Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Une chronique de Nico
Ce mois d'Avril est vraiment un mois exceptionnel pour les cinéphiles. Il faut en effet saluer l'initiative d'Arte de proposer une rétrospective sur Miyazaki, qui s'étale sur quatre semaines avec diffusion d'un film du réalisateur les lundi et jeudi. De quoi enthousiasmer les fans ne manquant jamais une occasion de replonger dans l'univers du Maître de l'animation japonaise et attiser la curiosité des téléspectateurs "novices en la matière", cinévores et curieux de découvertes.
Avant tout, et ce n'est pas pour faire de la publicité mais plutôt servir de "mémo", voici la programmation d'Arte :
-Le Voyage de Chihiro (05/04/10, 12/04/10)
-Mon voisin Totoro (08/04/10, 15/04/10, 21/04/10)
-Le Château ambulant (12/04/10, 14/04/10)
-Nausicaä de la vallée du vent (15/04/10, 18/04/10, 20/04/10)
-Princesse Mononoké (19/04/10, 22/04/10, 28/04/10)
-Le Château dans le ciel (22/04/10, 23/04/10, 25/04/10)
Porco rosso et Kiki la petite sorcière ne sont pas diffusés mais feront l'objet de billets sur ce blog, tout comme Ponyo sur la falaise.
A noter également la diffusion d'un très bon documentaire sur Miyazaki et le studio Ghibli, malgré sa courte durée et le peu d'anecdotes dévoilées : il s’agit de Ghibli et le mystère de Miyazaki (08/04/10, 26/04/10). A mettre en relation avec le prochain billet de Vance sur le réalisateur, une mise à jour d’un article détaillé rédigé pour un magazine.
L'occasion pour le blog de faire partager quelques avis sur ces films, avec test des DVD ou blu-ray, impressions personnelles et, je l'espère, commentaires des lecteurs en vue de débats.
Commençons donc par :
Le Voyage de Chihiro
(Japon, 2001, sortie 2002 en France).
Il n'est pas étonnant de voir qu'Arte a choisi de démarrer sa rétrospective sur ce film-là. C'est grâce à ce film que le public français a réellement connu Miyazaki, lui réservant un accueil plus que mérité.
Résumé Allociné : Chihiro, dix ans, a tout d'une petite fille capricieuse. Elle s'apprête à emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure.
Sur la route, la petite famille se retrouve face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s'ouvre un long tunnel. De l'autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons. Prise de panique, Chihiro s'enfuit et se dématérialise progressivement. L'énigmatique Haku se charge de lui expliquer le fonctionnement de l'univers dans lequel elle vient de pénétrer. Pour sauver ses parents, la fillette va devoir faire face à la terrible sorcière Yubaba.
"De l'autre côté du tunnel, il y a une ville mystérieuse."
Pour les Occidentaux, il est très difficile de saisir tous les tenants et aboutissants d'une œuvre aussi riche que celle-ci. Je me souviens de m'être fait la réflexion - en voyant la scène où l'énorme espèce de pousse de soja avec son bol sur la tête suit Chihiro - que je ne pourrai probablement jamais comprendre le film. Tout ce que je m'étais dit en sortant du cinéma c'est que je venais de contempler une sorte d'Alice au pays des merveilles en version japonaise. Cette histoire de traversée du tunnel, symbolique, n'est pas sans rappeler le fameux passage du lapin blanc d'Alice.
Alice (la version de 1951 de Disney) m'a toujours extrêmement impressionné. Cette sensation cauchemardesque de rester à jamais coincé dans un monde absurde... Une sensation que je retrouve devant Chihiro. Chihiro est une sorte de rêve éveillé teinté de cauchemar. Rien n'est caricatural ou manichéen chez Miyazaki, d'où une perte de repère pour le spectateur occidental habitué aux schémas classiques des scenarii américains ou européens. Dans une même scène, on peut passer d'un état proche de l'angoisse à un état de bien être. La première scène avec Kamagi, le vieil homme chargé d'alimenter les bains, en est un exemple probant. Arrivés dans ce monde étranger en même temps que l'héroïne, nous traversons un espace étroit et sombre amenant dans un sous-sol d'où l'on commence par entendre un bruit métallique et "brûlant"... Ensuite, par le biais d'ombres déformées et de lumières rougeoyantes, Miyazaki nous présente progressivement la salle dans laquelle se trouve le vieil homme. Nous le voyons alors (étonnés par le nombre et la taille de ses bras) de dos, affairé à des tâches semblant routinières et inconscientes. Nous remarquons également les petites boules de suie allant de droite à gauche (un sens assez évocateur chez la plupart des réalisateurs), travaillant sans relâche. Le tout sur un bruit strident et répétitif. Et c'est de cette sorte de répétition du mouvement et du son que naît l'angoisse. La peur de l'inconnu. Rien n'est aussi terrorisant que ce mouvement perpétuel. Une scène digne de figurer dans le film Silent Hill. Puis prenant son courage à deux mains, Chihiro adresse la parole à Kamagi. Le spectateur s'attend à tout. Il est ébranlé dans sa certitude. Kamagi ne se retourne pas tout de suite. Moment de doute. Chihiro insiste. S'ensuit alors un échange plus posé que ce que le spectateur imaginait. Les clichés sont balayés, les préjugés commencent à s'évaporer. L'angoisse disparaît pour laisser place à de la simple curiosité. Le spectateur ne craint plus pour Chihiro. Il est prêt à tout. Passons sur le reste de la séquence où Lin fait son entrée. Tout ce qu'il y a à retenir c'est la coupe de ce passage : Kamagi maintenant devenu "familier" prononce des mots en anglais : "Good luck !" (que ce soit en VO ou VF) au moment où Chihiro repart. Cette espièglerie de la part de ce vieux personnage est étonnamment pertinente et le spectateur se plaît à rire maintenant de la situation. L'état de bien être est arrivé.
Tout le film est comme ça.
"Il y a un village, ça ressemble à la mer."
Cette dualité rêve/cauchemar se retranscrit même dans les décors. Des décors très riches, très lourds. Des décors ayant une histoire. Des décors rassurants ou angoissants. Chaque spectateur aura sa propre perception du monde dans lequel évolue Chihiro, devenue Sen. Un changement de nom pour mieux oublier sa personnalité. Un peu comme la perte de repère du spectateur, étroitement liée avec le choix des cadrages et la surcharge de détails dans les décors. Quelquefois poétiques (comme la vue du balcon sur le paysage inondé) ou quelquefois totalement déroutants (la chambre du bébé, composée d'éléments traditionnels ou modernes - le ptérodactyle - et autochtones ou étrangers -des tableaux que l'on croirait sortis d'un paysage campagnard français ou du moins un peu plus occidental).
Le film parle bien évidemment du passage à l'âge adulte. Miyazaki expliquait que la scène où Chihiro prend le train seule est pour lui le tournant du film. Affronter ses peurs.
Le film est également conçu comme un rêve. C'est tout du moins ce que l'on pourrait croire. Quelques indices sont là pour dire le contraire bien entendu, mais ils sont assez légers : le ruban dans les cheveux de Chihiro et les herbes qui ont poussé. Par contre, je n'ai absolument pas compris la symbolique de la scène du passage dans le tunnel à la fin. Il s'agit exactement de la même scène qu'au début. Une nouvelle répétition. Si Chihiro et ses parents arrivent dans la ville en avançant de la droite à la gauche, comment expliquer ce choix de les faire retraverser avec la même scène, toujours de la droite à la gauche ? Y a-t-il une idée derrière ? Ne sont-ils jamais sortis de là ? Aucune idée... Y sont-ils, au moins, déjà entrés ?
Un film soulevant de nombreuses questions qui ne trouveront peut être pas de réponses. Tant mieux...
Test DVD
Trois éditions françaises. Deux réellement différentes. Un packaging magnifique pour la troisième édition, en bois.
Image :
Commençons par écarter la version japonaise ne respectant étonnamment pas l'étalonnage vu en salle et ajoutant une sorte de filtre.
La version la plus belle du film est bel et bien française. Préférez la première édition à la dernière, qui s'est vue légèrement "rétrécie" avec un cadre noir autour de l'image (permettant de ne pas être rognée par la coque entourant l'image sur les téléviseurs à tube cathodique). La première édition du coup redevient idéale à l'heure des écrans HD.
L'image n'est pas à la hauteur des sorties récentes du studio. Quelques problèmes de compression gâchent le spectacle, notamment dans les plans rapides.
Les couleurs sont belles et le niveau de détails est largement suffisant.
L'image proposée par Arte est similaire, les problèmes liés à une mauvaise compression ne sont pas là.
Son :
Une VF DTS et Dolby Digital faisant jeu égal avec la VO DD. Un mixage assez clair quoique saturant un peu sur certains dialogues de la VO (à noter un passage non sous-titré mais durant 1 minute au plus peut-être). Les surrounds ne sont pas très sollicités. Seule la musique se retrouve sur tous les canaux. Quelques basses.
Un son convaincant mais peu démonstratif, qui colle bien à l'ambiance du film.