Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
La lumière de la salle s'éteint, les logos de Pathé Distribution, NALA Films, Tohokushinsha Film Corporation et American Zoetrope apparaissent sur un fond noir tandis que les spectateurs commencent à entendre quelques bruits sourds de rue, de circulation.
Pour les amoureux de Lost in translation (cliquer sur le titre pour lire la critique du blu-ray par Nico et ici pour celle du DVD par Vance), il y a comme un air de déjà-vu - ou de déjà entendu. On n'en parle pas souvent, préférant plutôt acclamer à chaque fois le choix de la bande originale, mais les films de Sofia Coppola font l'objet d'un énorme travail sur le son.
Ces bruits, avant même la découverte de la première image, mettent directement dans l'ambiance voulue. Il y a toujours comme une sorte de voile qui recouvre les bruitages, comme si l'agressivité sonore était volontairement atténuée pour plonger l'audience dans une sorte de transe. Comme si regarder un film de la réalisatrice nécessitait de se trouver dans cet état insaisissable, entre rêve et réalité, pas tout à fait endormi mais pas tout à fait réveillé.
A présent que le public est attrapé, hypnotisé, envoûté, place au décor. La nuit, une bande de silhouettes, capuches sur la tête, commence à escalader l'énorme portail d'une grande demeure hollywoodienne. Dès lors qu'elle le franchit, la quiétude de la nuit est brisée et la douceur de l'espace sonore est immédiatement remplacée par la fureur du titre de Sleigh Bells "Crown on the ground".
REVEILLEZ-VOUS ! Et Sofia Coppola de rajouter le titre en gros à ce moment précis. Titre dont la police et le style ne sont pas sans nous rappeler son Marie-Antoinette : lettres énormes, espacées, écriture penchée et couleurs bien voyantes.
Le message est clair : ce film va bouger, et ceux qui reprochaient l'extrême lenteur de Somewhere vont être ravis ! Pendant toute la durée de la chanson, dont le volume est poussé à très haut niveau, vont défiler des plans rapides de gardes robes toutes plus luxueuses les unes que les autres - on pense au passage "I want Candy"- avec le nom des acteurs en surimpression. Cette séquence donne le ton : très esthétique, un peu trop, à tendance "vulgaire" dans le trop plein de tout.
D'ailleurs la réalisatrice ne nous avait pas habitués à des génériques de début, le casting n'étant mentionné que lors des crédits à la fin.
Ici, ce n'est plus le cas, peut-être pour mettre volontairement en avant les acteurs et ne pas "starifier" leurs personnages aux actions condamnables. Car The Bling Ring est tiré d'une histoire vraie, et même si les noms ont été changés, faire un film sur cette bande c'est comme rentrer dans leur jeu. Du coup, Sofia Coppola garde une certaine distance avec ses personnages. Elle ne les juge pas, certes, laissant au public le soin de se faire sa propre opinion sur eux, mais va se servir de leur histoire comme pour en tirer une morale, un avertissement. Et de ce fait, contrairement à tous ses précédents longs métrages, The Bling Ring n'est pas un film centré sur ses héros, auxquels on ne peut s'identifier, mais se sert d'eux pour évoquer une génération entière.
Ironiquement, le générique se termine par un "d'après l'article de Nancy Sales, de Vanity Fair, "Les suspects portaient des Louboutin"". De la part d'une réalisatrice ayant adapté deux œuvres littéraires auparavant, on ne peut s'empêcher d'y voir une sorte de message "la génération décrite a les références qu'elle mérite, et qu'elle souhaite". C'est quand même marrant de voir ce qui inspire les réalisateurs aujourd'hui ! Il est d'ailleurs de suite indiqué après que l'histoire est réelle.
The Bling Ringest un film bien plus rapide que les précédents. Tout comme la génération dépeinte, on est dans l'instantané, et la réalisation accentue ce constat : mouvements rapides, ellipses (superbe scène de tribunal qui en un plan nous donne énormément d'informations, mais qui paradoxalement est tournée au ralenti), peu de séquences aérant le récit mais de nombreux plans d'insert des personnages se montrant sur Facebook ou autres réseaux sociaux.
Malheureusement, le fait que Sofia Coppola ne veuille pas juger les personnages nous empêche de les comprendre pleinement. Si leurs agissements nous sont dévoilés de manière claire et précise, nous ne connaissons que peu leurs motivations profondes. On ne peut les croire aussi futiles et insouciants que ce qu'ils laissent paraître. Ou alors c'est qu'ils sont vraiment idiots et superficiels. Mais comment appréhender le personnage d'Emma Watson lorsqu'elle explique devant les caméras qu'elle espère un jour diriger un pays ? Comment peut-on penser qu'elle est aussi ignorante ? Surtout quand on voit sa mère et le mode de vie qu'elle lui inculque... C'est d'ailleurs le point le plus frustrant et paradoxalement le plus intelligent du film : alors qu'elle nous fait pénétrer dans l'intimité (parfois réelle) des stars, Sofia Coppola choisit de garder une espèce de pudeur vis à vis des personnages principaux et de leurs familles, on ne fait que deviner un malaise sous-jacent, sans jamais le découvrir dans sa totalité. Comme si les actions de la bande n'étaient pas directement liées à des causes personnelles, mais plutôt à une mentalité générale, à une époque et à un sens des valeurs qui est perdu. Au public de choisir une logique, une explication ou de justement ne pas vouloir en trouver.
Le film paraîtra du coup assez creux, puisqu'il se contente la plupart du temps de nous montrer des adolescents qui jouent et dansent, que ce soit chez les stars ou dans des bars. Les scènes se multiplient, et à première vue se ressemblent (Sofia Coppola a l'intelligence de changer de cadres ou de style pour éviter l'ennui, notamment lors d'une séquence en long plan fixe en plongée sur une maison, qui zoome très lentement), mais effritant petit à petit les liens au cœur du groupe. En témoigne le passage où l'une des ado, Sam, trouve un flingue et joue en menaçant le personnage de Mark, le garçon de la bande. Une scène limite insoutenable où l'on commence à détester l'héroïne. Aucun attachement, mais par contre les acteurs sont tout simplement bluffants dans leur comportement. Emma Watson mise en avant durant la campagne n'est qu'un personnage secondaire, mais elle est méconnaissable sans son accent anglais et rassure quant à sa future carrière. Mention spéciale à Israel Broussard, tout en nuances, rare personnage pouvant susciter une certaine empathie, et à Katie Chang, glaciale et manipulatrice.
Le minimalisme a toujours été de rigueur chez Sofia Coppola, et après un Somewhere très épuré, The Bling Ring repousse encore les limites. Derrière sa réalisation très moderne et inventive et la beauté de ses images, se cache un film très simple laissant au public le soin de l'interpréter comme il le souhaite. Bien entendu, la réalisatrice a puisé dans sa propre expérience pour nous livrer sa version de l'histoire, et il est encore une fois, comme dans tous ses films, question de la recherche d'identité, mais en ne misant plus du tout sur ses personnage, le risque de lasser des spectateurs est grand. Autant regarder un documentaire sur l'affaire, cela reviendrait presque au même. Cependant, lors de l'arrestation, à la toute fin du film, on a subitement la sensation que Sofia Coppola nous délivre enfin son message. La dernière scène, le dernier dialogue, est un constat amer qui fera sourire le public.
Ma note (sur 5) : |
5 |
Titre original |
The Bling Ring |
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Mise en scène |
Sofia Coppola |
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Production |
American Zoetrope & Nala Films, distribué par Pathé |
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Date de sortie France |
12 juin 2013 |
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Scénario |
Sofia Coppola d’après l’oeuvre de Nancy Jo Sales |
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Distribution |
Israel Broussard, Emma Watson & Taissa Farmiga |
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Durée |
87 min |
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Musique |
Daniel Lopatin |
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Photographie |
Christopher Blauvelt |
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Support |
35 mm |
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Image |
2.35:1 ; 16/9 |
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Son |
VF & VO DD 5.1 |
Synopsis : À Los Angeles, un groupe d’adolescents fascinés par le people et l’univers des marques traque via Internet l’agenda des célébrités pour cambrioler leurs résidences. Ils subtiliseront pour plus de 3 millions de dollars d’objets de luxe : bijoux, vêtements, chaussures, etc. Parmi leurs victimes, on trouve Paris Hilton, Orlando Bloom et Rachel Bilson. Les médias ont surnommé ce gang, le "Bling Ring".