Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Une chronique de Vance
N.B. Une chronique ressortie de la poussière et légèrement remise au goût du jour dans le cadre du cycle Miyazaki sur Arte, et pour compléter le remarquable travail de Nico sur les films.
Pour certains, Miyazaki est la référence ultime de l’animation contemporaine, mêlant avec un savoir-faire
inégalé les techniques traditionnelles, les dernières applications 3D et une créativité inépuisable. Brûlant ce qu’il a adoré, le spectateur européen est tout prêt, depuis qu’il a vu
Totoro sur Canal + ou surtout le Voyage de Chihiro au cinéma, à renier les produits Disney, devenus du
coup totalement ringards.
C'est aller un peu vite en besogne.
Né à Tokyo en 1941, Hayao Miyazaki est diplômé à 22 ans en économie à l'Université de Gakushuin. Il choisit l’animation et entre alors à la puissante Toei Toga. Il y passera d’intervalliste à animateur, puis scénariste, avant de la quitter avec armes et bagages à la suite d’une grosse pression des syndicats sur la direction. Miyazaki était déjà marqué par le marxisme, qui l’accompagnera toute sa vie, même s’il a pris beaucoup de recul depuis la chute de l’Union soviétique. Il profitera de cette période pour travailler avec d’autres compagnies comme la Nippon Animation. Ce n’est qu’ensuite qu’il fondera avec son compère Takahata les studios Ghibli, dans lesquels il se consacrera à la réalisation presque exclusive de longs métrages. Il s’y donnera les moyens d’écrire, réaliser et produire des œuvres de qualité, refusant les compromis, quitte à passer 10 ans sur un projet (comme pour Nausicaä, dont il a terminé le film avant le manga).
En France, s'il s'est révélé au grand public grâce à la projection de ses films les plus connus (suite à un accord habile avec les studios Disney), les plus attentifs le connaissaient bien avant : concepteur de décors pour la série Heidi, puis réalisateur de Sherlock Holmes, certains de ses travaux étaient disponibles en vidéo (Conan le fils du futur, le Château de Cagliostro). On pouvait y voir son goût pour une animation débridée, un humour bonhomme et la mécanique (surtout les avions à hélice mais aussi les trains, les voitures anciennes et d’autres véhicules ou machines de l’ère de la vapeur). On découvrait sa fascination pour les personnages d’enfants et de femmes indépendantes qui étaient immanquablement les héros de ses productions : lors d’une interview donnée en 1991, il estimait que Holmes et Moriarty étaient « de parfaits crétins » et qu’il avait voulu confier à Mrs Hudson le soin de « reprendre leurs affaires en mains ». Ne manquait que ce souci permanent d’écologie que tous croient voir dans son œuvre, lui qui se dit concerné par les rapports entre l’Homme et la Nature , adhère timidement à des mouvements écologistes (comme le Mouvement pour la Forêt de Totoro auquel il contribue financièrement sans jamais participer à la moindre manifestation) et préfère vivre à la campagne, du côté de Tokorozawa dont on estime que la luxuriante campagne environnante a servi de modèle pour les décors champêtres de Mon voisin Totoro.
Cet homme cultivé, capable de citer des passages des films de Tarkovski ou de Kubrick, préoccupé par l’avenir de son peuple et par la perte des valeurs de la jeunesse nippone, conserve un vrai sens artistique, estimant qu’il est vain de galvauder son talent pour des séries TV ou pour des OAV : pour lui, un véritable travail d’animation ne peut se concevoir que dans l’optique d’un long-métrage de cinéma. Il dit haut et fort qu’il est essentiel de travailler pour ses spectateurs plutôt que par passion – c’est pourtant sa passion de la mécanique et des avions qui l’a conduit à faire Porco Rosso (1992) ; le nom même des studios Ghibli fait écho à ce vent chaud saharien bien connu des pilotes italiens de la Seconde Guerre Mondiale, qui en affublaient leurs avions de reconnaissance. En revanche, lorsqu’on évoque ses personnages principaux qui sont toujours, depuis Nausicaä, des enfants, il affirme qu’il ne s’agit pas d’une volonté délibérée, même s’il admire volontiers les œuvres de littérature de jeunesse anglaises.
Deux principaux tournants ont marqué sa carrière : d’abord, ce fut l’achèvement de Nausicaä de la Vallée du vent (1984), œuvre ample et ambitieuse, dont il réalisa le long-métrage et le manga avec des objectifs différents. On y retrouve tout ce qui était en filigrane dans ses précédentes créations, et presque tout ce qu’on retrouvera par la suite (il suffit de comparer l’arrivée de Nausicaä dans son village avec celle de Ashitaka au début de Princesse Mononoké) :
§ les forteresses volantes annoncent celles qu'on peut voir dans le Château dans le ciel (1986) mais aussi, plus tard, dans le Château ambulant (2004), des engins impressionnants, mus par de nombreux rotors, proches de certaines visions de Jules Verne (Robur le Conquérant) et des écrivains de la vague steampunk.
§ la forêt : ici, elle est empoisonnée, mais Nausicaä y trouve encore une variété impressionnante d’espèces qui se sont adaptées ; on pourra comparer avec le camphrier majestueux de Mon voisin Totoro (1988) et ses arbres immenses qui poussent le temps d’un rêve, ou avec Princesse Mononoké (1997) dans lequel des hommes détruisent l’écosystème et doivent affrontent la rébellion des créatures qui y vivent, ou encore la végétation luxuriante entourant le village côtier où prend place l'intrigue de Ponyo sur la falaise (2008).
§ la quête : Nausicaä est une jeune princesse, seule apte à se faire entendre des monstres qui émergent parfois des lisières mortelles, prête à sauver les siens en se rendant à leurs ennemis, puis à se sacrifier pour éviter un massacre inutile. Cette quête prépare celle de Chihiro, plus jeune, qui, pour retrouver ses parents, donnera jusqu’à son nom et tirera les enseignements nécessaires des aléas de la vie ; Kiki, elle perdra ses pouvoirs de sorcière et devra puiser en elle la force de sauver le garçon qui l’aime (Kiki, la petite sorcière – 1989). Satsuki, fille responsable, battra la campagne à la recherche de sa jeune sœur perdue, quitte à en appeler à l’esprit de la Forêt (Mon voisin Totoro).
§ une histoire d'amour : Nausicaä fascinera ce prince qui épousera sa cause contre la volonté de son gouvernement. Mononoké, par sa farouche indépendance, aura le même impact sur le valeureux Ashitaka. Chihiro retrouvera en Haku un amour d’enfance (le Voyage de Chihiro – 2001), tout comme Sophie avec le magicien Hauru (le Château ambulant). Et c’est le même amour, pur, innocent qui unit et sauve les deux jeunes héros du Château dans le ciel et ceux de Ponyo.
§ la musique symphonique, envoûtante, de Joe Hisaishi, savante synthèse de sonorités orientales et de mélodies classiques…
Ensuite, entre 1997 et 2002, il a battu plusieurs fois des records d’entrée au Japon pour Princesse Mononoké avant de remporter un Ours d’or à Berlin puis un Oscar pour le Voyage de Chihiro.
Reconnu, admiré (adulé ?) dans le monde entier désormais, il l’est beaucoup moins dans sa profession. Si des confrères comme Mamoru Oshii (avec lequel ils avaient un projet commun, malheureusement avorté, intitulé l’Ancre) reconnaissent ce qu’il a apporté au monde de l’animation en général, au même titre qu’un Tezuka, ils sont beaucoup plus sceptiques sur l’impact réel de ses réalisations et parlent en des termes peu amènes des conditions de travail aux studios Ghibli, comparés au Kremlin.
Rançon du succès ou jalousie, Hayao Miyazaki n’en demeure pas moins un auteur authentique dont la qualité des réalisations est indiscutable. Ses films, pleins de pudeur et de sensibilité, mais jamais mièvres, savent trouver ce juste équilibre entre fragilité et pertinence qui marquait les meilleures réussites de Disney. Et surtout, il sait s’allier la reconnaissance des petits et des grands.
A Poune, grande collectionneuse de peluches Ghibli