Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Une chronique de Vance
Premier film de Cronenberg que j’ai pu voir, et sans doute celui que j’ai le plus visionné.
Film n°6 : Dead Zone
Titre original : the Dead Zone (1983) avec Christopher Walken, Martin Sheen & Tom Skerritt
DVD zone 2, DVDY
1.85 : 1 – 16/9
VOST 2.0 ; 103 min
Comme pour Scanners, ce DVD n’est pas de première jeunesse. L’avantage est qu’on le trouve pour une bouchée de pain un peu partout, que l’image s’est avérée pas si mauvaise que cela (décidément, la fonction upscale du lecteur blu-ray fait merveille) et que le son était tout à fait audible, avec en outre quelques effets stéréo intéressants.
Résumé : En rentrant chez lui en pleine nuit après avoir quitté sa fiancée, Johnny Smith, avenant professeur de littérature, est victime d’un grave accident de la route qui le laissera dans le coma. Lorsqu’il en émerge finalement, cinq ans se sont passés, et la première des épreuves sera déjà d’assimiler ce fait (sa fiancée s’est remariée et il lui faudra une longue rééducation pour remarcher). Mais il s’aperçoit que ce traumatisme l’a doté d’un don étrange : celui de savoir l’avenir des personnes qu’il touche. Un don qui fera de lui une vedette locale mais engendrera des responsabilités qu’il n’est pas prêt à assumer…
Dès les premières notes du générique, la mémoire me revint, par bribes, mais suffisamment intelligibles pour qu’on puisse aisément en reconstituer l’écheveau : disparu Howard Shore, c’est Michael Kamen qui se colle à la bande originale, avec une lancinante et si facilement identifiable mélodie (tellement familière d’ailleurs qu’elle a contribué à enjoliver le visionnage). Et si Mark Irwin est toujours en charge de la photographie, c’est la fin du défilant qui saute aux yeux : on n’y voit plus la mention « Ecrit & réalisé par David Cronenberg ». Le metteur en scène canadien se voit ici chargé de l’adaptation d’une œuvre (mineure) de Stephen King, à une époque friande de ces thrillers dynamiques immanquablement situés dans la région de Castle Rock.
Et, malgré quelques « tics » de réalisation persistants, on sent bien que le script n’émane pas de son esprit particulier. Dans une décennie qui avait accouché de quelques très réussies adaptations du « maître du fantastique » (je pense notamment à l’excellent Christine de Carpenter, produit la même année, mais aussi aux précédents Shining, Carrie ou Cujo qui avaient plutôt bien lancé le bal), qu’allait faire notre réalisateur adepte de la « Nouvelle Chair » face à des pointures comme Carpenter, De Palma ou Kubrick ? Là est sans doute le point nodal de notre avis.
De fait, Dead Zone est construit de manière assez singulière. Plus long que ses précédents films, il prend son temps pour accompagner le destin singulier de ce personnage qu’on a du mal à craiment cerner – malgré une interprétation hallucinante de Walken, qui a su conférer un double aspect réconfortant/inquiétant à cet être brisé qui s’évertue à donner un sens à sa vie. Cronenberg agit avec son personnage central comme s’il lui refusait constamment le statut de héros qu’il était facile de lui faire endosser. Reprenant quelques-uns de ses thèmes de prédilection, il associe l’accident de circulation initial (comme dans Rage) à la figure du médecin (interprété ici par Herbert Lom qui campe un praticien pragmatique assez réussi) qui s’avère perplexe quant il s’agit d’expliquer le nouveau talent de Johnny, se perdant en conjectures sur les capacités psychiques de son patient. De fait, ce talent est à tout le moins difficile à appréhender, même pour nous. On a affaire à quelque chose qui tient plus à la médiumnie qu’à une forme classique de voyance : Johnny est ainsi capable de voir aussi bien le futur immédiat (premier cas, celui de la fille de son infirmière, coincée dans une maison en feu) que dans le passé lointain (second cas, celui de l’enfance de son docteur, à l’époque nazie, mais aussi les dernières minutes d’une victime de viol). Dans tous les cas, nous assistons à des sortes de flashes, assez brutaux, où Johnny semble saisi par une révélation qu’il lui faut assimiler Parfois, il se trouve littéralement transporté dans cet autre temps (nous le voyons ainsi dans la maison en flammes, auprès de la fille hurlante, mais toujours couché dans son lit d’hôpital lui-même en train de brûler ; nous le voyons également sous la gloriette au moment où le violeur va perpétrer son crime odieux), à d’autres moments, il semble juste capable de « sentir » d’une manière assez floue différents éléments liés à la personne (comme quand il « voit » des scènes surgies du passé de son médecin mais qu’il est capable de déterminer où vit sa mère qu’il croyait morte).
Dead Zone s’appuie donc sur Johnny et se construit par petits épisodes dans lesquels notre héros malgré lui va se servir de son don avec plus ou moins d’habileté et de réticence. Jusqu’au moment où il saura exactement ce qu’il convient de faire après son ultime vision, celle qui lui indique clairement une menace qu’il ne peut ignorer. Entre-temps, Johnny nous aura expliqué la signification du titre : dans ses visions, il existe une zone d’ombre, un angle mort, qui les empêche d’être aussi précises qu’il le souhaiterait : la possibilité que le futur soit modifié. C’est par le biais de cette dead zone qu’il aura une certaine latitude pour agir dans le but de le modifier. L’avenir, même entrevu, n’est donc pas définitif. A partir de là, le script joue sur le fameux questionnement éthique : Et si vous aviez la possibilité de revenir dans le passé pour tuer Hitler avant qu’il ne puisse nuire, le feriez-vous ? Et nous entrons dans le dernier acte.
Honnêtement, sans l’incroyable interprétation de Walken, avec cet air constamment halluciné, torturé par le doute, et ce sourire contrit et pourtant attendrissant, le film n’aurait pas tant d’impact. On y sent uniquement une implication technique de Cronenberg, un soin apporté à sa mise en scène qui lui permet de répéter ses classiques sans véritablement expérimenter. Il fait son travail avec désormais une maîtrise avérée du cadrage et un sens du rythme sûr (comme toujours, on entre très vite dans le vif du sujet) bien que perturbé par des dialogues existentiels parfois confus. On a plus de mal à croire dans les relations entre les personnes : si le réalisateur parvient à instaurer un climat de complicité efficace entre le médecin, Johnny et son père, il se voit contraint de passer par des lignes de dialogue poussifs lorsque notre héros est face à son ex-fiancée. Outre cela, on s’aperçoit aussi que le film est extrêmement (désespérément, pourraient dire les amateurs de gore) sage : très peu d’hémoglobine (juste une séquence de suicide sanglant), encore moins de sexe (quelques images fugitives d’un viol) ou de violence ; pour cette dernière, on constate aussi une certaine fascination pour les accidents de la circulation et les tôles froissées, mais aussi une incontestable maladresse, et le montage ne rend pas la séquence initiale plus spectaculaire. On passera aussi sur l’échange de coups de feu dans la maison d’un suspect (assez mal filmé) ou la scène avec les chars nazis, qui manque cruellement de vriasemblance. Cronenberg ne s’avère finalement jamais aussi bon que lorsqu’il prend en charge ses personnages et les cadre de près, dans une ambiance spécifique.
Une bonne série B donc, une parenthèse honnête dans la filmographie particulière de l’apôtre de la Nouvelle Chair, avant une nouvelle tentative plus approfondie dans la Mouche.
> A lire également : la chronique parallèle de Cachou.