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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Shakespeare au cinéma #5 : Looking for Richard

Avec cette « adaptation », on touche à un autre domaine de narration. Si des œuvres comme le Hamlet de Branagh ou même Anonymous montraient tout l’amour (l’adoration même) que portent leurs réalisateurs aux textes shakespeariens, ici nous franchissons un pas supplémentaire puisque, sous le couvert de porter à l’écran sa vision d’une pièce fort jouée mais au contexte mal connu, Richard III, Al Pacino décide en outre de nous expliquer face caméra ses motivations et même, carrément, et à la suite d’une enquête d’opinion, de présenter le dramaturge, de l’aborder pédagogiquement.

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Nous avons donc la pièce dans le film, depuis les hésitations sur l’adaptation, la mise en scène et les décors jusqu’au casting proprement dit en passant par des discussions sur le ton à employer pour telle tirade, voire le sens même d’une expression. Pacino, dès le départ, se/nous pose la question sur la pertinence de la version, et sur la portée de la pièce. Ses doutes sont à l’origine de la démarchequi le fait arpenter les rues, les squares en interrogeant les passants sur leur idée de Shakespeare : au lieu de réaliser un film à partir du script, pour sa première réalisation Pacino nous délivre une sorte de making-of sur le film qui aurait pu être. Déstabilisant, drôle et fascinant : le style est brutal, l’acteur/metteur en scène n’hésitant pas à apostropher les figurants ou à nous glisser quelques commentaires ironiques.

Une telle figure de style aurait pu dénaturer l’essence dramatique de la pièce, mais Pacino va plus loin en nous présentant l’œuvre, sa particularité et l’extrême subtilité de ses personnages. S’appuyant sur de savoureuses apparitions de géants du répertoire (de John Gielgud à James Earl Jones en passant par Branagh, Vanessa Redgrave, Derek Jacobi, le truculent F. Murray Abraham et même Kevin Kline), le procédé didactique remplit élégamment son office, d’autant que la caméra, très mobile, nous donne par moments l’impression de nous glisser secrètement au sein de scènes très intimes, comme lorsque Al Pacino répète inlassablement le même discours en insérant des variations de ton, en changeant les décors et les costumes, en écoutant doctement les conseils de ses pairs. On peut ainsi, 3 ou 4 fois, comparer une même scène répétée autour d’une table, en studio ou in situ (la production n’ayant pas hésité à filmer quelques bâtiments shakespeariens en Angleterre – dont un théâtre célèbre, le Globe Theater - nous permettant une petite visite gratuite de la maison de Shakespeare à Stratford). C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte de l’implication de certains comédiens, réellement « habités » par leur rôle (Penelope Allen est saisissante d’intensité dans son interprétation de la reine Elizabeth).

Même si l’intégralité du livret n’est pas aisée à suivre (le commentaire de Pacino permettant parfois de combler quelques ellipses), on ne s’ennuie jamais dans cette alternance de séquences documentaires pures (interviews de spécialistes, anecdotes de participants, avis de spectateurs, reportages sur les lieux) et de confidences. Une autre séquence intéressante fait se succéder les grands noms cités plus hauts à propos de leur propre vision de Shakespeare, dans laquelle se dégage l’opposition Britanniques/Américains, les premiers concevant logiquement leur aisance dans un domaine dans lequel ils ont baigné toute leur vie, les seconds reconnaissant leur appréhension, leurs précautions excessives quand ils s’apprêtent à jouer du Shakespeare, débordés par un trop-plein de respect et la crainte de la comparaison. L’humilité d’ailleurs est de mise dans ces analyses et commentaires et il est savoureux d’entendre les ténors anglais du répertoire demander aux acteurs américains d’avoir un peu moins de retenue, d’être moins empruntés lorsqu’ils jouent.

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Ce qui frappe, et qui emporte très vite l’adhésion dans ce film singulier, c’est bien la volonté communicative de faire partager son amour du théâtre de Shakespeare – rappelons que Pacino avait déjà joué deux fois dans Richard III et que c’est à la suite de divers séminaires qu’il s’est rendu compte combien l’œuvre et l’auteur étaient mal connus des étudiants. Et quand bien même on y serait d’abord réfractaire, il est impossible de ne pas se passionner lorsqu’un cours magistral est énoncé avec tant de passion. Al Pacino, avant de nous faire aimer Shakespeare, tenait à ce que nous n’en ayons plus peur : il lui fallait dès lors le faire connaître à sa façon.

Un grand film, salué par la critique à Sundance et à Cannes.

 

Ma note (sur 5) :

4

 


 

 

 

 

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Titre original

Looking for Richard  

Mise en scène 

Al Pacino

Production 

Jam & Fox Searchlight, distribué par UMD

Date de sortie France 

29 janvier 1997

Scénario 

Al Pacino & Frederic Kimball, à partir de Richard III  

Distribution 

Al Pacino, Alec Baldwin, Aidan Quinn, Kevin Spacey & Winona Rider

Durée 

107 minutes

Musique

Howard Shore

Photographie

Robert Leacock

Support 

DVD Fox zone 2 (2005)

Image 

1.85 : 1 ; 16/9

Son 

VOST DD 5.1

 

 

Synopsis : A la recherche de Shakespeare à travers la mise en scène de Richard III par un shakespearien convaincu, Al Pacino, qui a déjà incarné par deux fois la pièce la plus populaire du dramaturge, et qui s'interroge avec humour et passion sur l'art et la manière d'aborder un tel rôle, nous entraînant dans les coulisses de son théâtre intime pour nous faire partager sa passion de comédien.

 

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