la réalisation hexagonale.
T
Ah tiens, par contre je n'ai pas du tout fait le rapprochement avec le jeu (effectivement parfois pénible) de nos comédiens français à l'étranger !
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V
Oui, tout le problème est là : je suis bien conscient du talent de nos interprètes mais on a parfois l'impression qu'ils ne jouent pas du tout de la même manière. J'estime que Marion Cotillard est une excellente actrice, elle est capable de performances hallucinantes de vérité, mais souvent, dans les blockbusters, elle semble mal à l'aise. Pareil pour Léa Seydoux.
T
J'ai également été déçue par ce film, surtout quand on connait le talent d'Amenabar. Il est intéressant dans le sens où il joue bien avec les clichés finalement, notre imagination collective etc..., Ethan Hawke est également très bon ! Mais c'est juste que la mise en scène semble trop plate et ne met pas du tout en valeur le potentiel de l'histoire et perso j'ai eu du mal avec Emma Watson. C'est pas qu'elle joue mal, je ne l'ai juste pas trouvée crédible.
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V
Je vous rejoins toutes les deux. Je ne parviens pas encore à déterminer si Emma Watson joue mal ou si son jeu est tout simplement en décalage avec celui, plus naturel, de ses confrères. Il y a toujours eu une certaine préciosité dans son phrasé, mais on a toujours senti aussi beaucoup d'investissement. C'est le même genre de décalage que je ressens lorsque des comédiens français jouent dans des productions américaines.
C
Je te rejoins pour Emma Watson, ma plus grosse déception de ce film, mais je ne peux m'empêcher de me dire que si elle avait été meilleure actrice, cela n'aurait pas sonné faux, malgré la fin, non? Je l'appréciais beaucoup avant comme actrice mais je me suis rendue compte avec ce film que je ne l'avais jamais vraiment vue dans des rôles demandant une interprétation complexe...
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C
J'ai envie de dire: rôh, le titre, hein. Mais c'est vrai. Par contre, j'ai un poil plus aimé même si je n'ai pas non plus été convaincue...
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V
Coucou ! Ca fait plaisir de te relire. Oui, j'ai été déçu en raison de ce que promettait l'ensemble de tous les éléments cités plus haut (le réalisateur, le sujet et le casting). Je suis un peu circonspect en ce qui concerne Emma Watson, j'ai d'abord trouvé qu'elle sonnait faux puis à la fin je me suis rendu compte que ça servait - ou non, selon ce que désirait le réal - le propos.